L’influence du Miracle sur les catholiques #2

Confréries du Saint-Sacrement. – Fondation de bénédictions.

Cependant une vie religieuse plus intense circulait dans notre pays. Les confréries du Saint-Sacrement s’y multipliaient. Il en existait déjà quelques-unes avant 1608 : la confrérie de Saint-Pierre date de 1399, celle de Sancey de 1591 ; la confrérie romaine, érigée par Paul III à Santa Maria supra Minervam, en 1539, dut également donner lieu à d’autres fondations, par exemple celle de Vesoul. Mais, c’est à partir de 1608 que le mouvement s’accentue en Franche-Comté . Après Faverney, nous voyons Gray (juin 1609), Moroy (1617), Vuillafans (1614) ; le Russey et les Franches-Montagnes, Traves (même époque) ; Chaux-lez-Clerval (avant 1668) ; Banans (1676) ; Colombier (1707) ; Servance (1709) et une quantité indéfinie d’autres dont nos vénérés confrères n’ont pu que nous dire : elles sont très anciennes. Il n’en reste quelquefois que des usages pieux, comme l’exposition du saint Sacrement au troisième dimanche du mois ; quelquefois moins encore : à Fourg-lez-Quingey, c’est, sur la place publique, une croix de pierre, portant un ostensoir ; à Fougerolles, un ostensoir en bois, que le clergé mettait publiquement aux enchères, il y a quelques années encore, et qui était porté, aux processions solennelles, par l’heureux adjudicataire.

Les recherches que nous avons faites, si insuffisantes qu’elles soient, montrent que le tiers de nos paroisses avaient, au XVème siècle, la confrérie du Saint-Sacrement.

En corollaire, et à côté de ces confréries, se développèrent, au XVIIème siècle, les fondations de messes du saint Sacrement, spécialement le jeudi, et les bénédictions qui s’y rattachaient. C’est ainsi qu’à Scey-sur-Saône, les fondations de messes à exposition, complètement inconnues avant 1608, se multiplient à partir de cette époque.

Charles-Louis de Vienne de Beauffremont prend d’abord tous les premiers jeudis du mois, plus quatre-vingts autres jours de l’année ; les habitants se hâtent de suivre l’exemple de leur seigneur, et, successivement, on voit fonder le deuxième jeudi de chaque mois, puis le troisième, puis le quatrième ; le fondateur qui vient ensuite en est réduit à accepter l’hypothétique cinquième jeudi. Le suivant, ne sachant que faire, reprend le premier jeudi, au cas où il y aurait deux prêtres. Enfin les derniers arrivants se contentent de vêpres qu’ils fondent avec grands détails : « A l’O salutaris on fera trois fois l’ostension du précieux corps comme c’est la coutume à la Feste de Dieu ».

Encore ici les documents abondent. Partout ces fondations existent aux XVIIème et XVIIIème siècles. Elles sont tellement populaires, qu’elles ont passé en nos Noëls bisontins : la Commère, conversant avec saint Joseph, reconnaît que la pauvreté est bonne conseillère, et que Barbizier, depuis qu’il n’a plus de vin, est bien plus exact aux bénédictions du saint Sacrement.

Voiquy Tounot, qu’y me démente.
N’ot-ti pas vrai, qu’in dimanche maitin,
Avant que la grand’messe on chante,
L’aira déjà bu ne channe de vin ?
Ai présent, l’ot tout ai fait saige.
Y ne pa (perd) point de congrégation.
Nous ans lai pa dans lou ménaige,
L’ot des premies as bénédictions.

Mais il faut étudier ces questions de plus près, et rechercher les auteurs de ces bénédictions et de ces confréries. Nous arriverons vite à reconnaître que ce sont des personnages zélés pour la sainte Hostie de Faverney, et qui ont subi l’influence du monastère. Prenons quelques exemples. Nous avons vu la famille de Bauffremont s’éprendre subitement d’un grand zèle pour la fondation de messes à exposition. Mais le seigneur dont il s’agit sortait de l’école fondée à Faverney par dom Brenier. Il avait eu pour maître ce digne religieux, qui était comme l’apôtre du miracle et du culte eucharistique.
Deuxième exemple : le 18juillet 1609, Clérialde de Vergy, comte de Champlitte, fonde, conjointement avec sa femme, des messes du saint Sacrement en l’église de Gray. Or ce même seigneur se trouve avoir été, l’année précédente, le fondateur et le premier membre de la confrérie de Gray, érigée en souvenir du miracle de Faverney. De même, A.-P. de Grammont, archevêque de Besançon, promoteur d’une fondation de messes à Scey-sur-Saône, auteur de la confrérie du Russey , est lui-même un élève de l’école de Faverney. Son oncle était abbé de Faverney, son frère s’était fait inscrire un des premiers de la confrérie, et lui-même se laissait guider dans les actes de son épiscopat par notre dom Brenier . Parlons encore du sire de Varambon, l’ami du monastère, qui y fait des fondations, celui dont les Jésuites recherchaient la protection pour aborder l’inexorable abbé Doresmieux . Ne serait-il pas le premier promoteur de ces institutions eucharistiques si répandues dans le canton du Russey et qu’une mosaïque de la Chenalotte semble rattacher au miracle de Faverney ? Car le sire de Varambon, possesseur de nombreuses terres du côté de Faverney, était en même temps seigneur de Maîche et des Franches-Montagnes. De même Louis de Vienne, dont j’ai montré la piété envers la sainte Hostie, était seigneur de Guyans, Saules, Vuillafans, Montgesoye, et voilà qui explique bien des coïncidences curieuses entre le miracle de 1608 et certaines fondations eucharistiques dans le département du Doubs.

