21 mars — Notre Bx Père Saint Benoît, Abbé

21 mars — Notre Bx Père Saint Benoît, Abbé

21 mars — Notre Bx Père Saint Benoît, Abbé

Le mot de Saint Benoît

Qu’on ne préfère absolument rien à l’amour du Christ.

Sermon

Saint Benoît, Patriarche des moines d'occident (11 juillet 2010)

De l’Année liturgique de Dom Prosper Guéranger

Avec quelle vénération profonde nous devons nous approcher aujourd’hui de cet homme merveilleux, de qui saint Grégoire a dit « qu’il fut rempli de l’esprit de tous les justes » ! Si nous considérons ses vertus, elles l’égalent à tout ce que les annales de l’Église nous présentent de plus saint ; la charité de Dieu et du prochain, l’humilité, le don de la prière, l’empire sur toutes les passions, en font un chef-d’œuvre de la grâce du Saint-Esprit. Les signes miraculeux éclatent dans toute sa vie par la guérison des infirmités humaines, le pouvoir sur les forces de la nature, le commandement sur les démons, et jusqu’à la résurrection des morts. L’Esprit de prophétie lui découvre l’avenir ; et les pensées les plus intimes des hommes n’ont rien de caché aux yeux de son esprit. Ces traits surhumains sont relevés encore par une majesté douce, une gravité sereine, une charité compatissante, qui brillent à chaque page de son admirable vie ; et cette vie, c’est un de ses plus nobles enfants qui l’a écrite : c’est le pape et docteur saint Grégoire le Grand, qui s’est chargé d’apprendre à la postérité tout ce que Dieu voulut opérer de merveilles dans son serviteur Benoît.

La postérité, en effet, avait droit de connaître l’histoire et les vertus de l’un des hommes dont l’action sur l’Église et sur la société a été le plus salutaire dans le cours des siècles : car, pour raconter l’influence de Benoît, il faudrait parcourir les annales de tous les peuples de l’Occident, depuis le 7ème siècle jusqu’aux âges modernes. Benoît est le père de l’Europe ; c’est lui qui, par ses enfants, nombreux comme les étoiles du ciel et comme les sables de la mer, a relevé les débris de la société romaine écrasée sous l’invasion des barbares ; présidé à l’établissement du droit public et privé des nations qui surgirent après la conquête ; porté l’Évangile et la civilisation dans L’Angleterre, la Germanie, les pays du Nord, et jusqu’aux peuples slaves ; enseigné l’agriculture ; détruit l’esclavage ; sauvé enfin le dépôt des lettres et des arts, dans le naufrage qui devait les engloutir sans retour, et laisser la race humaine en proie aux plus désolantes ténèbres.

Et toutes ces merveilles, Benoît les a opérées par cet humble livre qui est appelé sa Règle. Ce code admirable de perfection chrétienne et de discrétion a discipliné les innombrables légions de moines par lesquels le saint Patriarche a opéré tous les prodiges que nous venons d’énumérer. Jusqu’à la promulgation de ces quelques pages si simples et si touchantes, l’élément monastique, en Occident, servait à la sanctification de quelques âmes ; mais rien ne faisait espérer qu’il dût être, plus qu’il ne l’a été en Orient, l’instrument principal de la régénération chrétienne et de la civilisation de tant de peuples. Cette Règle est donnée ; et toutes les autres disparaissent successivement devant elle, comme les étoiles pâlissent au ciel quand le soleil vient à se lever. L’Occident se couvre de monastères, et de ces monastères se répandent sur l’Europe entière tous les secours qui en ont fait la portion privilégiée du globe.

Vie de Saint Benoît (480-543) par les Bénédictins de Paris

Enfance, vie à Subiaco et premiers disciples

Vers 480 dans la ville de Norcia, au pays des Sabins, naissaient deux enfants jumeaux, Benoît et Scholastique. Les parents, Eutrope et Abundantia, étaient d’origine romaine ; on a même voulu les rattacher à la famille des Anicii. Saint Grégoire le Grand, sans préciser davantage, se contenta de dire que Benoît était de famille libre. Le nom de Benoît donné à l’enfant exprimait la bénédiction de Dieu sur lui. Dès sa jeunesse, il eut le cœur et la sagesse d’un vieillard ; il ne donnait rien au plaisir des sens, et, pouvant dans le monde jouir de ses biens passagers, il en méprisa les vanités.

