Jeudi Saint

Jeudi Saint

Jeudi Saint

Annonce du Martyrologe Romain

La Cène du Seigneur, en laquelle le Christ Jésus, la veille du jour où il allait être crucifié pour notre salut, confia aux Disciples les mystères de son Corps et de son Sang, avec mission de les célébrer, eux aussi.

Le mot de Saint Augustin

Le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Or, l’homme s’était perdu en imitant l’orgueil de son séducteur ; puisqu’il est retrouvé, qu’il imite l’humilité de son Rédempteur.

Le lavement des pieds (Io 13, 1-15) : commentaire de Dom Paul Delatte

Le Seigneur sait que son heure est venue, l’heure où il doit monter de ce monde à son Père. Il semble qu’il n’y ait qu’une heure pour lui, que toute sa vie y est ordonnée, qu’il est essentiellement victime, premièrement Rédempteur. L’heure décisive étant donc venue, lui qui avait aimé les siens qu’il laissait dans le monde, il les aima jusqu’à la fin. Les apôtres étaient à lui ; avec une sollicitude infinie, il les avait initiés et préparés à leur oeuvre ; mais sa tendresse sembla s’accroître encore à la dernière heure et se manifester davantage. Il n’est rien en effet de plus affectueux que l’entretien de ces moments suprêmes. Bénissons l’apôtre bien-aimé de l’avoir conservé à l’Église. Ces cinq chapitres 13 à 17 de saint Jean appartiennent encore à la pensée mère de tout l’évangile : la manifestation de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; mais, cette fois, la manifestation privée et intime qu’il donne de lui-même à ses apôtres.

Les Douze sont réunis, y compris Judas, fils de Simon l’Iscariote, à qui le diable a suggéré de livrer Jésus. L’agneau pascal consommé, la Cène commune se poursuit ou s’achève. Il est assez naturel de considérer le lavement des pieds, dans la pensée du Seigneur, comme une préparation à l’Eucharistie : nous ne pouvons pourtant échapper à l’idée que l’institution de l’Eucharistie se place entre le chapitre 14 et le chapitre 15. Nous lisons le récit d’un témoin oculaire, attentif aux détails menus et vivants, jaloux de reproduire l’aspect de toute l’auguste cérémonie et de noter chacun des gestes du Seigneur. Le Seigneur agit à bon escient ; il sait, dit saint Jean, que son Père lui a remis en mains toutes choses, qu’il est venu de Dieu, qu’il va vers Dieu. Et voici comment il use de cette connaissance de ce qu’il sait et de ce qu’il est. Il se lève de table, se dépouille de son manteau, se ceint lui-même d’un linge : extérieurement, il prend l’attitude de l’esclave. Puis il verse de l’eau dans un bassin, et se met en devoir de laver les pieds des disciples et de les essuyer avec le linge dont il est ceint. Il leur apprend ainsi que la pureté vulgaire suffisait pour les deux Cènes qui avaient précédé, mais qu’il faut une pureté éminente pour le festin auquel ils sont maintenant conviés.

Et Jésus vint à Simon-Pierre. L’Apôtre fut saisi d’effarement et comme de terreur à la vue du Fils de Dieu vivant, prosterné devant lui. Il se récria : Seigneur, vous me lavez les pieds, vous ? Le Seigneur répondit : Ce que je fais, vous ne le comprenez pas maintenant, mais vous le comprendrez dans la suite, — lorsque je vous donnerai l’Eucharistie, lorsque je vous donnerai l’Église et les âmes. Inclinez-vous devant ce que vous ne comprenez pas encore. Le Seigneur avait parlé gravement, mais aussi avec sa douceur habituelle. Il faisait office de serviteur : songeait-il vraiment à exiger comme un maître ? Saint Pierre s’y méprit ; il crut que ce n’était qu’une cérémonie, suggérée au Sauveur par son humilité, mais à laquelle on pouvait se dérober encore ; sa foi et son esprit d’adoration lui firent répondre, pour échapper à l’épreuve : Jamais vous ne me laverez les pieds ! Alors, le Seigneur insiste, tant est grave la leçon qu’il veut donner à ses apôtres, tant est délicate la pureté qu’il attend des siens : Si je ne vous purifie, vous n’aurez pas de part avec moi. — Une fois encore, le caractère de saint Pierre le porte aux extrêmes. Dès qu’il s’agit d’être au Seigneur et avec lui, il prend son parti de tout. Même il dépasse les limites ; son empressement va au delà de ce qui lui est demandé : Non seulement les pieds, Seigneur, mais encore les mains et la tête ! — Cependant Jésus ramène son apôtre à la mesure : Celui qui a passé par le bain, dit-il, n’a besoin que de se laver les pieds, puisqu’il est purifié tout entier. Vous aussi, vous êtes purs, mais non pas tous. — Car le Seigneur, remarque l’évangéliste, connaissait celui qui le devait livrer ; c’est ce qui lui fit ajouter : Vous n’êtes pas tous purs. Mais Judas ne profita point de cet avertissement discret ; son âme demeura haineuse, tandis que, devant lui aussi, s’agenouillait le Seigneur.

Son œuvre terminée, Jésus reprend son manteau et se remet à table au milieu des apôtres. Puis il leur donne toute la moralité surnaturelle de l’acte qu’il vient d’accomplir. Déjà, il l’avait partiellement indiquée à saint Pierre en lui montrant les exigences de la pureté parfaite. Mais cette cérémonie avait un sens beaucoup plus étendu. L’avez-vous compris ? demande le Seigneur. Elle renfermait une leçon d’abnégation et d’effacement personnel, une leçon de charité aussi. Et de crainte que l’orgueil de l’homme ne se révoltât, en face de ces humbles et menus services à rendre au prochain, le Seigneur avait pris le procédé le plus efficace pour le réduire. Vous m’appelez, et à bon droit, dit-il, Maître et Seigneur, — Maître parce que j’enseigne. Seigneur parce que je gouverne. Dès lors, vous me regarderez comme juge et appréciateur souverain de ce qui constitue la beauté et la dignité morales. Vous placerez ma pensée au-dessus de vos chétives répugnances ; vous ne rougirez pas, ou mieux, vous vous réjouirez de faire ce que j’ai fait, moi, votre Maître et votre Seigneur. Vous agirez comme moi, vous vous rendrez le même service les uns aux autres. — Tout le christianisme est là, et jamais on ne nous a donné une leçon plus solennelle. L’Église et l’ordre monastique ont conservé le rite du lavement des pieds ; mais chacun voit qu’il ne s’agit pas simplement de la reproduction matérielle d’un geste du Seigneur, mais de tout un esprit de condescendance et de dévouement, qui inspirera notre vie.

N’écoutez pas les protestations de l’orgueil secret. Ce n’est pas lui qu’il faut croire, c’est moi, moi qui vous aime et ne trompe pas. Passez outre à toutes ses objections. L’orgueil vous dira que vous vous diminuez : n’en croyez rien. En vérité, en vérité, le serviteur n’est pas au-dessus du maître, ni l’apôtre supérieur à celui qui l’envoie. Mon exemple suffit à persuader ceux qui m’aiment. Bienheureux êtes-vous si vous comprenez ces choses, et si, les ayant comprises, vous les accomplissez. Est-ce que le bonheur de chacun, le bonheur de celui qui accorde le bienfait, le bonheur de celui qui recueille le bienfait, le bonheur individuel et la paix sociale ne seraient pas assurés par l’effusion de cet esprit de charité ? Le Seigneur songe toujours à son Église et à l’humanité nouvelle qu’il veut grouper en lui, dans une large et universelle fraternité.

Le Corps et le Sang de Jésus : commentaire de Saint Augustin

« Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage » (Io 6, 56). Les hommes, dans la nourriture et le breuvage, se proposent de n’avoir plus ni faim ni soif. Mais ils n’y peuvent parvenir dans la vérité que par cette unique nourriture et cet unique breuvage, qui rendent immortels et incorruptibles ceux qui les reçoivent. Et c’est là cette société des saints, où se trouve la paix et la parfaite unité. C’est pour cela, ainsi que l’ont entendu les hommes de Dieu qui nous ont précédés, que notre Seigneur Jésus-Christ, nous laissant son corps et son sang, a choisi dans ce but des matières dont l’unité est composée de beaucoup de parties. Car le pain se fait par la réunion d’un grand nombre de grains de froment, comme encore le vin se fait avec le jus de plusieurs raisins.

« Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (Io 6, 57). Manger cette nourriture et boire ce breuvage, c’est donc demeurer dans le Christ et avoir le Christ demeurant en soi. Et par suite, celui qui ne demeure pas dans le Christ et en qui le Christ ne demeure pas, celui-là sans nul doute ne mange pas sa chair et ne boit point spirituellement son sang, bien que selon la chair et visiblement il presse de ses dents le Sacrement du corps et du sang du Christ ; mais au contraire, c’est pour son jugement qu’il mange et boit un si grand mystère, ayant osé s’approcher avec une conscience souillée du Sacrement du Christ, qu’on ne peut recevoir dignement que si l’on est pur, et selon cette parole : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu » (Mt 5, 8).

Prières

Oratio

Deus, a quo et Iudas reatus sui pœnam, et confessiónis suæ latro prǽmium sumpsit, concéde nobis tuæ propitiatiónis efféctum : ut, sicut in passióne sua Iesus Christus, Dóminus noster, diversa utrísque íntulit stipéndia meritórum ; ita nobis, abláto vetustátis erróre, resurrectiónis suæ grátiam largiátur : Qui tecum.

Oraison

Ô Dieu, qui avez puni la perfidie de Judas et récompensé la confession du larron, faites-nous ressentir l’effet de votre miséricorde, afin que Notre Seigneur Jésus-Christ, qui, dans sa Passion, les a traités tous deux selon leur mérite, détruise en nous les traces du vieil homme et nous accorde la grâce de sa résurrection.

Préface du Missel gothique (Traduction de Dom Guéranger)

Il est digne et juste, Seigneur saint, Père tout-puissant, que nous vous rendions grâces, à vous et à Jésus-Christ votre Fils, dont la bonté a recueilli notre misère, dont l’humilité a relevé notre bassesse ; qui étant livré nous a libérés, étant condamné nous a rachetés, étant crucifié nous a sauvés ! Son sang nous purifie, sa chair nous nourrit. C’est aujourd’hui qu’il s’est livré pour nous, aujourd’hui qu’il a délié les liens de nos péchés. Pour signaler sa bonté et son humilité sublime aux yeux de ses fidèles, il n’a pas dédaigné de laver les pieds du traître, dont il voyait déjà la main engagée dans le crime. Mais quoi d’étonnant si, la veille de sa mort, remplissant l’office d’un serviteur, il dépose ses vêtements, lui qui, étant dans la nature même de Dieu, avait daigné s’anéantir lui-même ? Quoi d’étonnant, si nous le voyons ceint d’un linge, lui qui, prenant la forme d’esclave, a paru dans la nature humaine ? Quoi d’étonnant s’il verse de l’eau dans un bassin pour laver les pieds de ses disciples, lui qui a répandu son sang sur la terre pour enlever les souillures des pécheurs ? Quoi d’étonnant si, avec le linge dont il était ceint, il essuya les pieds qu’il avait lavés, lui qui, revêtu de la chair, a affermi les pas de ceux qui devaient annoncer son Évangile ? Avant de s’entourer de ce linge, il déposa les vêtements qu’il avait ; lorsqu’il s’anéantit en prenant la nature d’esclave, il ne déposa pas ce qui était en lui, mais il prit ce qu’il n’avait pas. Quand on le crucifia, il fut dépouillé de ses vêtements ; mort, il fut enveloppé de linceuls ; et sa Passion tout entière a été la purification des croyants. Avant de souffrir la mort, il donna des marques de sa bonté, non seulement à ceux auxquels sa mort devait être utile, mais à celui même qui devait le livrer à la mort. Certes, l’humilité est utile à l’homme, puisque la majesté divine daigne la recommander par un tel exemple. L’homme superbe était perdu à jamais, si un Dieu humble ne se fût mis à sa recherche ; si celui qui avait péri en partageant l’orgueil de son séducteur, n’eût été sauvé par l’abaissement de son miséricordieux Rédempteur, à qui les Anges et les Archanges ne cessent de chanter chaque jour d’une même voix : Saint ! Saint ! Saint !

Antienne

Ã. Exhortátus es in virtúte tua, et in refectióne sancta tua, Dómine.

Ã. Seigneur, vous nous avez encouragé par votre force et par votre saint banquet.

Antienne grégorienne “Exhortatus es”

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Mercredi Saint

Mercredi Saint

Mercredi Saint

Le mot de Saint Benoît
Il nous faut prendre part aux souffrances du Christ par la patience, afin de mériter d’être associés à son règne.

Sur la Passion du Sauveur : sermon de Saint Bernard

Dans la Passion du Sauveur, il y a, mes frères, trois réalités en particulier à considérer : l’œuvre, la manière, la cause. Dans l’œuvre, nous remarquons, la patience du Sauveur, dans la manière brille son humilité, dans la cause éclate sa charité.

Dans l’œuvre se trouve la patience

Pour sa patience , elle fut unique; car, pendant que les pécheurs frappaient sur lui comme des forgerons frappent sur l’enclume, étendaient si cruellement ses membres sur le bois de la croix qu’on pouvait compter tous ses os, entamaient de tous côtés ce vaillant rempart d’Israël, et perçaient ses pieds et ses mains de clous, il fut comme l’agneau que l’on conduit à la boucherie, et semblable à la brebis entre les mains de celui qui la dépouille de sa toison, il n’ouvrit pas la bouche, il ne laissa pas échapper une plainte contre son Père qui l’avait envoyé sur la terre, pas un mot amer contre le genre humain dont il allait, dans son innocence, acquitter les dettes, pas un reproche à l’adresse de ce peuple qui était son peuple, et qui le payait de tous ses bienfaits par de si grands supplices. Des gens sont frappés pour leurs fautes et supportent leur châtiment avec humilité, et on leur fait un mérite de leur patience. D’autres subissent des épreuves, non pas tant pour être purifiés qu’éprouvés et couronnés, et leur patience est tenue pour plus grande et plus exemplaire. Quelle ne sera donc pas à nos yeux, la patience de Jésus-Christ qui est mis, on ne peut plus cruellement, à mort comme un voleur dans son propre héritage, par ceux-mêmes qu’il était venu sauver, quoiqu’il fut exempt de tout péché tant actuel qu’originel, et même de tout germe de péché ? Car en lui, habite la plénitude de la divinité, non pas en figure, mais en réalité; en lui, Dieu le Père se réconcilie le monde; je ne dis pas figurativement mais substantiellement, et il est plein de grâce et de vérité, non point par coopération, mais personnellement, pour accomplir son œuvre. Isaïe a dit quelque part : « Son œuvre, est loin d’être son œuvre (Is 28, 21 ). » C’est-à-dire cette œuvre était bien son œuvre, parce que c’est celle que son Père lui a donnée à faire, et, en même temps, c’était une œuvre étrangère à un tel être que de subir de tels outrages. Voilà donc comment il nous est donné de remarquer sa patience dans l’œuvre de sa Passion.

Dans la manière se trouve l’humilité

Mais, si vous jetez les yeux sur la manière dont il souffrit la Passion, ce n’est pas seulement doux, c’est encore humble de cœur que vous le trouverez. On peut dire que le jugement qu’on a porté de lui dans son abaissement est nul (Act 8, 33), puisqu’il ne répondit rien à tant de calomnies et à tous les faux témoignages dirigés contre lui. « Nous l’avons vu, dit le Prophète, et il n’avait plus ni éclat ni beauté. (Is 53, 2). » Ce n’était plus le plus beau des enfants des hommes, mais c’était un opprobre; une sorte de lépreux, le dernier des hommes, un homme de douleur, un homme touché de la main de Dieu et humilié aux yeux de tous; en sorte qu’il avait perdu toute apparence et toute beauté. Ô homme, en même temps, le dernier et le premier des hommes ! Le plus abaissé et le plus sublime ! L’opprobre des hommes et la gloire des anges ! Il n’y a personne de plus grand que lui, et personne non plus de plus abaissé. En un mot, couvert de crachats, abreuvé d’outrages, et condamné à la plus honteuse des morts, il est mis au rang des scélérats eux-mêmes. Une humilité qui atteint de pareilles proportions, ou plutôt, qui dépasse ainsi toutes proportions ne méritera-t-elle rien ? Si sa patience fut unique, son humilité fut admirable, et l’une et l’autre furent sans exemple.