Cherchez maintenant les prédicateurs qui provoquent ces institutions. Ce sont les capucins de Vesoul et de Gray, qui ont mis tant d’ardeur à la diffusion du miracle ; ce sont, avec le chanoine d’Orival , les missionnaires d’Ecole, chez qui nous avons trouvé une espèce de circulaire destinée sans doute à être lue publiquement dans les villages voisins des centres de la mission et dont la conclusion est remarquable : faire des œuvres en l’honneur de ce Sacrement, qui d’une manière si particulière a honoré notre province. Il faudrait enfin poursuivre plus loin ces recherches, et relever minutieusement les noms inscrits au registre de Faverney. Nous sommes persuadés que ce sont les mêmes personnes qui, en chaque village, ont laissé après leur mort les plus belles fondations.

Adoration perpétuelle. – Visite au saint Sacrement. – Assistance à la messe quotidienne. – Communion fréquente.

Ces titres ne tromperont personne. Nous ne prétendons pas qu’avant 1608 il n’y avait ni communions, ni assistance aux messes quotidiennes, ni adorations, etc. Mais nous affirmons que ces pratiques étaient moins développées qu’elles ne l’ont été depuis, et que la confrérie de Faverney a joué un grand rôle dans leur diffusion.

Nous avons entre les mains les statuts de la confrérie romaine de 1700 , et ceux de la paroisse Saint-Pierre de Besançon, publiés par M. Alviset en 1630, alors que la confrérie de cette paroisse avait déjà deux siècles et demi d’existence . Or, il est remarquable que ces règlements, tant de Rome que de Besançon, s’occupent très peu de la vie intérieure des associés. L’élection des conseillers et du prieur, la réunion mensuelle, le paiement des cotisations, l’honneur à rendre au saint Viatique, les messes pour les défunts, les processions, tant goûtées de nos pères, voilà les points principaux du règlement, qui pourrait s’appliquer facilement, avec quelques modifications, à une confrérie de Saint-Antoine ou de Saint-Vernier.

Au contraire, et ceci est caractéristique, les statuts de Faverney de 1608 se préoccupent tout d’abord de cette vie chrétienne : « Nous avons délibéré, nous congréger, à dresser une confrérie semblable à celle approuvée par le Saint-Siège (…) 1° (…), 2° (…), 3° Pour plus souvent nous approcher de la table de Dieu (…), 5° Pour nous employer à notre possible à la révérence et adoration de la sainte Eucharistie ». Les articles du règlement répondent à ce préambule : Article III. « Se communieront aussi et confesseront aux fêtes de la Pentecôte, aux principales fêtes de Notre-Dame, aux dimanches des octaves du Saint-Sacrement, voire, si se peut faire, tous les premiers dimanches de chaque mois ». Cette dernière partie n’est encore qu’une invitation, bientôt elle deviendra un ordre strict.

Vers 1690 , paraît un deuxième règlement de la confrérie. L’évolution y est manifeste. La vie chrétienne y apparait plus intense : Article II. « Les confrères doivent allumer leur zèle pour la vénération du saint Sacrement, soit en entendant chaque jour la messe, si cela se peut, soit en visitant au moins une fois par jour une église où il est conservé ».

L’article de la communion n’est pas encore obligatoire, mais les litanies annexées aux statuts portent : « ut nos ad frequentem usam Eucharistiae perducere digneris ».

Nous voici au XVIIIème siècle et un troisième règlement s’élabore . Cette fois les communions y sont déclarées obligatoires, sous la seule réserve de l’autorité du confesseur. De plus, l’adoration perpétuelle y est recommandée, comme un fruit naturel de la piété eucharistique. « Ceux qui seront inspirés de se choisir, chaque année, une heure fixe, afin de contribuer à l’adoration perpétuelle de cet auguste mystère, sont invités de faire demander au Père Directeur, chacun, un billet imprimé pour ce sujet ». En fait, et à partir du commencement du XVIIIème siècle, s’organisent partout les adorations perpétuelles, que Ferdinand de Rye avait indiquées comme la conséquence naturelle du miracle de Faverney . On en trouve à Faucogney, Boujailles, Morteau, Pesmes, Vuillafans, Dole, Salins, Lons-le-Saunier, Pontarlier, Orgelet, Delle, Saint-Vit, Ornans, Frasnes-le-Château, Saulx, Clairvaux, Lure, Fontenoy-lez-Montbozon, Orgelet, Saint-Maur, Dambelin, Grand-Noir, Chissey, Gy, Nozeroy, etc. . Il faudrait citer en particulier Colombier et Servance, sur lesquels nous avons des détails particulièrement édifiants . Mais partout c’est un vif élan de foi : soit que l’adoration se fasse une fois par an, ou tous les mois, ou aux principales fêtes, ou tous les dimanches, ou tous les jours, elle est l’expression de la dévotion populaire la plus touchante. La confrérie de Saint-Pierre se laisse gagner à son tour par ce mouvement qui devient général. Elle introduit dans son règlement l’adoration perpétuelle : Article VI. « Le troisième dimanche du mois, les confrères ne manqueront pas de faire leur demi-heure d’adoration avec leur cierge allumé ». On trouvera dans M. Suchet de plus amples détails sur ce dernier point. Ainsi s’est formée, dans nos populations de Franche-Comté, cette piété ardente qui leur a fait repousser successivement les assauts du jansénisme et de la Révolution, et que Sauzay décrit, d’une manière si admirable, en son ouvrage de la Persécution. Nous avons essayé d’en rechercher les causes et nous avons cru en trouver une, et des plus abondantes, dans le grand événement de 1608. Il nous faut arrêter ici ce travail, si incomplet qu’il soit. Qu’il puisse servir à la glorification de la sainte Hostie de Faverney.