Confié aux soins d’une nourrice dans la maison paternelle, il fut ensuite envoyé à Rome pour étudier les belles-lettres. Vers la quatorzième année, ou selon d’autres à vingt ans, ayant déjà fait l’expérience du monde, Benoît craignit qu’en acquérant un peu de science, il ne tombât comme tant d’autres dans l’abîme du vice, et dès lors, après avoir confié son projet à sa nourrice, il abandonna la maison et la fortune de son père, ne cherchant qu’à plaire à Dieu dans la solitude. Sa nourrice qui l’aimait tendrement voulut le suivre. Ils sortirent de Rome par la voie Nomentane, prirent la route de Tivoli, et, suivant la vallée de l’Anio, arrivèrent en un lieu nommé Enfide à deux milles environ de Subiaco. Ils s’arrêtèrent, reçurent l’hospitalité près de l’église Saint-Pierre, et Cyrilla, la nourrice se mit en devoir de préparer un repas. Il fallait d’abord faire le pain, et pour cela nettoyer le grain. La nourrice emprunta un crible de terre cuite qu’elle posa un moment sur la table, puis sortit un instant. Quand elle rentra, le crible tombé à terre était cassé net en deux morceaux : elle se mit à pleurer amèrement. Benoît, qui était bon et pieux, emporta les morceaux du crible et alla prier. À la fin de sa prière il se leva, trouva près de lui le crible si bien réparé qu’on n’y pouvait voir la trace de l’accident. Il courut aussitôt consoler sa nourrice et lui remettre l’instrument en son entier. Ce premier miracle donna aux habitants une haute idée de la perfection à laquelle Dieu élevait le jeune Benoît au début même de sa conversion.

Le jeune homme qui ne cherchait point l’admiration du monde voulut s’isoler complètement. Il abandonna sa nourrice et se retira en un lieu désert appelé Sublacum (aujourd’hui Subiaco) à quarante milles de Rome. Au cours de son exploration, un moine nommé Romain vint à sa rencontre. Celui-ci vivait dans un monastère voisin sous l’obéissance de l’abbé Théodat ; Benoît lui confia son dessein, sur lequel il demandait le secret, reçut de Romain, l’habit religieux avec l’indication d’une grotte étroite dans laquelle il pourrait vivre entièrement inconnu des hommes. Il y vécut pendant trois ans avec le pain que lui apportait le moine Romain. Après ce laps de temps, Dieu voulut faire connaître pour l’édification des hommes la vie que menait son serviteur Benoît. Assez loin de la grotte de Subiaco vivait· un prêtre auquel le Seigneur apparut pendant qu’il préparait son repas pour célébrer la fête de Pâques : « Tu te prépares un bon repas, lui dit-il, et pendant ce temps mon serviteur souffre de la faim dans sa retraite. » Le prêtre comprit la leçon, et se levant aussitôt, il prit les aliments qu’il avait préparés et courut à la recherche du serviteur de Dieu à travers les hautes montagnes et les gorges profondes. Il finit par le découvrir caché dans sa grotte, s’entretint avec lui des douceurs de la vie céleste, et finit par lui dire : « Levez-vous et prenons quelque nourriture, parce que c’est aujourd’hui la fête de Pâques. » — « Je sais, répondit Benoît, que c’est Pâques pour moi, puisque j’ai le bonheur de vous voir. » Comme il était séparé des hommes, il ignorait que ce fût en réalité la solennité de Pâques. Mais le bon prêtre lui en donna l’assurance, il ajouta : « C’est aujourd’hui véritablement le jour de Pâques, le jour de la résurrection du Seigneur ; vous ne devez pas prolonger votre jeûne, car je suis envoyé vers vous pour que nous goûtions ensemble le bienfaits du Tout-Puissant. » Ils bénirent donc le Seigneur et prirent leur repas. Quand il fut achevé, et qu’ils se furent encore entretenus ensemble, le prêtre retourna à son église.

À cette même époque, quelques bergers, qui menaient leurs troupeaux dans ces parages, découvrirent la grotte de Benoît ; l’ayant aperçu à travers les buissons revêtu de peaux, ils le prirent pour quelque bête sauvage. Mais s’étant approchés, ils le contemplèrent en face et furent pénétrés d’une douce vénération. Par eux, on connut dans les environs la présence de Benoît et un grand nombre de personnes vinrent le visiter ; en échange de la nourriture corporelle qu’ils lui apportaient, ces gens recevaient de sa bouche la nourriture de l’âme.

Un jour que Benoît était en contemplation, le tentateur lui apparut sous la forme d’un petit oiseau noir, vulgairement appelé merle ; il se mit à voltiger devant sa face avec tant d’importunité que le saint aurait pu le prendre avec la main s’il l’avait voulu, mais il fit le signe de la croix et l’oiseau disparut. Au même moment, Benoît fut saisi d’une tentation de la chair si violente qu’il n’en avait jamais ressenti de semblable. L’esprit-malin rappela à son souvenir une femme qu’il avait connue à Rome, et troubla tellement son cœur, qu’à moitié vaincu par la volupté, le serviteur de Dieu pensait presque à quitter le désert. Mais bientôt, touché de la grâce, Benoît rentra en lui­-même ; apercevant près de sa grotte un épais buisson de ronces et d’épines, il se dépouilla entièrement de ses vêtements, et se roula sur le buisson jusqu’à ce que son corps ne fût plus qu’une plaie. Les blessures de son corps guérirent alors celles de son âme ; la volupté céda à la douleur. (On raconte que saint François d’Assise vint plus tard visiter ce buisson, y planta des rosiers dont les feuilles paraissaient tachetées de sang. Lui­-même avait remporté une victoire semblable à Notre-Dame des Anges). À partir de ce moment, comme il l’avouait à ses disciples, les mouvements de la concupiscence furent tellement domptés en lui, qu’il n’en ressentit plus les atteintes. Beaucoup de personnes dans la suite quittèrent le monde et vinrent se mettre sous son obéissance ; affranchi de cette infirmité de la chair, il avait le droit d’enseigner les vertus.