Dans la cause se trouve la charité

Mais l’une et l’autre se trouvent admirablement complétées par la charité, qui fut la cause de sa passion. En effet, c’est parce que Dieu nous a aimés à l’excès que, pour nous racheter de notre esclavage, le Père n’a point épargné le Fils, et le Fils ne s’est point épargné lui-même. Oui, il nous a aimés à l’excès, puisque son amour a excédé toute mesure, dépassé toute mesure, et a été plus grand que tout. « Personne, a-t-il dit lui-même, personne ne peut avoir un amour plus grand que celui qui va jusqu’à lui faire donner sa vie pour ses amis (Io 15, 13), » et pourtant, Seigneur, vous en avez eu un plus grand encore, puisque vous êtes mort même pour vos ennemis. En effet, nous étions encore vos ennemis, lorsque, par votre mort, vous nous avez réconciliés avec vous et avec votre Père. Quel amour donc fut, est, ou sera jamais comparable à celui-là? C’est à peine s’il se trouve des hommes qui consentent à mourir pour un innocent, et vous, Seigneur, c’est pour des coupables que vous endurez la Passion, c’est pour nos péchés que vous mourez, c’est sans aucun mérite de leur part que vous venez justifier les pécheurs, prendre des esclaves pour frères, vous donner des captifs pour cohéritiers et appeler des exilés à monter sur des trônes. Évidemment, ce qui ajoute encore un lustre unique à son humilité et à sa patience, c’est que, non content de livrer son âme à la mort et de se charger des péchés des hommes, il va de plus jusqu’à prier pour les violateurs de sa loi, de peur qu’ils ne périssent. Voici une parole de foi, tout-à-fait digne d’être accueillie : il n’a été offert en sacrifice que parce qu’il l’a bien voulu! Ce n’est pas assez de dire : il a consenti à être immolé, mais il n’a été immolé que parce qu’il a voulu l’être; car nul ne pouvait lui enlever la vie malgré lui, aussi nul ne l’a lui a-t-il ôtée; ainsi, il l’a offerte de lui-même. À peine eut-il goûté au vinaigre qu’il s’écria : « Tout est consommé » (Io 19, 30). En effet, il ne restait plus rien à accomplir, n’attendez donc plus rien de lui à présent. « Et alors ayant penché la tête, » celui qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort, « rendit l’esprit. » Quel homme s’endort ainsi à son gré, dans les bras de la mort? Assurément la mort est la plus grande défaillance de la nature, mais mourir ainsi c’est le comble même de la force, c’est que ce qui semble une défaillance en Dieu, est encore plus fort que ce qui parait le comble de la force dans les hommes (1 Cor 1, 25). Un homme peut porter la folie jusqu’à porter sur lui-même une main criminelle. Mais ce n’est pas là déposer la vie comme un vêtement, c’est se l’arracher avec précipitation et violence bien plutôt que la quitter par volonté. Déposer ainsi la vie, comme tu as eu le triste pouvoir de le faire, ô impie Judas, c’est moins la déposer que se pendre; ce n’est point la tirer soi-même du fond de ses entrailles, c’est l’arracher avec un lacet, enfin ce n’est point rendre, mais c’est perdre la vie. Il n’y a que celui qui a pu, par sa propre vertu, revenir à la vie, qui a pu aussi la quitter parce qu’il l’a voulu. Seul il a eu le pouvoir de la déposer et de la reprendre ensuite, comme on dépose et comme on reprend un vêtement, parce que seul il a le pouvoir de la vie et de la mort.

Triple vertu contre triple péché

Dignes donc une charité si inestimable, une humilité si admirable, une patience si invincible! Oui, une hostie aussi sainte, aussi immaculée, aussi agréable était digne d’être agréée. Oui, l’agneau qui a été immolé est digne vraiment de recevoir la puissance (Apc 5, 12), de faire ce pourquoi il est venu, d’ôter les péchés du monde, contre ce triple péché qui a établi son règne sur la terre : concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie. En effet, comment le souvenir de sa patience n’éloignerait-il point de notre âme la volupté? Comment celui de son humilité n’écraserait-il point tout sentiment d’orgueil? Quant à la charité, elle est telle que la pensée seule en accapare notre esprit, et s’empare si complètement de notre âme, qu’elle en éloigne, d’un souffle, toute pensée de curiosité. Oui, contre ces vices puissante est la Passion du Sauveur.

Prières

Oratio

Præsta, quæsumus, omnípotens Deus : ut, qui nostris excéssibus incessánter afflígimur, per unigéniti Fílii tui passiónem liberémur : Qui tecum vivit.

Oraison

Faites, nous vous en prions, Dieu tout-puissant, que sans cesse affligés par nos excès, nous soyons libérés par la Passion de votre Fils.

Oratio

Réspice, quæsumus, Dómine, super hanc famíliam tuam, pro qua Dóminus noster Iesus Christus non dubitávit mánibus tradi nocéntium, et Crucis subíre torméntum : Qui tecum vivit et regnat in unitáte Spíritus Sancti Deus : per ómnia sæcula sæculórum.

Oraison

Jetez les yeux, Seigneur, sur votre famille que voici, pour laquelle notre Seigneur Jésus-Christ n’a pas hésité à se livrer aux mains des méchants et à subir la torture de la croix.

Prière de Saint Bernard (1090-1153)

Loin de moi la pensée de me glorifier ailleurs que dans la croix de mon Seigneur Jésus-Christ (Ga 6, 14). La croix est votre gloire, la croix est votre souveraineté. Voici votre souveraineté sur vos épaules (Is 9, 5). Ceux qui portent votre croix, portent votre gloire. C’est pourquoi la croix, qui fait peur aux infidèles, est pour les fidèles plus belle que tous les arbres du paradis.

Le Christ a-t-il craint la croix ? Et Pierre ? Et André ? Au contraire, ils l’ont désirée. Le Christ s’est avancé vers elle « comme un champion joyeux de prendre sa course » (Ps 18, 6) : « j’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de mourir » (Lc 22, 15). Il a mangé la Pâque en souffrant sa Passion, lorsqu’il est passé de ce monde à son Père. Sur la croix il a mangé et il a bu, il s’est enivré et s’est endormi. Qui pourrait désormais craindre la croix ?

Je peux, Seigneur, faire le tour du ciel et de la terre, de la mer et des plaines, jamais je ne vous trouverai sinon sur la croix. Là vous dormez, là vous paissez le troupeau, là vous reposez à l’heure de midi (Ct 1, 7). Sur cette croix celui qui est uni à son Seigneur chante avec douceur : « Vous, Seigneur, bouclier qui m’entourez, ma gloire, vous me relevez la tête » (Ps 3, 4). Personne ne vous cherche, personne ne vous trouve, sinon sur la croix. Croix de gloire, enracine-toi en moi, pour que je sois trouvé en toi. Ainsi soit-il.

Antiennes

Ã. Ipsi vero in vanum quæsiérunt ánimam meam, introíbunt in inferióra terræ.

Ã. Mais eux, c’est en vain qu’ils en ont voulu à ma vie ; ils entreront dans les profondeurs de la terre.

Antienne grégorienne “Ipsi vero”

Ã. Ancílla dixit Petro : Vere tu ex illis es : nam et loquéla tua maniféstum te facit.

Ã. Une servante dit à Pierre : Certainement, toi aussi, tu es de ces gens-là : car ton accent te trahit.

Antienne grégorienne “Ancilla dixit”

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Mardi Saint

Mardi Saint

Mardi Saint

Le mot des Pères du désert
C’est en ne se souvenant que de ses propres fautes que l’âme acquiert l’humilité.

Sur la Semaine Sainte : sermon de Saint Bernard

Jésus devant la prospérité et l’adversité

Si Dieu a tout fait et réglé avec nombre, poids et mesure, c’est particulièrement en ce qui a rapport au temps où il s’est montré sur la terre, pour y vivre au milieu des hommes qu’il a réglé tout ce qu’il a fait, dit et souffert parmi eux, de telle sorte qu’il n’y eût pas un moment de sa vie, pas un iota de ce qu’il a dit, qui fût sans une signification sacramentelle et mystérieuse. Toutefois, les jours qu’il a plus particulièrement mis en lumière à nos yeux sont au nombre de cinq, en comptant celui où je vous parle. Ce sont ceux de sa marche triomphale, de la cène, de sa passion, de sa sépulture, et de sa résurrection, jours évidemment remarquables entre tous, et les plus insignes de sa vie entière.

