Extrait de l’Epître aux jeunes religieux bénédictins de la Congrégation de Saint Maur, en tête du Traité des études monastiques par Dom Jean Mabillon (1691)

Je vous prie de bien considérer, mes très chers frères, que je ne prétends pas faire de nos monastères de pures académies de science. Si le grand Apôtre se faisait gloire de n’en avoir point d’autre que celle de Jésus-Christ crucifié, nous ne devons point aussi avoir d’autre but dans nos études. Elles se doivent borner à former dans nous et dans les autres même, autant que nous pourrons, cet homme nouveau, dont notre Sauveur nous a donné le modèle en sa personne sacrée. Toute science qui ne se termine point à ce grand dessein est plus nuisible qu’avantageuse. La charité seule en peut faire un bon usage, et il n’y a qu’elle qui puisse guérir cette enflure de cœur, qu’une science vaine et stérile a coutume de produire dans ces savants spéculatifs, qui n’ont pour but de leur science, que de se distinguer et de se faire un nom dans le monde. Vous éviterez heureusement cet écueil, si vous vous dites souvent à vous-mêmes avec saint Bernard : « Malo sine illa quæ inflat quam absque illa quæ ædificat inveniri » ; si toutes vos pensées et vos desseins dans vos études se terminent à vous bien connaître vous-mêmes, pour en devenir plus humbles, et pour vous cacher aux yeux du monde ; et à connaître Dieu de plus en plus pour l’aimer et le servir plus parfaitement. Il est vrai, et saint Paul l’a dit, que la science sans la charité enfle ; mais il est certain aussi qu’avec le secours de la grâce rien n’est plus propre à nous conduire à l’humilité ; parce que rien ne nous fait mieux connaître notre néant, notre corruption et nos misères. Si les connaissances que vous acquérez par vos études ne produisent pas en vous cet effet ; il vaudrait mieux les quitter, que de vous en faire un poison mortel qui vous causât de l’enflure et de l’orgueil.