La réputation de sainteté avait rendu célèbre le nom de Benoît. Dans les environs de sa grotte, il y avait un monastère (désigné sous le nom de Vicovaro) dont l’abbé vint à mourir : toute la communauté vint trouver Benoît, et le conjura de vouloir bien en prendre la direction. Il refusa longtemps, déclarant aux religieux qu’ils ne pourraient pas s’entendre. Puis vaincu par leurs prières, il finit par consentir. Lorsqu’il voulut faire observer la règle dans le monastère, ces religieux s’irritèrent, s’accusèrent les uns les autres de s’être donné un tel supérieur dont la sainte vie contrastait trop avec leur inconduite. Quelques-uns résolurent sa mort, et décidèrent d’empoisonner son vin. Lorsque le vase de verre qui contenait le poison fut présenté à la table de l’abbé, pour qu’il fût béni selon l’usage, Benoît étendit la main et fit le signe de la croix. Le vase que l’on tenait à une certaine distance se rompit à ce simple signe comme s’il se fût brisé contre une pierre. L’homme de Dieu reconnut aussitôt qu’on lui avait présenté un breuvage de mort qui n’avait pu recevoir le signe de vie. Il se leva, sur le champ, le visage calme et l’esprit tranquille et dit aux frères réunis : « Que le Dieu tout-puissant vous pardonne, mes frères. Pourquoi vouloir me traiter de la sorte ? Ne vous avais-je pas dit, dès le principe que nous ne pourrions pas vivre ensemble ? Cherchez un abbé qui puisse vous convenir, car désormais il ne faut plus compter sur moi. » Il retourna sur le champ dans sa chère solitude ; il y vécut seul avec lui-même, c’est-à-dire comme l’explique saint Grégoire, qu’il veillait toujours sur son âme, constamment en présence de son Créateur.

Mais dans cette solitude vinrent à lui de nombreux disciples qui désiraient servir Dieu : il bâtit alors douze monastères dans chacun desquels il plaça douze moines sous la direction d’un abbé. Il garda seulement près de lui quelques disciples pour les former sous ses yeux. Des habitants de Rome, distingués par leur noblesse et leur piété vinrent aussi le trouver et lui confièrent leurs enfants ; Equitius lui confia son fils Maur, et le patrice Tertullus, son fils Placide, deux enfants de grande espérance.

Le trait suivant n’est pas dans saint Grégoire. Benoît voyageait quelquefois, sans attirer sur lui l’attention : un soir il arriva à un village situé à quelques milles de Subiaco, dans la direction de Palestrine ; les habitants pour une raison quelconque ne voulurent pas le recevoir. Alors Benoît alla simplement s’étendre sur une roche et s’y endormit sous le ciel du bon Dieu. Depuis des siècles, cette roche bénie est signalée chaque année par le suintement d’une manne particulière. Le prodige tantôt commence le 20 mars au soir, tantôt, mais plus rarement le 19, tantôt le 21 seulement, et cesse le 22 mars.

Les divers miracles que raconte saint Grégoire, et qui se rattachent à cette époque de la vie de saint Benoît, révèlent son esprit de prière, sa sollicitude paternelle pour ses moines, son esprit d’obéissance et d’humilité : tels sont, la correction d’un moine qui ne pouvait rester à l’oraison, parce que le démon l’attirait au dehors, l’éruption d’une source d’eau au sommet d’un mont pour épargner la fatigue aux moines, le fer d’un outil remontant à la surface du lac pour s’adapter de lui-même au manche, le fait de Maur marchant sur les eaux du lac pour ramener au bord Placide qui se noyait, etc.

Mais Benoît n’échappa point à la condition des vrais amis de Dieu. Ses vertus et ses miracles lui suscitèrent des envieux. Le prêtre d’une église voisine de Subiaco, nommé Florentius, se laissant séduire par le démon, se mit à combattre les efforts du serviteur de Dieu et à dénigrer sa conduite. Ne réussissant point à détourner de lui ceux qui aspiraient à une vie parfaite, il tenta lui aussi de l’empoisonner : dans ce but il osa lui envoyer un pain dans lequel le poison se trouvait caché. Benoît reçut ce pain et remercia le donateur. Mais à l’heure du repas, un corbeau avait l’habitude de venir de la forêt voisine pour recevoir du pain de la main de Benoît. Quand il vint comme à l’ordinaire, Benoît prit le pain envoyé par le prêtre, le jeta devant le corbeau en lui disant : « Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, prends ce pain et va le jeter dans un lieu où personne ne pourra le trouver. » Le corbeau ouvrant le bec et battant des ailes, se mit à voltiger autour du pain et à croasser, comme pour faire entendre qu’il voulait bien obéir, mais qu’il ne pouvait pas. Benoît insista plusieurs fois, répétant : « Prends-­le sans crainte, et porte-le où personne ne pourra le trouver. » Le corbeau hésita longtemps, piqua enfin le pain, l’enleva et disparut. Il revint trois heures après sans le pain, et reçut de Benoît sa pitance accoutumée.