Le premier de ces cinq jours où il a daigné recevoir les hommages des hommes, non point à pied, comme il l’avait fait jusqu’alors, mais monté sur un âne, dans les murs de Jérusalem, au milieu des transports de joie et des chants de triomphe de la population toute entière. Mais cette entrée triomphale fut le prélude de sa passion, car elle ralluma contre lui la haine des princes des prêtres. Nous lisons, il est vrai, dans un autre endroit de l’Évangile, qu’ayant appris que la foule allait venir le prendre pour le faire roi, il s’enfuit pour ne pas être élevé sur le trône (Io 6, 15) ; aujourd’hui qu’on ne le recherche plus il se présente de lui-même et veut être accueilli comme Roi d’Israël, et proclamé tel par toutes les bouches, que dis-je, il fait plus encore, car il n’est pas douteux qu’il porta lui-même les Juifs à faire entendre ces acclamations sur son passage. Jésus tient à peu près la même conduite pour sa passion. En effet, tantôt il s’éloigne, et se cache des Juifs, et ne veut plus se montrer en public dans la Judée, parce qu’on cherchait à le faire mourir (Io 7, 1), et tantôt lorsqu’il sait que son heure est venue, comme un homme qui est complètement maître de faire ce qu’il veut, il vient de lui-même au devant de la passion. Il convenait, en effet, que nous eussions un pontife, qui fût soumis aux mêmes épreuves que nous en toutes choses, à l’exception du péché (Hbr 4, 15), et que , comme les autres hommes, il sût à propos se soustraire ou s’exposer aux chances de la prospérité et aux coups de l’adversité, et nous donner, en sa personne, l’exemple salutaire de cette double conduite. En effet, s’il faut souvent, par l’esprit d’humilité, éviter les applaudissements du monde et fuir les prospérités du siècle, il est juste aussi parfois de les accepter, cela peut se trouver dans l’ordre. De même il est quelquefois prudent, selon les temps et les lieux, de fuir la persécution des hommes, et quelquefois nécessaire de la souffrir avec courage.

Le jour de la Procession

Dans ces deux choses, la prospérité et l’adversité se résume à peu près toute la vie de l’homme, et c’est dans la pratique de ces quatre formes que consiste toute notre vertu [Saint Bernard parle des vertus cardinales : prudence, justice, force, tempérance]. Il convenait donc que celui en qui se trouve la plénitude de la vertu, la pratiquât dans tous ses détails, afin de montrer, à tous les yeux, qu’il savait supporter l’abondance aussi bien que l’indigence. Car, on ne saurait dire que la sagesse de Dieu fût le partage de ceux que tue la prospérité, ni que sa vertu se trouvât parmi ceux que l’adversité abat, attendu qu’il est écrit, que ceux que tue leur prospérité, ce ne sont que les insensés, et que, s’il y en a que l’adversité abat, ce ne peuvent être que les enfants, non pas indistinctement tous les hommes (Prv 1, 32). Toutefois, avec quelle modestie voyons-nous qu’il accepte la gloire que les hommes lui décernent ! C’est monté sur un âne qu’il se présente à son triomphe, au lieu d’arriver dans un char ou sur un cheval magnifique, et il disait : « Si quelqu’un vous dit quelque chose, dites-lui que le Seigneur en a besoin (Mt 21, 3). » Oui, il en a besoin, mais pour de grandes choses, pour notre salut; car Dieu est venu sur la terre pour sauver en même temps les hommes et les bêtes, par un effet de son immense miséricorde. La grâce et l’honneur qu’il nous a fait favorise les commencements de notre conversion, et nous permet d’avoir d’abord un fils de celle qui était esclave. Ainsi, celui qui était attaché et ne pouvait ou ne voulait rien faire, s’est vu détaché sur l’ordre du Seigneur, ou plutôt, il s’est vu, sans le vouloir, et sans pouvoir résister, plus étroitement lié par un double lien. Mais, en attendant, il ne sait point se féliciter dans le Seigneur avec une assez grande pureté d’intention. Il est persuadé que ce qu’il fait plaît au Seigneur, et il se console dans la pensée que ce qu’il fait le rend, en quelque sorte, son débiteur, et il répète à chaque instant, que le Seigneur a besoin de son service. Mais, avec le temps, il finira certainement par se préoccuper de sa propre dette, il appréhendera de n’être plus digne aux yeux de son Seigneur de lui rendre cet important service, et s’écriera : Hélas! je ne suis qu’un serviteur inutile, vous n’avez pas besoin de mon service. Mais, quand il en sera venu là, il se trouvera dans les sentiments d’un amour véritable et fidèle. Dans les sentiments du fils de la femme libre, avec lequel celui de l’esclave ne doit pas partager l’héritage du père. Voilà ce que nous apprend le cortège triomphal du Seigneur en ce jour.

Le jour du repas : fortifier avant la Passion

Mais, avant la passion, notre affectueux père de famille a soin de donner une réfection à ses héritiers, et, c’est en cela encore, qu’apparaissent la bénignité et l’humanité du Sauveur; car, comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu’à la fin (Io 13, 1), et leur dit : « J’ai eu le plus grand désir de manger cette pâque avec vous avant de souffrir (Lc 22, 15). » Et il le fallait. Car Satan les avait réclamés pour les secouer au crible comme le froment (Lc 22, 31), il fallait donc commencer par les réconforter un peu. En effet, qu’eussent-ils fait s’ils eussent été tout à fait à jeûn, quand on les voit succomber comme ils le firent, même après avoir pris leur réfection ? C’était beaucoup moins la passion corporelle que la tentation de l’esprit qui le menaçait, puisqu’il devait soutenir seul l’épreuve de la passion jusqu’à ce qu’elle fût terminée, aussi est-ce le cœur bien plus que le corps de ses disciples qu’il fortifia par un peu de nourriture. Il fut, en effet, la seule victime nécessaire, voilà pourquoi il fut la seule immolée, et il n’était pas convenable, pour le Christ, que Pierre, que Jacques et que Jean souffrissent avec lui pour le salut des hommes. Il est vrai qu’il y en a eu deux autres de crucifiés avec lui, mais ce furent deux brigands, afin que nul ne pût soupçonner que le sacrifice du Sauveur fût insuffisant et qu’ils ont pu suppléer ce qui lui manquait, en souffrant avec lui.

Le pain qui fortifie le cœur

Mais je me demande quels pains le Sauveur donna à ses apôtres à, la cène. Il me semble qu’il leur en servit cinq. « Ma nourriture, dit-il; est de faire la volonté de mon Père (Io 4, 34): » C’est là, sans doute, une nourriture, mais ce n’est que la nourriture du cœur. Qu’y a-t-il qui soutienne et fortifie le cœur de l’homme, qui l’affermisse et le sustente dans toutes ses épreuves autant que le peut faire l’accomplissement de la volonté de Dieu, qui est pour l’âme comme l’aliment que l’estomac digère ? De même encore la parole de la divine exhortation, et la consolation de ses promesses, ainsi que les larmes de ceux qui prient, que ce soient là des pains pour le cœur, seul l’ignore celui dont le cœur s’est desséché. Mais au dessus de tout cela, je place la chair même du Seigneur qui est une véritable nourriture, le vrai pain de vie, le pain même vivant descendu du ciel (Io 6, 56).

Or, pour peu que vous le vouliez, vous remarquerez facilement qu’aucune de ces différentes nourritures n’a manqué dans la cène du Seigneur. En effet, lorsque les disciples étaient encore à table, Jésus se lève, se ceint les reins d’un linge, prend de l’eau dans un bassin, puis se met à laver et à essuyer les pieds de ses disciples. Assurément, on ne saurait voir là la volonté de la chair et du sang, c’était la volonté du Père et notre sanctification qui commandaient. En effet, le Seigneur lui-même le fait bien comprendre lorsque, en s’adressant à Pierre, il lui dit : « Si je ne te lave les pieds, tu n’auras point de part avec moi (Io 13, 8). » Or, nous savons bien de qui sont ces paroles : « Je ne repousserai point celui qui vient à moi; car je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé (Io 6, 37). » Il était convenable, et d’ailleurs, c’était son habitude, qu’il joignit l’exemple au précepte. En parlant alors à ses apôtres, et il le fit plus longuement qu’à l’ordinaire, il s’efforce de les rassurer et de les ranimer, contre sa passion qui est imminente, par de nombreuses promesses concernant sa résurrection; l’envoi du Paraclet, leur confirmation dans le bien, et leur retour final vers lui.

Puis après, il se mit en prières, et, répétant jusqu’à trois fois de suite la même chose, il entra en agonie, et alors on le vit, s’il est permis de parler ainsi, pleurer non-seulement des yeux, mais de tous ses membres, afin de purifier par ses larmes, son corps tout entier, c’est-à-dire l’Église. Car ce qui est du sacrement de son corps et de son sang, il n’y a personne qui ne sache que c’est ce jour-là, que, pour la première fois, nous fut donné en nourriture aussi digne d’admiration qu’unique en son genre, et que nous avons reçu le précepte de la manger fréquemment désormais.