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L’influence du Miracle sur les catholiques #1

Rapport de M. l’abbé CAMUSET, curé doyen de Scey-sur-Saône.

Les pèlerinages

L’enquête de Ferdinand de Rye nous a fait connaître l’enthousiasme des foules à la vue du Sacrement de miracle. Ce transport populaire ne se refroidit point dans la suite, comme on eût pu l’imaginer. En 1609, ce sont des foules immenses, qui, de Faverney à Port-sur-Saône, à Rosey, à Gy, etc., font escorte à la sainte Hostie que transportent les Dolois. En 1624, Ferdinand de Rye, visitant Faverney, est étonné d’y retrouver aussi vive l’impression de 1608. Elle s’est même accrue, et avec elle la dévotion populaire : Unum notatum dignissimum, ab hujus miraculi tempore sic devotionis fervorem crevisse. La cruelle guerre dite des Suédois (1635-1645) vient faire trêve à ces pieux transports. Faverney y perd mille habitants. La population comtoise est réduite au dixième et livrée à une misère telle, dit un témoin, qu’on eût habillé de velours une vache, s’il en fût restée quelqu’une. Mais l’épreuve passée, la dévotion renaît. C’est le moment où l’on se dispute, quelquefois avec aigreur, les moindres reliques du miracle , où le P. Lejeune, Franc-Comtois, le prêche en toutes ses missions, où les indulgences attachées à la confrérie de Faverney sont annoncées au son de la trompe en tous nos villages.

Quelque vingt ans se passent, nous sommes à la fin du XVIIème siècle et le pèlerinage ne fait que progresser. Les registres de la confrérie se couvrent alors de noms : cent soixante villages y sont représentés en 1680. L’image de la sainte Hostie est appendue dans toutes les maisons de la Saône, l’affluence à la Pentecôte est telle, qu’A.-P. de Grammont est obligé de promulguer un décret pour la modérer et la régler (1682). Les documents abondent ; nous ne pouvons que cité à la hâte les principaux événements qui nous rattachent à ces temps merveilleux : en 1680, la magnifique mission de Faverney ; au commencement du XVIIIème siècle, l’institution par F.-J. de Grammont de l’office de la sainte Hostie ; en 1726, le miracle éclatant de la sainte hostie qui sauve Faverney d’un embrasement général.

Même événement en 1753. Voici la Révolution. Elle ne change rien aux dispositions populaires. Une foule de « citoyens » et de « citoyennes » viennent se faire coucher aux registres de la confrérie. En 1791, le transfert de la sainte Hostie à l’église paroissiale se fait parmi un immense concours. On chante encore les vêpres de la fête en 1794. 1795 commence sous de tristes auspices. Le culte ne peut plus s’exercer. Mais la Pentecôte de cette même année 1795 voit revenir la sainte Hostie parmi les acclamations populaires. En 1815, nouvel incendie, nouvelle délivrance par la sainte Hostie. En 1854, une fête magnifique célèbre la délivrance du choléra. Nouvelle et plus imposante cérémonie en 1864, où le cardinal Mathieu triomphe d’avoir fait accepter par la Congrégation des Rites la fête et l’office du miracle. En 1878, c’est le pèlerinage national présidé par Mgr Paulinier. Aujourd’hui (23 mai 1908), c’est le Congrès eucharistique, qui ferme cette chaîne merveilleuse de solennités et de miracles, ou plutôt, non, il ne la ferme pas, il ne fait qu’y ajouter un anneau splendide et digne de la Comté.

Réformation du monastère

Le premier résultat tangible du miracle fut la réformation du monastère de Faverney. Ce n’est pas que les religieux, attiédis depuis longtemps, aient pris d’eux-mêmes, et en considération du miracle, la résolution de se convertir. Personne ne le croirait. Les réformes ne sont jamais entreprises par les corps à réformer. Elles sont toujours l’œuvre d’un homme, et se font sous la pression des circonstances. L’homme ne manquait pas à Faverney. L’abbé Doresmieux, ancien prieur de Saint-Vaast, d’Arras, et qui, précisément en 1608, venait d’être nommé abbé de Faverney, était un prélat pieux, désintéressé, plein d’excellentes intentions. Mais sa faible santé ne lui permettait pas d’adopter, pour lui-même, les règles de l’étroite observance ; et l’œuvre à entreprendre était si pleine de difficultés, qu’il se fût peut-être découragé à soulever une telle masse . Mais, il est des situations plus fortes que les hommes.