Florentius qui n’avait pu tuer le corps du maître, voulut perdre les âmes des disciples : il envoya dans le jardin du monastère sept jeunes filles nues, qui se tenant ensemble par les mains, dansèrent longtemps devant les religieux pour exciter dans leurs cœurs les ardeurs des mauvais désirs. Benoît les aperçut de sa cellule et craignit la chute de ses disciples : mais comme toute cette persécution était dirigée contre lui seul, il céda la place à l’ennemi. Il établit donc des prieurs et un certain nombre de frères dans tous ses oratoires et changea de résidence, emmenant seulement avec lui quelques religieux. Dieu frappa bientôt d’une manière terrible Florentius qui fut écrasé sous la galerie de sa maison. Maur, le disciple de Benoît, crut devoir lui annoncer cette nouvelle en disant : « Revenez, mon Père, car le prêtre qui vous persécutait est mort. » Mais l’homme de Dieu, entendant cela, s’affligea de la mort de son ennemi, et comme Maur avait osé s’en réjouir, il lui imposa une pénitence.

On place communément en l’an 529, l’abandon de Subiaco par Benoît : cet homme que tant de miracles faisaient paraître comme vraiment rempli de l’esprit de tous les Justes avait alors quarante-neuf ans. Il allait parfaire son œuvre sur un nouveau théâtre.

Fondation du Mont-Cassin

Benoît, en quittant Subiaco emmena donc un certain nombre de disciples, et parmi eux, Maur et Placide qu’il entourait d’une spéciale affection. Le poète Marc, un autre disciple immédiat du saint a attesté qu’au moment où le saint homme se mit en marche, trois corbeaux sortirent du bois et accompagnèrent le cortège à travers les sentiers de la montagne. Ces oiseaux apprivoisés, attachés d’ordinaire à leur retraite et à leur nid, montrèrent à leur façon que la stabilité, élément nécessaire de la vie bénédictine, doit pouvoir céder quand il le faut à l’appel de Dieu. Après la traversée des montagnes, Benoît, suivi de ses disciples, traversa la ville de Cassinum, et se mit à gravir le sentier rocailleux pour atteindre le sommet où se trouvait la forteresse : à mi-côte, il rencontra un bois sacré où les païens des montagnes venaient encore fêter Vénus. Près du bois, il s’agenouilla et fit sa prière, puis se relevant, il monta vers la forteresse où s’en trouvaient deux dédiés l’un à Apollon, l’autre à Jupiter. Arrivé dans l’enceinte il brisa l’idole, renversa l’autel, brûla les bois sacrés ; dans le temple d’Apollon, il établit un oratoire à Saint-Martin, en dédia un autre à l’endroit même où était l’autel de Jupiter, et se mit à prêcher la foi au peuple des environs.

Ce zèle apostolique excita la rage du démon qui, se montrant sous une forme visible, se plaignit à grands cris de la violence qu’on lui faisait. Les disciples de Benoît ne voyaient pas ces horribles apparitions, mais ils entendaient ce que le démon disait dans sa fureur : « Benoît ! Benoît ! Sois maudit et non béni ! Pourquoi me persécutes-tu ? » Ce fut pour le serviteur de Dieu l’occasion de nouvelles victoires. On se mit au travail pour la construction du nouveau monastère, au milieu d’entraves sans cesse renouvelées. Tantôt c’était une énorme pierre qu’on ne pouvait ébranler, le démon rendant tous les efforts inutiles, tantôt c’étaient des flammes paraissant dans la cuisine et menaçant de tout détruire parce qu’on y avait jeté une idole, tantôt c’était un mur renversé et écrasant un jeune moine.

Et Benoît, favorisé du don des miracles, combattait avec succès toutes ces ruses pernicieuses de l’esprit malin. Dieu lui donnait en même temps les lumières à l’aide desquelles il connaissait les secrets des cœurs, découvrait les événements qui se passaient à distance comme s’il les avait vus de ses yeux. Le roi Totila, entendant parler de l’esprit prophétique de Benoît, voulut en avoir la preuve. Ayant sollicité une audience, il envoya à sa place son écuyer Riggo, et lui fit prendre ses chaussures et ses ornements royaux. D’aussi loin que Benoît vit arriver ce messager et put se faire entendre de lui, il cria : « Quittez, mon fils, quittez tout ce que vous portez, cela ne vous appartient pas. » À ces mots Riggo tomba à terre, tout tremblant d’avoir osé se jouer d’un si grand homme, puis il alla rapporter le fait à Totila. Celui-ci arriva ensuite : apercevant l’homme de Dieu assis à une certaine distance, il se prosterna à terre. Par deux et trois fois Benoît lui dit : « Levez-vous ! » Et Totila n’osant le faire, Benoît s’approcha, le releva lui­-même : il lui reprocha ensuite ses actions, lui prédit en quelques mots ce qui devait lui arriver : « Vous faites beaucoup de mal, lui dit-il, vous en avez beaucoup fait, tâchez de modérer enfin vos iniquités. Vous entrerez dans Rome, vous passerez la mer, vous régnerez neuf années et vous mourrez la dixième. » Le roi, grandement effrayé, se recommanda aux prières du saint abbé dont la prédiction se réalisa de point en point. À l’évêque de Canuse, qui venait souvent le visiter, Benoît renouvela cette prédiction, et fit connaître les maux qui devaient fondre sur Rome : « Rome, dit-il, ne sera pas détruite par les étrangers, mais elle sera tellement ravagée par les tempêtes, les orages, les tremblements de terre qu’elle périra d’elle-même. » Ces prophéties se réalisèrent complètement : celles qui regardaient Rome s’accomplirent du vivant de saint Grégoire.