Passion, dormition, résurrection

Vient ensuite le jour de la passion, pendant lequel, pour sauver l’homme tout entier, il fit, de toute sa personne, une hostie salutaire, en exposant son corps à toute sorte de supplices et de traitements injustes, et son âme, en deux circonstances différentes, aux souffrances de la compassion humaine; la première fois, par la vue de la douleur incontestable des saintes femmes, et la seconde, par celle du découragement et de la dispersion de ses disciples. C’est même dans ces quatre souffrances, que consiste la croix du Seigneur, et voilà tout ce qu’endura pour nous celui qui compatit à nos malheurs avec tant du charité. Mais enfin, pour ce qui est des souffrances de sa passion, elles eurent une fin, comme il le prédit aux saintes femmes, en les consolant, une fin bien prompte, et que vous connaissez, sa sépulture, ou son repos, et sa résurrection. Et nous aussi, mes Frères, si nous avons hâte d’entrer également dans notre repos, nous ne devons point oublier qu’il nous faut d’abord passer par des épreuves nombreuses. Mais , tant que nous serons dans la tribulation, il nous semble que le comble de nos vœux se trouvera pour nous dans le repos après lequel nous soupirons, et que nous n’aurons plus rien, à désirer alors. Mais, hélas! dans le repos même de la mort, nous ne goûterons pas encore un complet repos, nous serons encore en proie à un désir, à celui de la résurrection éternelle. « Dès lors, est-il dit, ils se reposeront de leurs travaux (Apc 1, 13).» Or, si ceux qui meurent dans le Seigneur se reposent de leurs travaux, ils ne laissent pourtant point encore de pousser des cris vers le Seigneur. Placées sous le trône de Dieu, les âmes de ceux qui ont été mis à mort pour lui, ne cessent de crier vers lui (Apc 6, 9), parce que, s’il n’y a plus rien qui les fasse souffrir dans l’état où elles sont, cependant elles ne possèdent pas encore tout, ce qui doit mettre le comble à leur bonheur, et elles ne l’auront que lorsque leur repos sera suivi de la résurrection, et que, à leur sabbat, aura succédé la Pâque.

Prières

Oratio

Omnípotens sempitérne Deus : da nobis ita Domínicæ passiónis sacraménta perágere ; ut indulgéntiam percípere mereámur. Per eúndem Dóminum.

Oraison

Dieu tout-puissant et éternel, donnez-nous de célébrer les mystères de la passion du Seigneur de telle sorte que nous méritions de recevoir la rémission de nos péchés. Par le même Seigneur Jésus-Christ.

Oratio

Tua nos misericórdia, Deus, et ab omni subreptióne vetustátis expúrget, et capáces sanctæ novitátis effíciat. Per Dóminum.

Oraison

Que votre miséricorde, ô Dieu, nous purifie de tout ce que nos vieilles tendances pourraient secrètement dérober à nos devoirs et nous rende capables d’une sainte nouveauté.

Prière de Saint Anselme (1033-1109)

Ô Père glorieux, jetez un regard sur les membres déchirés de votre Fils, jadis si gracieux, et, dans votre bonté, Seigneur, rappelez-vous qui je suis. Considérez les peines de l’Homme-Dieu, et guérissez les misères de l’homme créé. Voyez les supplices du Rédempteur, et remettez les dettes du racheté. Restez les yeux fixés, ô Père, sur le corps de votre bien-aimé Fils, qui n’est étendu sur cette Croix que par amour pour moi. Voyez ces mains innocentes, toutes ensanglantées, et pardonnez avec douceur tous les crimes que mes propres mains ont commis. Contemplez la poitrine de votre Fils, percée par une lance cruelle, et renouvelez-moi tout entier dans cette source sacrée qui coule de son Cœur. Regardez enfin comme ses pieds immaculés ont été percés de clous épouvantables, et retenez énergiquement mes pas dans vos chemins, ô mon Dieu. Ainsi soit-il.

Antienne

Ã. Potestátem hábeo ponéndi ánimam meam, et íterum suméndi eam.

Ã. J’ai le pouvoir de donner ma vie, et j’ai le pouvoir de la reprendre.

Antienne grégorienne “Potestatem habeo”

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Lundi Saint

Lundi Saint

Lundi Saint

Le mot de Saint Augustin

Toi qui es bon, supporte les méchants pour arriver à la récompense des bons, et ne pas tomber dans le supplice des méchants.

L’onction de Béthanie (Io 12, 1-9) : commentaire de Dom Paul Delatte

Le Seigneur arrive à Béthanie six jours avant la Pâque ; admettons six jours pleins, Jésus ayant pu entrer dans la bourgade le vendredi matin. Le soir, c’est le sabbat qui commence. Le Seigneur se reposera vingt-quatre heures à Béthanie, où demeurait Lazare, celui qui était passé par la mort et que Jésus avait ressuscité. Il est permis de supposer qu’il descendit chez Lazare, encore que le repas du lendemain ait eu lieu, selon les synoptiques, chez Simon, dit le Lépreux, sans doute un parent ou un ami du ressuscité. Les deux sœurs sont présentes. Lazare, dit saint Jean, est aussi parmi les convives : il eût été superflu de le noter si le repas avait été donné chez lui ; cette réflexion de saint Jean s’explique, rapprochée de la précision de saint Matthieu et de saint Marc : in domo Simonis leprosi. À ne lire que le récit des deux synoptiques, on serait tenté de croire que, dans leur pensée, le repas chez Simon eut lieu le mercredi saint, au soir, deux jours avant la Pâque (post biduum Pascha fiet : Mt 26, 2 ; Mc 14, 1) ; mais l’indication de saint Jean est voulue et formelle. Il faut donc admettre, avec saint Augustin (De consensu Evangelist. 1. II, c. 78), que les synoptiques, à cet endroit de leur histoire, rapportent un fait antérieur de quelques jours, mais qui pour eux se noue à la trahison de Judas et appartient déjà réellement aux mystères de la Passion et de la sépulture du Seigneur. Saint Luc, lui, n’a parlé ni de ce repas ni de l’onction qui eut lieu alors : peut-être parce qu’il a déjà décrit un repas, chez Simon le Pharisien, où se fit une onction, différente de celle-ci, mais présentant néanmoins avec elle des analogies (Lc 7, 36-50).

Chez Simon le Lépreux, Marthe est à son office actif et s’empresse autour des convives. Marie est là, elle aussi, attentive, aimante, silencieuse, et active à sa manière. Même sans pénétrer tout le mystère de l’avenir, elle se prêta à la motion intérieure de Dieu pour le prophétiser. Elle prit, dans un vase d’albâtre, une livre d’un parfum de nard très pur, de grand prix ; et, brisant le col du vase au-dessus du Seigneur couché à table, elle répandit sur sa tête le parfum liquide. Puis, s’agenouillant, cette fois encore, aux pieds du Sauveur, elle versa sur eux ce qui restait dans le vase brisé, et, de ses cheveux dénoués, les essuya. Ainsi, toute la personne de Jésus était enveloppée comme d’un voile ou d’un linceul de parfum ; et l’odeur exquise se répandit dans la maison entière. Mais cette prodigalité magnifique déplut à Judas Iscariote, le traître, qui savait, lui, le prix des choses. Il dit tout haut son indignation, que partagèrent, semble-t-il, d’autres disciples : « A quoi bon, grondait Judas, un tel gaspillage ? On aurait pu vendre ce parfum, en retirer au moins trois cents deniers (dix fois plus que ne sera estimé le Seigneur), et les donner aux pauvres. » Ce n’est pas, remarque saint Jean, qu’il eût réellement souci des pauvres ; mais comme il était chargé de la bourse commune, et voleur, il détournait les fonds qu’on y versait.

Cet état de l’âme de Judas vaut la peine qu’on s’y arrête un instant. L’homme de Carioth était Juif (Iudæus, c’est-à-dire originaire de Judée) : probablement le seul Juif parmi les apôtres ; les autres étaient Galiléens, comme le Seigneur. Néanmoins, le Seigneur l’avait choisi ; et, avec la grâce de l’apostolat, la plus haute après la Maternité divine, il lui avait accordé les lumières, les énergies, toutes les ressources surnaturelles requises pour porter dignement sa glorieuse distinction. Il avait été bon, tout d’abord. Il avait sans doute fait des miracles et chassé des démons. Le Seigneur lui avait témoigné de la confiance : comme il était homme de savoir-faire, et qu’un Juif était plus apte qu’un Galiléen à se mettre en rapport avec tous, l’office de trésorier du collège apostolique lui avait été confié. Il s’y était dévoué. Mais il avait fini par regarder à son office, non au Seigneur. Sa naissance et sa fonction relevaient au-dessus de ses frères : cependant saint Pierre demeurait le premier, et saint Jean était plus aimé… Et dès que le Seigneur se réduisit au rôle d’un Messie humble, sans gloire nationale et sans conquête, peut-être ce Juif en souffrit-il plus que les autres.