Après le miracle de Faverney, on ne pouvait laisser au monastère des religieux aussi dissolus, qui ne connaissaient ni réfectoire ni dortoir, et vagabondaient librement jour et nuit. Les pèlerins s’en étonnaient, et revenaient chez eux fort peu édifiés. C’est le bon abbé Doresmieux qui nous donne ces détails et nous explique les mouvements de son âme dans une lettre à l’infante Isabelle-Eugénie-Clara. Il décida donc la réforme, et appela à son secours dom Guillaume Simonin, abbé de Saint-Vincent de Besançon. Celui-ci avait introduit dans son monastère la réforme de Saint-Vanne et Hydulphe (de Verdun). Il était même dans le diocèse le seul abbé réformé, les autres ayant énergiquement repoussé les visites de l’archevêque, Ferdinand de Rye, à ce sujet. Ce fut donc lui qui, délégué par Paul V, vint, en 1613, faire la visite canonique de l’abbaye. Il se passa là des choses bouffonnes, que je voudrais pouvoir passer sous silence . Les religieux reçurent le visiteur apostolique avec respect et humilité, ils baisèrent avec vénération le rescrit pontifical, déclarèrent accepter de cœur la réformation et se soumettre en tout aux ordres du Saint-Père. Seulement…, seulement ils faisaient une réserve. Ils voulaient qu’il fût bien entendu : 1° Qu’on ne changerait rien à leur manière de vivre ; 2° qu’on ne leur parlerait point de cette « antiquaille » nommée règle de saint Benoît ; 3° qu’il ne leur manquerait rien au point de vue matériel. Il n’y avait rien à faire avec de telles gens. Guillaume Simonin leur accorda ce qu’ils demandaient. Mais en même temps il fit venir douze religieux de son abbaye sous la conduite de dom Mathias Pothier. Ce petit groupe, à qui fut réservé un quartier du monastère, forma la nouvelle abbaye. Les anciens religieux vécurent quelque temps encore à Faverney, puis disparurent peu à peu, emportant leurs prébendes. Un seul, Nicolas Brenier, le principal témoin du miracle, consentit à la réformation. Il eut assez d’humilité pour recommencer son noviciat à Moyenmoutier, revint ensuite à Faverney, fut nommé prieur, puis coadjuteureur de dom Doresmieux , et enfin son successeur. Le petit groupe de religieux réformés s’augmenta bientôt et eut une immense réputation. Les pèlerins de Faverney chantaient ses louanges et peu à peu tous les couvents de la province et des États voisins furent moralement obligés de demander à l’abbaye du miracle des visiteurs et réformateurs. C’est ainsi que dom Doresmieux établit l’étroite observance à Jouhe et à Mont-Roland ; dom Brenier chez les Ursulines d’Auxonne et de Vesoul, en 1629, et dans les prieurés de Vaux, de Château et de Morteau ; dom Pothier à Saint-Hubert des Ardennes ; dom Bourgeois dans l’ordre de Saint-Maur ; dom Boban dans celui de Cluny, sur l’ordre de Richelieu, qu’avait charmé la réputation de Faverney. Enfin l’abbaye de Luxeuil reçut elle-même la réforme. Notre Dom Brenier fut, avec dom Coquelin, l’instrument de ce grand œuvre. Ainsi s’étendait l’œuvre de Dieu : une petite flamme s’était élevée à Faverney, et bientôt elle embrasa la Bourgogne et la France entière.

L’influence protestante après le Miracle de Faverney

Suite et fin de l’article précédent. Après cet article vous trouverez un lien vers une version imprimable de celui-ci au format PDF, cette version contient le texte intégral avec les notes et la discussion qui suivit cette conférence.

Le fait le plus caractéristique est le silence des pasteurs au temps du miracle ; c’est la grande preuve de leur irrémédiable défaite. Ni leurs écrits de l’époque, ni les délibérations du consistoire n’en disent mot, quoiqu’il fût publié dans les villes et dans toute la contrée les jours suivants. « Le silence de leur langue et de leur plume, dit le P. Ludovic, sur des sujets si décisifs contre leurs dogmes, vaut une nouvelle démonstration.

Il y eut cependant quelques conversions à la suite du prodige. La principale fut celle de Frédéric Vuillard, sur laquelle je dois attirer votre attention. Cet orfèvre, de Montbéliard, était de passage à Vesoul, lorsqu’y arriva la nouvelle du grand événement. Par curiosité, dit-il, il se rendit sur les lieux. Pendant une heure, au moins, à la vue des choses étranges qui le fascinaient, la vérité et l’erreur se livrent en lui une lutte à outrance. Il sortit de l’église et y rentra plus de trente fois. A la fin, sa ténacité luthérienne fut vaincue. Dès qu’il eut reçu l’instruction nécessaire, il fit son abjuration, convertit sa famille, celle de l’un de ses frères, puis sa mère, Guillemette Paris, qui avait abandonné Besançon pour pratiquer le protestantisme a Montbéliard. Nicolas de Campredon, seigneur de Passavant, né à Castres, après 1608, se réfugia à Langres où il embrassa plus tard le catholicisme avec sa famille.