Un clerc de l’église d’Aquin tourmenté par le démon n’avait pu être guéri après de nombreuses visites aux sanctuaires des martyrs ; on l’amena à Benoît qui invoqua sur lui le nom de Jésus et chassa aussitôt le démon. Il dit alors au clerc délivré : « Allez, ne mangez pas de viande, et gardez-vous de vous faire ordonner, car le jour où vous aurez la témérité de recevoir les saints ordres, vous retomberez aussitôt sous le pouvoir du démon. Le clerc se retira ; la crainte que lui laissa le souvenir de sa possession le rendit d’abord fidèle aux prescriptions du serviteur de Dieu. Bien des années après, lorsque ses supérieurs furent morts, et qu’il vit de plus jeunes que lui recevoir les ordres sacrés, il ne tint plus compte des paroles de Benoît, il se présenta au sacerdoce, et aussitôt le démon s’empara de lui pour ne plus le quitter. Un noble, nommé Théoprobe, converti par les exhortations du saint et admis dans son intimité, entra un jour dans la cellule de Benoît et le trouva pleurant à chaudes larmes. Il attendit longtemps, et, comme les larmes ne tarissaient pas, il voulut savoir la cause d’une si grande affiiction. Benoît lui répondit : « Tout ce monastère que j’ai construit et que j’ai préparé pour mes frères, le jugement de Dieu le livre aux infidèles : c’est à peine si j’ai pu obtenir que la vie des religieux me fût accordée. » Cette prophétie entendue par Théoprobe se réalisa en effet lorsque en 583 les Lombards entrèrent au Mont-Cassin, pillèrent tout, mais ne purent s’emparer de personne : les religieux se réfugièrent à Rome et y bâtirent un monastère à Saint-Jean de Latran.

Trois exemples achèveront de montrer jusqu’à quel point Benoît savait découvrir les choses les plus cachées. Un converti du nom d’Exhilaratus fut envoyé par son maître porter à Benoît deux flacons de vin : il en porta un et cacha l’autre en chemin. Benoît reçut le flacon en remerciant, mais au serviteur qui prenait congé de lui il dit : « Prends garde, mon fils, de boire du flacon que tu as caché, penche-le avec précaution et tu verras ce qu’il contient. » Le jeune homme se retira tout confus, et voulut vérifier en retournant ce qui lui avait été dit. Il inclina le flacon et il en sortit aussitôt un serpent. Cette découverte lui inspira une vive horreur de sa faute. Un moine après avoir donné son instruction à des religieuses du voisinage, reçut de ces religieuses quelques mouchoirs qu’il cacha dans son sein. Au retour, après avoir reçu la bénédiction de son abbé, il s’entendit reprendre très amèrement : « Comment, mon fils, lui dit Benoît, l’iniquité est-elle entrée dans votre sein ? N’étais-je pas présent lorsque vous avez reçu des mouchoirs de ces servantes de Dieu et que vous les avez cachés dans votre sein ? » Alors le religieux se prosterna à ses pieds, avoua sa folle conduite et présenta les mouchoirs qu’il avait cachés. Au repas du soir, le vénérable Père avait un religieux qui tenait la lampe devant sa table. Cette fonction fut remplie un soir par un frère, fils d’un avocat, qui s’entretenait intérieurement de certaines pensées d’orgueil, inspirées par le démon : « Quel est celui que je sers à table ? se disait-il : je tiens sa lampe comme un esclave ; suis-je donc fait pour lui obéir ? » Tout à coup l’homme de Dieu le regarda et lui dit d’un ton sévère : « Faites le signe de la croix sur votre cœur, mon frère, que murmurez-vous en vous-même ? » Puis il appela un autre frère auquel il donna l’ordre de prendre la lampe des mains du frère ainsi réprimandé. Celui-ci raconta plus tard les pensées d’orgueil qu’il avait eues et ce qu’il avait dit intérieurement contre Benoît. Il fut évident pour tous qu’il n’y avait rien de caché pour ce saint homme.