Depuis plus d’un an (Io 6, 71-72), la pensée de Judas et son cœur s’étaient détournés de Jésus. Il ne demeurait plus parmi les apôtres qu’à raison de son culte pour l’argent. Il avait eu le sort effrayant de tous ceux qui se divisent : un travail perfide et secret avait lentement détaché sa vie du Seigneur et l’avait livrée, toute, à sa passion : l’avidité. En vue de quoi ? On ne sait pas. Peut-être en vue du royaume dont il eût été le grand financier. C’est Judas qui avait le soin des pauvres et faisait les aumônes au nom du Seigneur. Et par un phénomène de transposition mentale qui se rencontre parfois, lui qui soulageait les pauvres au nom du Seigneur se laisse entraîner maintenant à décrier le Seigneur au nom des pauvres. Car, on ne saurait s’y méprendre : le réquisitoire du disciple financier était dirigé contre son Maître. N’était-ce pas, en effet, à cause de Jésus, pour lui complaire, avec une sorte de connivence et de complicité de sa part que venait de s’accomplir, et pour la seconde fois, cette folle prodigalité ? D’ailleurs, comme nous le révèle saint Jean, cette prétendue sollicitude envers les pauvres n’était qu’un prétexte, couvrant mal la cupidité déjà invétérée de Judas. — Ut quid perditio hæc ! Combien de fois, au cours des siècles, retentira cette exclamation contre d’autres prodigalités ! À quoi bon le luxe de la maison de Dieu ? à quoi bon tant de prières ? demandent les hommes utilitaires et pratiques ; à quoi servent les contemplatifs, moines et moniales ? ce sont des vies perdues !

Sainte Marie-Madeleine avait une réponse, semble-t-il, tout indiquée : C’est mon bien ; j’ai le droit d’en user, même d’en abuser. Est-ce vraiment en abuser que de le rendre au Seigneur ? Je me suis bien donnée, moi : pourquoi ne pourrais-je donner mon bien ? C’eût été décisif : le silence de Madeleine le fut davantage. Même, entendit-elle les murmures qui s’élevaient contre elle ? Est-ce que son âme n’était pas ravie ailleurs ? Sainte Madeleine n’est justiciable que de son Seigneur ; nulle fierté, mais la seule confiance. Et comme autrefois, le Seigneur lui-même se constitue son avocat : « Pourquoi, dit-il, faites-vous de la peine à cette femme ? Laissez-la. C’est une bonne œuvre qu’elle accomplit à mon égard. Les pauvres ne vous manquent jamais ; et quand vous le voulez, vous pouvez toujours leur faire du bien ; mais moi, vous ne m’avez pas toujours. Elle a fait ce qu’elle pouvait faire : elle a acquis et gardé ce parfum pour le jour de ma sépulture, d’avance elle a embaumé mon corps. » Son acte est emblématique. A mots couverts, et que le traître était, mieux que personne, à même de comprendre, Jésus annonçait sa mort prochaine. Les deux synoptiques ont ajouté une prophétie du Seigneur : « Je vous le dis, en vérité, partout où sera prêché cet évangile, c’est-à-dire dans le monde entier, on racontera aussi le geste de cette femme, pour exalter et perpétuer sa mémoire. »

Marthe et Marie : commentaire de Saint Ambroise

Par l’exemple de Marthe et de Marie, on montre dans les œuvres de l’une le dévouement actif, chez l’autre l’attention religieuse de l’âme à la parole de Dieu ; si elle est conforme à la foi, elle passe avant les œuvres elles-mêmes, ainsi qu’il est écrit : « Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée. » Appliquons-nous donc, nous aussi, à posséder ce que nul ne pourra nous enlever, en prêtant une oreille non pas distraite, mais attentive : car il arrive au grain même de la parole céleste d’être dérobé, s’il est semé le long de la route (Lc 8, 5, 12).

Soyez, comme Marie, animé du désir de la sagesse : c’est là une œuvre plus grande, plus parfaite. Que le soin du ministère n’empêche pas la connaissance de la parole céleste. Ne reprenez pas et ne jugez pas oisifs ceux que vous verrez occupés de la sagesse : car Salomon le pacifique a cherché à l’avoir en sa demeure (Sap 9, 10 ; Prv 8, 12). Pourtant on ne reproche pas à Marthe ses bons offices ; mais Marie a la préférence, pour s’être choisi une meilleure part. Car Jésus a de multiples richesses et fait de multiples largesses : aussi la plus sage a choisi ce qu’elle a reconnu être le principal. Par ailleurs les Apôtres n’ont pas jugé qu’il fût pour le mieux de délaisser la parole de Dieu et de servir aux tables (Act 6, 2) ; mais les deux choses sont œuvre de sagesse, car Étienne aussi était rempli de sagesse et fut choisi comme serviteur.

Donc que celui qui sert obéisse à celui qui enseigne, et que celui qui enseigne exhorte et anime celui qui sert. Car le corps de l’Église est un, si les membres sont divers ; ils ont besoin l’un de l’autre ; « l’œil ne saurait dire à la main : je ne désire pas tes services, ni de même la tête aux pieds » (1 Cor 12, 12 ssq.), et l’oreille ne saurait nier qu’elle soit du corps. Car s’il en est de principaux, les autres sont nécessaires. La sagesse réside dans la tête, l’activité dans les mains ; car « les yeux du sage sont dans sa tête » (Sir 2, 14), puisque le vrai sage est celui dont l’esprit est dans le Christ, et dont l’œil intérieur est levé vers les hauteurs ; aussi les yeux du sage sont dans sa tête, ceux du fou dans son talon.

Prières

Oratio

Da, quæsumus, omnípotens Deus : ut, qui in tot advérsis ex nostra infirmitáte defícimus ; intercedénte unigéniti Fílii tui passióne respirémus : Qui tecum vivit.

Oraison

Dieu tout-puissant qui voyez que notre faiblesse succombe au milieu de tant d’épreuves, accordez-nous quelque soulagement par les mérites de la passion de votre Fils unique. Lui qui vit et règne avec vous…

Oratio

Adiuva nos, Deus, salutáris noster : et ad benefícia recolénda, quibus nos instauráre dignátus es, tríbue veníre gaudéntes. Per Dóminum nostrum.

Oraison

Aidez-nous, ô Dieu notre Sauveur, et donnez-nous de célébrer avec joie le souvenir des bienfaits par lesquels vous avez daigné nous régénérer.

Prière de Sainte Gertrude (1256-1301)

Qui est semblable à vous, mon Seigneur Jésus-Christ, mon doux amour, très haut et immense, et qui regardez les choses les plus humbles ? Qui est semblable à vous parmi les puissants, Seigneur, qui choisissez les choses les plus faibles dans le monde ? Qui est tel que vous, qui avez formé le ciel et la terre et qui voulez trouver vos délices avec les enfants des hommes ? Quelle est votre grandeur, ô Roi des rois et Seigneur des seigneurs ? Vous qui commandez aux astres et qui approchez votre Cœur de l’homme ? Qui êtes-vous, vous qui tenez dans votre droite les richesses et la gloire ? Ô Amour, jusqu’où inclinez-vous votre majesté ? Amour, où conduisez-vous la source de la Sagesse ? Assurément jusqu’à l’abîme de la misère. « Venez, venez, venez » : je viens, je viens, je viens à vous, Jésus très aimant, vous que j’ai aimé, que j’ai recherché, que j’ai désiré. À cause de votre douceur, de votre compassion et de votre charité, vous aimant de tout mon cœur, de toute mon âme, de toute ma force, je me rends à votre appel. Ainsi soit-il.

Antiennes
Ã. Fáciem meam non avérti ab increpántibus et conspuéntibus in me.
Ã. Ma face, je ne l’ai pas détournée de ceux qui me réprimandaient et qui crachaient sur moi.

Antienne grégorienne “Faciem meam”

Ã. Appendérunt mercédem meam trigínta argénteos : quos appretiátus sum ab eis.
Ã. Ils ont pesé ma valeur : trente pièces d’argent, le prix auquel il m’estime.​

Antienne grégorienne “Appenderunt”

Ã. Non habéres in me potestátem, nisi désuper datum tibi fuísset.
Ã. Tu n’aurais pas de pouvoir sur moi, s’il ne t’avait été donné d’en haut.