Si les conversions de protestants furent rares à la suite du prodige, il faut l’attribuer à l’orgueil des hérétiques qui se raidirent contre l’évidence du miracle. S’ils n’eurent pas le courage de se convertir, ou ils se turent, ou ils émigrèrent, et la propagande de l’hérésie reçut le coup de la mort. Ainsi les héros du prêche qui eut lieu à Passavant, la nuit du 25 au 26 mai 1608, allèrent à Faverney, dit le P. Ludovic. Mais « après s’être assurés eux-mêmes d’une certitude physique la plus complète », au lieu de se convertir, ils prirent le parti d’émigrer. Les uns allèrent en Allemagne. d’autres en Flandre, quelques-uns en France.

Mais à dater de 1608, on ne trouve plus de prêche luthérien dans le bailliage d’Amont, plus de prédicant gyrovague. Les grands foyers d’hérésie d’autrefois ont vu s’éteindre leur dernière étincelle, et les dissidents se ranger sous la houlette de leur pasteur respectif. Deux ou trois protestants d’Amance disparurent sous le poids du mépris après avoir eu maille à partir avec la justice, pour faits d’hérésie doublés d’immoralité.

Mais un des plus heureux résultats du miracle fut de stimuler la propagande catholique et de relever le courage du clergé et des fidèles. On en trouve les premières traces dans les dépositions des témoins de l’enquête, où chacun d’eux put dire, comme le curé d’Amance, parlant du fait, qu’il « fut tellement ravi d’admiration qu’il fut contraint de larmoyer ».

Le grand fait du miracle donna aux prédicateurs toute la force de leur éloquence et toute l’ardeur de leur zèle.

Le P. Ludovic de Faverney, devenu capucin, transporte l’esprit de ses auditeurs auprès de l’autel incendié, et empruntant la voix du miracle, il démontre les dogmes éclairés par la lumière de ce feu.

Le P. Lejeune assista, à l’âge de seize ans, à la cérémonie qui eut lieu à Dole, sa ville natale, à la réception de l’une des hosties miraculeuses. L’impression qu’il en ressentit fut si vive, qu’il en parle toujours comme d’un fait récent. Dans son sermon sur la présence réelle, en abordant la preuve des miracles : « En voici un du saint Sacrement dont je puis parler, s’écrie-t-il, car j’étais dans le pays même quand il arriva ». Pendant quarante ans, il le répète devant les auditoires les plus variés. A ces paroles d’un saint, la lumière pénètre dans les esprits, échauffe les cœurs, ranime le courage et les énergies.

Les Jésuites, qui avaient reçu Frédéric Vuillard pour compléter son instruction, se firent les ardents propagateurs et défenseurs du dogme eucharistique. Nous voyons élèves et maîtres admirer le héros qui, pour obéir à la voix de Dieu, se condamnait à l’exil. Quelle puissance de persuasion possédaient les discours de ces religieux, quand ils rappelaient le cri de leur catéchumène disant, les yeux fixés sur l’ostensoir suspendu dans les airs : « Ma religion me défend de croire ce que je vois ». Orateurs aussi habiles que pieux, avec toutes les lumières qui se dégageaient de ces prodiges, ils rendirent nos dogmes pour ainsi dire tangibles tant à leurs élèves qu’à leurs auditeurs. On comprend l’éloge que leur adresse pour cette époque un historien comtois : « La piété, la doctrine et le zèle des Jésuites produisirent un bien immense ».

Les Capucins, appelés en qualité de théologiens par les religieux de Faverney, arrivent sur le théâtre du miracle, dit le P. Ludovic ; « ils sont effrayés, ils voient, ils font entendre des exclamations ; on verse des larmes, on frappe sa poitrine et l’église retentit de cris, de sanglots, de gémissements et d’éclats de voix . Pendant deux siècles, les sermons des disciples de saint François sur l’Eucharistie se ressentent de ces impressions ; ils les font revivre dans le cœur de leurs auditeurs. Leurs paroles, accréditées par leur vie austère, produisent dans le diocèse des effets qui jettent dans l’admiration Antoine-Pierre de Grammont . Les hérétiques sont ébranlés. Montbéliard, à deux reprises, défend aux protestants de Tavey d’assister à leurs prédications.

L’Hortus Pastorum de Jacques Marchand se publie à Mons, en Hainaut, vers 1625. Le miracle de Faverney, que l’auteur emprunte au mandement de Ferdinand de Rye, y figure parmi les merveilles dont l’Eucharistie est le mémorial. C’est le miracle le plus éclatant accompli jusqu’alors en faveur du dogme catholique. Les prédicateurs, les catéchistes de la France, des Pays-Bas et de l’Allemagne recueillent ce fait, pour l’offrir à l’édification des peuples, sur les lèvres des milliers de personnes qui en ont été témoins. Un tel concert d’affirmation échauffe la piété des fidèles et ruine la principale base du système protestant .

L’influence du miracle se fait sentir dans les prédications, plus de cent cinquante ans après l’événement. En 1768, les missionnaires d’École, pendant une mission donnée à Blamont, offrirent publiquement aux pasteurs du pays une copie collationnée de l’enquête, mais aucun d’eux n’en prit connaissance, quoique le dossier restât plusieurs mois la maison curiale .