Plusieurs traits touchants nous révèlent jusqu’où allaient en Benoît la confiance en Dieu et l’esprit de pauvreté. En 539 une grande disette désola l’Italie : les habitants de la Campanie eurent beaucoup à en souffrir. Le blé vint à manquer dans le monastère de Benoît : un jour il n’y eut plus que cinq pains pour le repas des frères. Le vénérable Père, voyant la tristesse sur leurs visages leur reprocha doucement leur manque de confiance : « Pourquoi, leur dit-il, vous attrister ainsi de ce manque de pain ? Aujourd’hui vous en avez bien peu, mais demain vous en aurez en abondance. » En effet, le jour suivant, on trouva devant la porte du monastère deux cents boisseaux de farine dans des sacs, sans qu’on ait jamais su par qui le Dieu tout­puissant les avait envoyés. Les frères remercièrent le Seigneur et apprirent ainsi à ne jamais douter de l’abondance même en temps de disette. Un brave homme, tourmenté par une dette pressante qu’il ne pouvait acquitter, vint déclarer à Benoît qu’il était poursuivi par un créancier pour douze sous d’or. Le vénérable abbé répondit qu’il n’avait point ces douze sous, puis il ajouta en manière de consolation : « Allez, et revenez dans deux jours, car je n’ai pas aujourd’hui ce qu’il faudrait vous donner. » Pendant ces deux jours, Benoît pria beaucoup ; le troisième jour quand le pauvre débiteur se présenta, on trouva sur le coffre qui renfermait le blé du monastère treize sous d’or. L’homme de Dieu ordonna de les remettre au pauvre débiteur et lui dit : « Payez votre dette avec les douze et gardez le treizième pour vos propres besoins. » Dans la grande disette dont il vient d’être question, il ne resta plus au cellier du monastère qu’un peu d’huile dans une bouteille de verre. Un sous-diacre nommé Agapit vint alors demander avec insistance qu’on lui procurât un peu d’huile. Benoît donna l’ordre de remettre au solliciteur le peu d’huile qui restait. Le cellérier entendit bien cet ordre, mais ne se pressa point de l’exécuter. Interrogé quelque temps après par Benoît, il répondit que s’il avait exécuté l’ordre, il ne serait rien resté pour les frères. Indigné de cette réponse, Benoît commanda à un autre religieux de jeter par la fenêtre la bouteille qui paraissait contenir encore un peu d’huile, pour qu’il ne restât rien au monastère qui fût le résultat de la désobéissance. Sous la fenêtre était un grand précipice hérissé de rochers : la bouteille y fut jetée et tomba au fond sans se briser. Benoît la fit ramasser et remettre au sous-diacre. Il réunit ensuite tous les frères, reprocha en leur présence au religieux qui lui avait désobéi son défaut de foi et son orgueil. À près cette réprimande, il se mit à prier avec les frères. Dans le lieu même où ils étaient réunis se trouvait un tonneau où il n’y avait pas d’huile et sur lequel était un couvercle. Au bout de quelque temps, le couvercle se souleva, et comme l’huile continuait de monter, elle finit par déborder et inonda le pavé. Lorsque Benoît s’en aperçut, il cessa de prier, et l’huile cessa de couler. Il reprit alors plus longuement le frère qui avait manqué de confiance et de soumission, lui recommandant d’avoir désormais plus de foi et d’humilité. Le frère rougit et profita de cette salutaire correction.

La charité de Benoît lui fit accomplir des prodiges dont les effets s’étendirent même au delà du tombeau. Un religieux inconstant ne voulait plus rester au monastère. Benoît, fatigué de lui donner des conseils pour résister à ce qu’il jugeait une tentation, finit par lui ordonner de partir. À peine sorti, le frère rencontra sur son chemin, un dragon qui menaçait de le dévorer : il rentra plus mort que vif au monastère et promit de n’en plus jamais sortir. Sous le roi Totila, un arien nommé Zalla, exerçait toutes sortes de cruautés sur ceux qui étaient fidèles à l’Église catholique. Un jour qu’il tourmentait un pauvre villageois, cet infortuné finit par lui déclarer qu’il avait confié tout son avoir au serviteur de Dieu Benoît. Le cruel Zalla cessa de torturer sa victime, mais lui attacha les bras avec de fortes courroies et le contraignit à marcher devant son cheval pour qu’il lui montrât ce Benoît qui avait son bien. Le villageois, ainsi enchaîné, conduisit son persécuteur jusqu’à la porte du monastère où Benoît se trouvait assis et occupé à la lecture. Zalla, pensant effrayer le saint homme, lui jeta un regard farouche et cria : « Allons, debout, debout, et rends à ce paysan ce que tu en as reçu ! » Benoît leva les yeux, et à peine eut-il jeté sa vue sur les courroies du villageois que celles-ci se délièrent d’elles­mêmes. Zalla épouvanté de la puissance de ce regard, se prosterna à terre et demanda humblement au saint abbé le secours de ses prières. Sans se lever ni quitter sa lecture, Benoît appela des frères, leur ordonna de faire entrer Zalla, pour lui rendre les devoirs de l’hospitalité. Quand les frères, après avoir exécuté ses ordres, lui ramenèrent Zalla, Benoît avertit doucement celui-ci de ne plus se livrer à ses cruautés insensées. Zalla vaincu n’osa plus rien demander au villageois.