Antienne grégorienne “Non haberes”

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Dimanche des Rameaux

Dimanche des Rameaux

Dimanche des Rameaux

Annonce du Martyrologe Romain
Le Dimanche des Palmes, jour où Notre-Seigneur Jésus-Christ, monté sur le petit d’une ânesse, selon la prophétie de Zacharie, entra à Jérusalem, tandis que la foule, des branches de palmier à la main, se portait à sa rencontre.
Le mot de Saint Augustin
Les branches de palmier sont les louanges et sont l’emblème de la victoire ; car, en mourant, le Seigneur allait vaincre la mort, et, par sa croix, triompher du diable, prince de la mort.
Sermon

Sentiments chrétiens par rapport à la Passion du Christ

L’ovation des Rameaux (Mt 21, 1-9) : commentaire de Dom Paul Delatte
À mesure que nous avançons vers la Passion, le récit des évangélistes, habituellement sommaire, devient tellement abondant que l’on peut suivre le Seigneur pas à pas. Il passa probablement à Béthanie la nuit du samedi au dimanche. Le lendemain, peut-être dans l’après-midi, il reprit sa marche vers Jérusalem, distante de trois kilomètres environ. Avec ses disciples, c’est déjà tout un cortège de pèlerins et de Juifs qui l’accompagnent. Bientôt la nouvelle de son arrivée parvient à Jérusalem ; et une foule de personnes, venues dans la ville à l’occasion de la Pâque, sortent au-devant de lui. Les deux cortèges vont se rencontrer, et une grande ovation se prépare. Le Seigneur, qui, jusqu’à ce moment, ne s’était jamais prêté, en Galilée, aux manifestations et à la reconnaissance populaire, condescend aujourd’hui, organise même ce triomphe du Messie qui va mourir.

En approchant de Bethphagé, un village situé sur les pentes orientales du mont des Oliviers, il envoie deux de ses disciples faire les préparatifs voulus par Dieu. « Allez, leur dit-il, au village qui est devant vous, — Bethphagé sans doute ; — aussitôt entrés, vous trouverez un ânon (avec l’ânesse, note saint Matthieu), un ânon qui n’a encore été monté par personne ; détachez-les et amenez-les moi. Et si quelqu’un vous demande : Que faites-vous là ? Pourquoi détachez-vous ces montures ? vous répondrez : C’est parce que le Seigneur en a besoin ; mais il les renverra aussitôt (ou, selon la traduction commune : et on vous laissera faire). » Toutes choses se passèrent exactement comme le Seigneur l’avait dit. Notons le caractère vivant du récit et l’extrême précision de détails, surtout chez saint Marc. Les deux disciples s’en allèrent au hameau désigné, trouvèrent l’ânon attaché près d’une porte, au dehors, sur la rue, et se mirent en devoir de le délier. Des gens qui se trouvaient là, — les propriétaires, précise saint Luc, — leur dirent : « Que faites-vous ? pourquoi détachez-vous l’ânon ? » Ils répondirent simplement, selon leurs instructions : « Parce que le Seigneur en a besoin » ; et on les laissa faire. Et, lorsqu’ils furent revenus près de leur Maître, les disciples disposèrent leurs manteaux sur les deux animaux ; et le Seigneur ayant choisi l’ânon comme monture, ils l’aidèrent à s’y installer.

Or toutes ces choses s’accomplissaient, ne manque pas de remarquer saint Matthieu, afin que fût réalisée la parole prophétique : « Dites à la fille de Sion, c’est-à-dire à Jérusalem (Is 62, 11) : Voici que votre roi vient à vous, plein de douceur, monté sur un âne, sur le petit de celle qui porte le joug » (Za 9, 9). Saint Jean a relevé, lui aussi, l’accomplissement de cette prophétie messianique. Mais il ajoute que les disciples n’en eurent pas conscience à l’heure même : plus tard seulement, après la glorification du Seigneur et après avoir reçu l’intelligence des Écritures, ils se souvinrent de la prophétie, comprirent qu’elle regardait ce triomphe pacifique de Jésus, et observèrent avec joie qu’ils avaient contribué, à leur insu, à en réaliser la teneur.

Lentement, le Seigneur s’avançait vers la ville sainte. Beaucoup se dépouillaient de leurs manteaux et les étendaient sur le chemin. Nous savons, par le récit de ce qui se fit à l’intronisation de Jéhu (4 Rg 9, 13), que jeter ses vêtements sous les pieds d’un homme, c’était le reconnaître comme roi et seigneur. D’autres arrachent aux arbres leurs rameaux, vont couper de la verdure dans les champs voisins, et en jonchent le parcours, afin de préparer au Seigneur un chemin qui fût bien à lui et qui n’eût été foulé par personne. Devant le Seigneur et derrière lui marche une foule mêlée de Galiléens et de Juifs, portant en main, dit saint Jean, « les branches des palmiers », c’est-à-dire les tiges cueillies çà et là en cours de route (cf. 1 Mcc 13, 51 ; 2 Mcc 10, 7). Saint Luc a noté l’endroit précis où retentirent les acclamations enthousiastes de la foule : on descendait la pente du mont des Oliviers. Tous, mais ceux-là surtout qui avaient contemplé les nombreux miracles du Seigneur, et notamment, dit saint Jean, la résurrection de Lazare, glorifiaient Dieu à haute voix : « Hosanna ! Hosanna au Fils de David, au roi d’Israël ! Béni celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni soit l’avènement du royaume de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! » Et l’on entendit même, selon saint Luc, un écho du chant angélique qui avait retenti autrefois sur le berceau du Sauveur : « Paix dans le ciel, et gloire au plus haut des cieux ! »

Hosanna n’est pas simplement une interjection, c’est encore une prière : « Sauvez-nous ! » C’est un appel à Dieu pour qu’il protège et sauve la nation : ici, pour qu’il donne longue vie et règne au Messie. Pendant la fête des Tabernacles, les Juifs répétaient sans fin l’Hosanna en agitant des palmes, tandis que les anneaux de la procession liturgique se déroulaient autour de l’autel des holocaustes. Le Psaume 117, auquel est emprunté le « Benedictus qui venit in nomine Domini », était, lui aussi, un chant de procession triomphale ; il avait sa place dans la liturgie des Tabernacles et les Juifs le regardaient comme messianique. Selon leur foi traditionnelle, le règne du Messie devait être la consécration du régime théocratique ; or voici que le nouveau roi se présente au nom et avec l’autorité de Dieu, et pour accomplir son oeuvre. Le voilà donc revenu, le règne de David, avec les gloires d’autrefois ! Que le chant de l’Hosanna retentisse jusqu’au plus haut des cieux !

Jésus, l’ânesse et l’ânon : commentaire allégorique de Saint Ambroise (in Lc IX)

Nous lisons selon Matthieu qu’il y avait ânesse et ânon ; de la sorte, comme dans les deux humains l’un et l’autre sexe avait été expulsé, dans les deux animaux l’un et l’autre sexe est rappelé. D’une part donc l’ânesse figurait Ève, mère d’erreur ; d’autre part son petit représentait l’ensemble du peuple des Gentils ; aussi est-ce le petit de l’ânesse qui sert de monture. Et réellement « personne ne l’a monté », car personne avant le Christ n’avait appelé à l’Eglise les peuples des nations ; aussi bien avez-vous lu en Marc : « Que nul homme encore n’a monté. » (Mc 11, 2). Or il était tenu captif par les liens de l’incrédulité, livré au maître méchant à qui son égarement l’avait asservi, mais qui ne pouvait revendiquer ce domaine, l’ayant obtenu non par droit de nature, mais par une faute. Marc mentionne : « Lié devant la porte » (Mc 11, 4) : car quiconque n’est pas dans le Christ est dehors, dans la rue ; mais qui est dans le Christ n’est pas au-dehors. « Sur le passage », ajoute-t-il (Ib.) : là, pas de propriété assurée, pas de crèche, pas d’aliments, pas d’étable. Misérable esclavage, dont la condition est indécise : on a bien des maîtres, faute d’en avoir un. Les autres attachent pour posséder ; Jésus délie pour retenir : les dons, Il le sait bien, sont plus forts que les liens.

Le Maître du monde donc n’a pas mis son plaisir à faire porter son corps visible sur l’échine d’une ânesse ; mais Il voulait, par un mystérieux secret, sceller l’intime de notre âme, s’installer au fond des cœurs, s’y asseoir, cavalier mystique, y prendre place comme corporellement par sa divinité, réglant les pas de l’âme, bridant les soubresauts de la chair, et habituer le peuple des Gentils à cette aimante direction afin de discipliner ses sentiments.