Nos archevêques, stimulés par le prodige. déploient un zèle ardent à la restauration de la maison de Dieu. Ferdinand de Rye, excité par le souffle de Faverney, exige « que les églises, autels, calices, ciboires, tabernacles et autres ornements soient propres et bienséants » ; il enjoint surtout, quand le saint Sacrement « sera exposé publiquement sur l’autel, qu’il y ait continuellement quelqu’un à l’église ».
Claude d’Achey insiste à temps et à contretemps pour faire observer les règlements de son prédécesseur ; il en ajoute de nouveaux ; entre autres, il exige le respect des églises.

Antoine-Pierre de Grammont, surnommé le Borromée du diocèse, avait passé deux années de sa jeunesse à l’école de Faverney. Le zèle qu’il puisa dans ce foyer de science et de piété en fit le réformateur et l’organisateur du diocèse, œuvre gigantesque qui lui donne droit, dit son historien, « auprès du clergé bisontin, au souvenir reconnaissant dont l’église de France honore… la mémoire de saint Vincent de Paul ». Nous souscrivons avec plaisir au jugement de l’historien.

Conclusion

Rappelons-nous que ce signe nous a été donné par le Seigneur, et que l’événement de Faverney est notre grand miracle. A Domino factum est istud

L’influence qu’il a eue dans notre province pour la renaissance religieuse au XVIème siècle, en stimulant les bons, réchauffant les tièdes, refoulant l’hérésie, il peut l’exercer encore de nos jours. Les ennemis de l’Eucharistie, de la messe, de la communion et du prêtre sont plus acharnés que jamais. Mais demandons au ciel que cette haine tombe devant le récit lumineux des merveilles de Faverney et que, vaincus par la force de la vérité historique, ils s’écrient comme Amédée Thierry, préfet de Vesoul : « S’il est un fait historique matériellement prouvé, c’est incontestablement celui-là ».

Entre cet acte de foi et la table sainte, il n’y a qu’un pas.

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L’influence protestante avant le Miracle de Faverney

Cette communication fut prononcée par monsieur l’Abbé Tournier, aumônier de la Charité à Saint-Ferjeux, le 23 mai 1908 lors du congrès national eucharistique réunit pour fêter le troisième centenaire du miracle de Faverney. On la trouve dans le livre de compte rendu des travaux aux pages 181-191. Nous avons ici la première partie de ce rapport, la deuxième partie sera donnée dans le prochain article. Enfin je n’ai pas conservé les notes qui consistent en des références bibliographiques la plupart du temps. Toutefois je publierai ultérieurement une version téléchargeable et imprimable (au format PDF) comprenant le texte intégral de ce rapport. Si une telle version vous intéresse pour les autres articles n’hésitez pas à m’en faire part dans vos commentaires.

Avant 1608, la propagande protestante était aussi habile qu’acharnée. L’audace, les crimes et les profanations contre la sainte Eucharistie en particulier dépassaient toutes les bornes. Le miracle a fait reculer l’erreur; il a chassé les fauteurs de l’hérésie. Et les catholiques, encouragés, excités, enthousiasmés par le prodige, ont redoublé leurs efforts, ont réparé les ruines et ranimé partout la foi et la piété, surtout à l’égard du saint Sacrement.

Voilà ce que je voudrais exposer brièvement.

C’est surtout contre le sacrement de l’Autel que furent dirigées, au XVIème siècle, les attaques du protestantisme. Le dogme de la présence réelle devint le point de mire de toutes ses négations. Partout où les hérétiques parvinrent à dominer, le premier usage de leur autorité fut d’éteindre la lampe du sanctuaire, de démolir les autels, de profaner l’Eucharistie et de fouler aux pieds les ornements sacrés.

Lorsque, sous l’influence toute-puissante des ducs de Wurtemberg, Montbéliard, Blamont, Héricourt eurent chassé leurs prêtres et ouvert à l’hérésie les portes de leurs églises, le luthéranisme poursuit audacieusement ses conquêtes dans notre province. Les gouverneurs de Besançon et beaucoup de notables, endoctrinés par les prédicants qu’ils cachent chez eux, n’attendent que le moment de livrer les catholiques aux princes protestants. Pontarlier est envahie par des prédicants qui. pour fomenter l’erreur, s’introduisent comme domestiques dans les maisons riches ou se mettent à la disposition des jeunes gens pauvres pour leur apprendre un métier. A Dole, l’erreur envoie des voitures de mauvais livres. A Salins, toutes les nuits on chante à gorge déployée les psaumes de David. A Saint-Amour, le venin des huguenots croissait fort, écrivait Claude Bebin au cardinal Granvelle.

La région du bailliage d’Amont surtout est fortement attaquée. De riches seigneurs, voisins de l’abbaye de Faverney, donnent aux idées nouvelles le secours de leur épée. De Citey, gentilhomme du lieu, passe au service du duc des Deux- Ponts. Le sire d’Amance, gardien de l’abbaye, fait de ce village un foyer du protestantisme et célèbre, pendant le carême, une noce avec force gibier et venaison. « Ceux de Vesoul, de même pertinacité que lui, sont à sa dévotion, ainsi que la plupart de ceux de Besançon », écrit Claude Bebin. Le sire de Saint-Remy pille le couvent de Cherlieu, y met le feu et demeure joyeux spectateur de l’incendie. Le seigneur de Demangevelle et de Vauvillers donne asile à un pasteur de Genève ; le prêche se fait dans sa maison à porte ouverte.