Dans une autre circonstance, Benoît revenait du travail des champs, quand un paysan, égaré par la douleur, après avoir déposé à la porte du monastère le corps inanimé de son enfant, l’aborda en criant : « Rendez-moi mon fils ! Rendez-moi mon fils ! » L’homme de Dieu s’arrêta à ces paroles et dit : « Eh ! quoi, vous ai-je ôté votre fils ? » — « Il est mort, répondit le paysan, venez, ressuscitez-le. » Contristé d’entendre un pareil discours, il dit : « Retirez-vous, mes frères, retirez-vous ; ce n’est pas à nous, c’est aux saints apôtres à faire ces choses. Pourquoi vouloir nous imposer des fardeaux que nous ne pou­vons porter ? » Mais le malheureux père, poussé par la douleur, persistait dans sa demande, déclarant qu’il ne se retirerait pas sans son fils vivant. Alors Benoît lui dit : « Où est-il ? » Le paysan répondit : « Voici son corps étendu devant la porte du monastère. » L’homme de Dieu s’y rendit avec les frères, se mit à genoux, se pencha sur le petit corps de l’enfant. Se levant ensuite et tendant les mains vers le ciel, il dit : « Seigneur, ne considérez pas mes péchés, mais la foi de cet homme qui demande la résurrection de son fils ; rendez à ce petit corps l’âme que vous en avez retirée. » À peine eut-il terminé cette prière que l’âme revenant fit tressaillir le corps de l’enfant à la vue de tous les assistants. Benoît prit l’enfant par la main et le rendit à son père.

Les paroles même les plus simples semblaient avoir une vertu : des âmes l’éprouvèrent jusqu’au delà du tombeau, comme ces deux religieuses de bonne famille qui vivaient loin de son monastère. Pour ne pas retenir leur langue elles irritaient souvent l’homme qui pourvoyait à leurs besoins matériels. Cet homme vint s’en plaindre à Benoît qui pour les corriger leur fit dire qu’il les excommunierait. Ce n’était qu’une menace au cas où elles ne changeraient pas. Elles moururent peu après, sans avoir changé, et furent enterrées dans l’église. Quand on célébrait la messe dans cette église et que le diacre disait : « Si quelqu’un ne communie pas, qu’il se retire », la nourrice de ces religieuses les voyait sortir de leur tombeau et quitter l’église. Elle en prévint Benoît qui fit présenter pour elles une offrande à l’église, ajoutant qu’après cette offrande elles ne seraient séparées de la communion des fidèles : qui arriva.

On s’est demandé si Benoît était prêtre. Sûrement il était diacre puisque nous le voyons prêcher aux populations du Mont­-Cassin sans provoquer des réclamations de la part du clergé. Quant à la prêtrise, aucun des faits connus de sa vie n’autorise à affirmer qu’il l’ait reçue, et les prescriptions de sa règle relatives aux prêtres dans le monastère semblent indiquer qu’il ne l’était pas. Telle a été l’opinion établie dès le 12ème siècle. L’ opinion contraire s’est fait jour au 16ème siècle, mais elle a réuni peu d’adhésions. Cette dernière opinion a été reprise par dom E. Schmidt en 1901.

Nous ne répéterons pas ici le dernier entretien de Benoît avec sa sœur Scholastique (voir 10 février) : nous nous contenterons de signaler une dernière faveur qui fut accordée au saint abbé vers la fin de sa vie. Le diacre Servandus, abbé d’un monastère de la Campanie vint, selon sa coutume, rendre visite à Benoît pour un dernier entretien spirituel. Quand vint l’heure du repos, Benoît se retira dans la partie supérieure de la tour, et plaça Servandus dans une chambre inférieure qui communiquait facilement avec le haut par un escalier. Devant la tour était un bâtiment plus vaste où reposaient les disciples des deux abbés. Pendant que les frères dormaient encore, Benoît veillait. Soudain, de sa fenêtre, il vit une lumière descendre d’en haut et dissiper les ténèbres. Dans cette vision, comme il le raconta lui-même, le monde entier fut présenté à ses yeux comme ramassé dans un seul rayon de soleil. Et au même moment, Benoît vit l’âme de Germain, évêque de Capoue portée au ciel par les anges dans un globe de feu. Voulant avoir un autre témoin d’un si grand miracle, il appela deux ou trois fois le diacre Servandus. Celui-ci, troublé à cet appel, monta en toute hâte et vit encore un reste de lumière : Benoît lui raconta en détail tout ce qui venait de se passer. On envoya aussitôt le vertueux Théoprobe à Capoue qui constata que le vénérable Germain était mort, et que le trépas avait eu lieu juste au moment de la vision de Benoît.