Heureux ceux qui ont accueilli sur le dos de leur âme un tel cavalier ! Heureux vraiment ceux dont la bouche, pour ne pas se répandre en bavardages, a été retenue par la bride du Verbe céleste ! Quelle est cette bride, mes frères ? Qui m’enseignera comment elle serre ou délie les lèvres des hommes ? Il m’a fait voir cette bride, celui qui a dit : « afin que la parole me soit donnée pour ouvrir mes lèvres » (Eph 6, 19). La parole est donc bride, la parole est aiguillon ; aussi « il vous est fâcheux de regimber contre l’aiguillon » (Act 9, 5 ; 26, 14). Il nous a donc appris à ouvrir notre cœur, à endurer l’aiguillon, à porter le joug ; qu’un autre nous apprenne encore à supporter le frein de la langue : car plus rare est la vertu du silence que celle de la parole. Oui, qu’il nous l’apprenne, celui qui, comme muet, n’a pas ouvert la bouche contre l’imposture, prêt pour les fouets (Ps 37, 14) et ne refusant pas les coups, pour être une docile monture à Dieu.

Apprenez d’un familier de Dieu à porter le Christ, puisque Lui vous a porté le premier, quand, pasteur, Il ramenait la brebis égarée (Lc 15, 6) ; apprenez à prêter de bonne grâce le dos de votre âme ; apprenez à être sous le Christ, afin de pouvoir être au-dessus du monde. Ce n’est pas le premier venu qui porte aisément le Christ, mais celui qui peut dire : « Je me suis courbé et abaissé à l’extrême ; je rugissais sous la plainte de mon cœur » (Ps 37, 9).

Et si vous souhaitez ne pas trébucher, posez sur les vêtements des saints vos pas purifiés ; prenez garde en effet d’avancer les pieds boueux. Gardez-vous de prendre la traverse, abandonnant le chemin jonché pour vous, les voies des Prophètes : car pour ménager aux nations qui viendraient une marche plus assurée, ceux qui précédèrent Jésus ont couvert le chemin de leurs propres vêtements, jusqu’au temple de Dieu. Pour vous faire avancer sans heurt, les disciples du Seigneur, dépouillant le vêtement de leur corps, vous ont, par leur martyre, frayé la voie à travers les foules hostiles.

Si pourtant quelqu’un veut l’entendre ainsi, nous ne contestons pas que l’ânon marchait également sur les vêtements des Juifs. Mais que veulent dire ces rameaux brisés ? À coup sûr, ils embarrassent habituellement les pas qui les foulent. Je serais bien perplexe, si plus haut le bon jardinier du monde entier ne m’avait appris que « déjà la cognée est mise aux racines des arbres » (Lc 3, 9) : à la venue du Seigneur Sauveur elle abattra les stériles, et jonchera le sol de la vaine parure des nations sans fruit, que fouleront les pas des fidèles, afin que, renouvelés dans leur âme et esprit, les peuples puissent, comme les pousses de nouveaux plants, surgir sur les vieilles souches.

Ne méprisez donc pas cet ânon : de même que la peau des brebis peut couvrir des loups rapaces (Mt 7, 15), de même inversement un cœur humain peut se cacher sous les dehors d’une bête ; car sous le vêtement du corps, qui nous est commun avec les animaux, vit l’âme que Dieu remplit. Qu’il y ait là une figure des hommes, saint Jean l’a mis en pleine clarté, quand il ajoute qu’ils prirent en mains la fleur des palmiers (Io 12, 13) ; car « le juste fleurira comme le palmier » (Ps 91, 13). Ainsi, à l’approche du Christ, se dressaient, dépassant les épaules des hommes, les étendards de la justice et les emblèmes des triomphes. Pourquoi la foule s’étonne-t-elle du mystère qui s’accomplit ? Bien qu’ignorant ce qui l’étonne, elle admire pourtant que sur cet ânon la Sagesse ait pris place, la vertu soit assise, la justice établie. Ne méprisez pas non plus cette ânesse : jadis elle a vu l’ange de Dieu, qu’un homme ne pouvait voir (Nm 22, 23 ssq.). Elle a vu, elle s’est rangée, elle a parlé, pour vous apprendre que dans les temps qui suivraient, à l’avènement du Grand Ange (Is 9, 6) de Dieu, les Gentils, ânes jusque-là, parleraient.

Prières

Oratio

Deus, quem dilígere et amáre iustítia est, ineffábilis grátiæ tuæ in nobis dona multíplica : et qui fecísti nos in morte Fílii tui speráre quæ crédimus ; fac nos eódem resurgénte perveníre quo téndimus : Qui tecum.

Oraison

Ô Dieu, qu’il est très juste d’aimer et de chérir, multipliez en nous les dons de votre grâce ineffable, et, comme par la mort de votre Fils vous nous avez fait espérer ce qui est l’objet de notre foi, faites-nous arriver, par sa résurrection, au terme vers lequel nous aspirons. Vous qui vivez.

Oratio

Deus, qui Fílium tuum Iesum Christum, Dóminum nostrum, pro salute nostra in hunc mundum misísti, ut se humiliáret ad nos et nos revocáret ad te : cui etiam, dum Ierúsalem veniret, ut adimpléret Scripturas, credéntium populórum turba, fidelíssima devotióne, vestiménta sua cum ramis palmárum in via sternébant : præsta, quæsumus ; ut illi fídei viam præparémus, de qua, remoto lápide offensiónis et petra scándali, fróndeant apud te ópera nostra iustítiæ ramis : ut eius vestigia sequi mereámur : Qui tecum.

Oraison

Ô Dieu, qui, pour notre salut, avez envoyé en ce monde votre Fils Jésus-Christ Notre Seigneur, afin qu’en s’abaissant jusqu’à nous il nous fît remonter à vous, et qui avez voulu que, lorsqu’il entra à Jérusalem pour accomplir les Écritures, un peuple fidèle étendît avec une piété sincère ses vêtements et des palmes sur son passage, faites que nous aussi, par notre foi, nous lui préparions une voie, que nous ôtions la pierre d’achoppement et de scandale et que de nos œuvres poussent des rameaux de justice, afin que nous méritions de marcher sur ses traces, lui qui vit et règne…

Oratio

Omnípotens sempitérne Deus, qui Dóminum nostrum Iesum Christum super pullum ásinæ sedére fecísti, et turbas populórum vestiménta vel ramos arbórum in via stérnere et Hosánna decantáre in laudem ipsíus docuísti : da, quæsumus ; ut illórum innocéntiam imitári póssimus, et eórum méritum cónsequi mereámur. Per eúndem Christum, Dóminum nostrum.

Oraison

Dieu tout-puissant et éternel, qui avez envoyé la foule du peuple au-devant de Jésus-Christ Notre Seigneur monté sur l’ânesse et leur avez inspiré d’étendre leurs vêtements, de jeter des branches sur son passage et de chanter Hosanna à sa louange, faites-nous la grâce d’imiter leur innocence et d’avoir part à leur mérite. Par le même Jésus-Christ Notre-Seigneur qui vit et règne dans l’unité du Saint-Esprit dans les siècles des siècles.

Oratio

Omnípotens sempitérne Deus, qui humáno generi, ad imitandum humilitátis exémplum, Salvatórem nostrum carnem súmere et crucem subíre fecísti : concéde propítius ; ut et patiéntiæ ipsíus habére documénta et resurrectiónis consórtia mereámur. Per eúndem Dóminum nostrum.

Oraison

Dieu tout-puissant et éternel, qui avez voulu que notre Sauveur prît la chair humaine et supportât les tourments de la croix, afin de servir de modèle d’humilité au genre humain, accordez-nous, dans votre bonté, d’être, à son exemple, toujours courageux dans les épreuves et de mériter par là d’avoir part à sa résurrection. Par le même Jésus-Christ.

Antiennes
Ã. Púeri Hebræórum, tolléntes ramos olivárum, obviavérunt Dómino, clamántes et dicéntes : Hosánna in excélsis.
Ã. Les enfants des Hébreux, portant des branches d’olivier, allèrent au-devant du Seigneur ; ils criaient et disaient : Hosanna au plus haut des cieux.

Antienne grégorienne “Pueri hebræorum tollentes”

Ã. Púeri Hebræórum vestiménta prosternébant in via et clamábant, dicéntes : Hosánna fílio David : benedíctus, qui venit in nómine Dómini.
Ã. Les enfants des Hébreux étendaient leurs vêtements sur le chemin ; ils criaient et disaient : Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !

Antienne grégorienne “Pueri hebræorum vestimenta”

Antiennes Pueri Hebreorum

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