A Luxeuil, on va au prêche et on bat un religieux ; le venin menace de s’étendre et de perdre la ville, Conflans s’agite de son côté. Muretel, habitant du lieu, s’érige en prédicant. « Plusieurs de Bouligney et des villages voisins » accourent à ses prédications. Sa mort n’arrête pas les progrès du mal. Granvelle écrit deux ans après : « Il serait grand temps que Claude de la Beaume purgeât Conflans, Fontenois-en-Vosges et autres lieux infectés ». Dans la terre de Jussey, la Réforme étendait ses racines. Le prieur de Laître alla à Genève conférer avec les hérétiques. Deux de ses complices entretenaient avec les Gueux des Pays-Bas des correspondances si compromettantes que, de leur aveu, on les aurait pendus l’un et l’autre, si elles eussent été surprises, A la verrerie de la Rochère-lez-Passavant, la propagande est d’autant plus dangereuse qu’elle a pour auteurs les maîtres du lieu. Le prêche tenu par eux la nuit même où arriva le miracle, les blasphèmes qu’ils y débitèrent, prouvent assez à quel degré était montée dans leur cœur la haine de nos saints mystères.

On peut juger des conquêtes du protestantisme dans la province par le nombre de villages où il avait des prêches ou des adeptes ardents ; on en comptait plus de cinquante.

Dans la dernière partie du XVIème siècle, les adhérents de la Réforme sont aussi zélés qu’au début . Nous le retrouvons avec le même acharnement jusqu’à la veille du miracle. En 1605, il y a encore à Besançon une forte poussée huguenote. La répression est énergique, son auteur est condamné à mort . En 1609, nous voyons l’hérésie essayer d’y continuer timidement ses efforts, mais depuis les documents sont muets sur la propagande protestante ; les faits vont prouver que les flammes miraculeuses de Faverney avaient porté un coup fatal à tout l’échafaudage d’erreurs, de brigandages et de profanations qui avaient mis le catholicisme en Franche-Comté à deux doigts de sa ruine.

Pour calculer la grandeur du danger, un mot seulement sur les ruines religieuses accumulées par la propagande hérétique.

A Besançon, des bandes de quatre cents huguenots, très bien armés, parcourent plusieurs fois, pendant la nuit, les rues de la ville en se livrant à des voies de fait. « Avant peu, disait un hérétique, on coupera tant de têtes que le sang coulera comme quand il pleut ». Dans la province, « on était comme dans une grande forêt de brigands », écrivait-on à Granvelle. Le chanoine Lebel, de Tarcenay, fut tué par un hérétique, près de Vellefaux . L’influence de la Réforme sur les mœurs fut déplorable, comme le prouve l’enquête faite, en 1572, à Besançon, par les commissaires impériaux. Elle souffla partout la haine des prêtres, multipliant contre eux les injures ordurières et les couvrant de ridicule, ainsi que les mystères sacrés et les cérémonies du culte .

La miséricorde de Dieu répondit à l’impiété de ces blasphèmes par le miracle de Faverney.

Lettre d’un protestant converti par le Miracle de Faverney

Né dans une famille luthérienne de Montbéliard, Frédéric Vuillard, raconte dans cette lettre au Parlement de Dôle (Jura), sa conversion, à l’âge de 27 ans, face au Miracle de Faverney qui l’obligea « à croire ce que sa religion pour lors l’empêchait de croire ». Ce texte est tiré du livre de l’Abbé Tournier « Le Miracle de Faverney vu et raconté par un protestant de Montbéliard« , 3ème édition, Imprimerie Jacques et Demontrond, Besançon, 1932.

Messieurs,

J’ai su par le sieur docteur Jean Clerc, avocat au parlement de Dole, qu’il a plu à Leurs Altesses Sérénissimes (Albert et Isabelle, gouverneurs de la Franche-Comté et des Pays-Bas) de vous donner en garde une des saintes Hosties du miracle de Faverney. J’ai su aussi que vous avez été informés du grand bien qui m’a été accordé par la miséricorde de Dieu pour avoir été présent audit miracle, dont je lui rends grâces à jamais. Et puisque vous désirez de moi une attestation, je ne vous la refuserai pas, et je ne cesserai pas du reste de raconter les merveilles de mon Dieu, surtout celles qui lui procureront honneur et gloire.

Donc je vous dis et certifie en vérité que le 26ème de mai 1608, revenant de Présignys et Fouvent où j’avais traité quelques affaires avec le sieur Baron de Lanque, je me rendais à Montbéliard, mon lieu d’origine. Je passai à Vesoul tout au matin. Là je trouvai la population en émoi pour avoir su que la nuit précédente, en l’église abbatiale de Faverney, il s’était fait un grand miracle qui durait encore, assurait-on. Aussitôt je résolus de satisfaire ma curiosité plutôt que ma dévotion, étant hérétique. Et je partis audit Faverney avec. plusieurs milliers de personnes, tant dudit Vesoul que des lieux circonvoisins, qui accouraient là à la nouvelle dudit miracle. Arrivé là je m’approchai d’un endroit de ladite église qui sépare le chœur de la nef par un treillis de fer fort épais où je vis des marques d’un grand embrasement. De tous côtés, c’étaient cendres et charbons et le reste d’un autel de bois apprêté, me dit-on, la veille pour exposer le saint Sacrement, et qui était en partie brûlé. Et au milieu de toutes ces marques et restes d’un grand feu je vis un ostensoir d’argent, doré aux moulures et extrémités, qui était en l’air sans toucher aucun appui, ni être soutenu par rien. Cela me fit frémir, tout hérétique que j’étais. Et je refusais de croire ce que je voyais, si bien que je sortis de l’église et y rentrai plus de trente fois pour voir et revoir et, s’il était possible, comprendre un tel miracle. Enfin, après avoir prié Dieu de me faire la grâce d’être éclairé de ma foi, je réfléchis que tel ostensoir ne pouvait naturellement rester en l’air sans une cause surnaturelle, qu’il devait plutôt tomber en bas, étant lourd d’environ un marc, je l’affirme, étant orfèvre de profession. Ce qui redoublait mon étonnement, c’est que ledit ostensoir et le saint Sacrement avec les reliques enchâssées au même ostensoir et les papiers fermant le tube de cristal contenant un débris du doigt de sainte Agathe, martyre, n’avaient pas été brûlés. Pourtant de tous côtés je voyais et le marbre brisé et l’un des chandeliers d’étain en partie fondu et lesdits treillis tous blanchis par avoir été ardents par la grande chaleur et véhémence dudit embrasement, de plus le baldaquin qui couvrait ledit autel n’était pas brûlé au-dessus et à l’endroit du saint Sacrement ; et les parchemins contenant les bulles et indulgences, quoique relevés du milieu des cendres, n’étaient aucunement brûlés, sauf le sceau de cire fondu. Tout cela considéré je ne pus m’empêcher d’être touché en l’âme et obligé de croire ce que ma religion pour lors m’empêchait de croire. Si bien qu’à l’instant je me mis à genoux pour adorer Dieu que je voyais en l’air vaincre les flammes et le prier de me faire la grâce de pouvoir un jour être débarrassé de toutes erreurs, promettant d’apporter de mon côté toute ma force, vigilance et sollicitude nécessaires. Ce que Dieu, par sa sainte miséricorde, m’accorda, exauçant ma prière. Car depuis je n’ai cessé de m’informer des points de la foi catholique, apostolique et romaine, desquels je n’aurais pas voulu ni’imformer, je le pense, si par tel spectacle Dieu ne m’eût poussé à me faire éclairer tant auprès de plusieurs prêtres séculiers que religieux capucins, jésuites et autres personnes. Donc, environ quatre ans plus tard, je fis abjuration de toute hérésie et instamment profession de la foi catholique, à Besançon, par-devant le Révérend Père reclus pénitencier, après toutefois avoir été suffisamment débarrassé des doutes de mon erreur par la peine qu’en prit plusieurs jours le R. P. Pierre Marius de la Société de Jésus, alors recteur au collège de Porrentruy. Et depuis je n’ai cessé, comme aussi le Révérend Père au temps de sa demeure audit lieu, d’exhorter ma femme et ma famille d’en faire de même, ce qu’il a plu encore à Dieu de m’accorder, si bien que je me suis retiré dudit Montbéliard pour aller habiter Delle qui est en Ferrette sujette, à haute puissance et catholique maison d’Autriche, et cela depuis un an environ. Je remercie mon Dieu de m’avoir fait telle grâce que parmi plusieurs m’écoutant raconter ce grand miracle en toutes ces circonstances, les uns agités, hésitants, ne savent plus où ils en sont ; les autres convertis, notamment ma mère défunte à qui Dieu fasse miséricorde. Peu de temps avant sa mort, je lui déclarai ma situation, au risque d’encourir sa disgrâce. Le contraire arriva, car m’ayant entendu et les raisons qui m’avaient amené à me convertir, elle se prit à verser un torrent de larmes, m’embrassant de joie, et triste de ne pouvoir faire pour son salut ce qu’elle eût voulu faire si elle n’eût été attachés à un mari en secondes noces. Elle mourut en telle volonté, désirant un Père confesseur auprès d’elle, ce qui toutefois ne peut être, Dieu lui fasse miséricorde. Et depuis, un mien frère converti a fait profession publique à Porrentruy, avec une femme également hérétique venue de Franquetalle. Je prie encore mon Dieu de vouloir dans la suite toucher le reste des hérétiques en même sorte, pour le louer et bénir actuellement. De tout ce que dessus je vous assure la vérité en conscience et prie encore mon Dieu de me faire la grâce de persévérance en ladite foi jusquà la fin et de continuer à vous favoriser de ses saintes grâces. C’est de quoi je le prie instamment, et vous, Messieurs, de me tenir pour toujours en qualité de

Votre très humble serviteur,
Frédéric VUILLARD,
de Belfort, ce 26ème juin 1619.