Mort de Benoît

Quarante jours environ après que Benoît avait rendu les derniers devoirs à sa sœur Scholastique, le Saint homme annonça à quelques disciples, le jour de son prochain trépas. Il ne lui restait plus que six jours à vivre, et rien ne faisait présager une fin aussi proche. Il fit alors ouvrir son tombeau, voulant sans doute faire entendre par là que, pour dissiper l’horreur de la mort, le meilleur remède est de l’avoir toujours présente. Son intention était de revoir aussi le corps de sa sœur, et de mourir avec la certitude que ses os reposeraient à côté des siens. Aussitôt après il fut saisi d’une fièvre violente qui le consumait ; le sixième jour de sa maladie, il se fit porter par ses disciples dans l’oratoire de Saint-Jean-Baptiste, il y reçut, comme viatique de départ, le corps et le sang de Notre-­Seigneur. Puis, soutenu par les bras de ses disciples, les mains étendues vers le ciel, et debout, il rendit le dernier soupir en murmurant une suprême prière. Tous ses disciples furent avec lui à la mort comme à la vie parce que tous voulaient le revoir au ciel.

Le jour même de la mort, deux moines dont l’un était au monastère et l’autre en pays lointain eurent la même vision, suivant ce qu’il avait prédit avant de mourir. Ils virent une échelle s’élever, du point où Benoît avait rendu son âme jusqu’au ciel : elle était couverte de riches draperies et éclairée par une multitude d’étoiles. Au sommet se tenait un homme d’un aspect vénérable, rayonnant d’une lumière divine, il leur dit : « C’est la voie par laquelle Benoît, le bien-aimé du Seigneur,  est monté au ciel. » Ceux qui étaient absents connurent alors au signe qui leur avait été prédit, la mort du saint homme en même temps que les frères qui en avaient été témoins. Les disciples déposèrent le corps de leur vénérable Père à côté de celui de sa sœur Scholastique dans le sépulcre qu’il s’était préparé sous l’autel de Saint-Jean-Baptiste, au lieu même de l’autel d’Apollon qu’il avait renversé (21 mars 543, d’après l’opinion la plus commune).

L’œuvre de Saint Benoît (Bénédictins de Paris)

Saint Grégoire le Grand, le biographe que nous avons suivi dans ses grandes lignes, parle en ces termes de la règle bénédictine : « L’homme qui a brillé dans le monde par tant de miracles, l’a éclairé grandement aussi par sa doctrine ; car il a écrit aussi pour les moines une règle remarquable par sa discrétion et par la clarté de son langage. Elle reflète à fond sa vie et ses mœurs, on retrouve dans l’institution de cette règle toutes les vertus du maître ; le saint homme n’a jamais pu enseigner autrement qu’il n’a vécu. » Après ce premier éloge, il y aurait à citer siècle par siècle, le témoignage des souverains pontifes, des conciles, des docteurs et des saints. Voici ce qu’écrivait en 1862 Dom Guéranger (Enchiridium benedictinum) : « Saint Thomas, sainte Hildegarde, saint Antonin, ont cru que cette règle était directement inspirée par l’Esprit-Saint. De Charlemagne à Côme de Médicis, elle a été regardée comme un admirable modèle de législation même civile ; presque tous les ordres militaires l’ont prise comme base de leurs constitutions. Pendant huit siècles, elle a prévalu seule en Occident ; elle a de plus exercé une influence bienfaisante sur la vie du clergé séculier ; la constitution de l’ordre bénédictin a servi de type aux chapitres des cathédrales. »

Et Bossuet (Panégyrique de saint Benoît) s’exprime ainsi « : « Cette règle, c’est un précis du christianisme, un docte et mystérieux abrégé de toute la doctrine de l’Évangile, de toutes les institutions des saints Pères, de tous les conseils de perfection. Là paraissent avec éminence la prudence et la simplicité, l’humilité et le courage, la sévérité et la douceur, la liberté et la dépendance ; là, la correction a toute sa fermeté, la condescendance tout son attrait, le commandement sa vigueur et la sujétion son repos, le silence sa gravité et la parole sa grâce, la force son exercice et la faiblesse son soutien, et toutefois, il l’appelle un commencement. »

Quant aux disciples de saint Benoît, le développement merveilleux de la famille bénédictine peut être considéré comme un événement providentiel et le fruit des bénédictions célestes répandues sur son œuvre à travers les siècles.

Extraits de la Règle de Saint Benoît

Du Prologue

Lorsque nous avons demandé au Seigneur, mes frères, qui habitera dans sa demeure, nous avons appris ce qu’il faut faire pour y demeurer. Puissions-nous accomplir ce qui est exigé de cet habitant ! Il nous faut donc préparer nos cœurs et nos corps aux combats de la sainte obéissance à ses commandements.
Quant à ce qui manque en nous aux forces de la nature, prions le Seigneur d’ordonner à sa grâce de nous prêter son aide. Et si, désireux d’éviter les peines de l’enfer, nous voulons parvenir à la vie éternelle, tandis qu’il en est temps encore et que nous sommes en ce corps et que nous pouvons accomplir tout cela à la lumière de cette vie, courons et faisons, dès ce moment, ce qui nous profitera pour toute l’éternité.
C’est à cette fin que nous voulons fonder une école où l’on serve le Seigneur. Dans cette institution, nous espérons ne rien établir de rude ni de pesant. Si, toutefois, il s’y rencontrait quelque chose d’un peu rigoureux, qui fût imposé par l’équité pour corriger nos vices et sauvegarder la charité, garde-toi bien, sous l’effet d’une crainte subite, de quitter la voie du salut dont les débuts sont toujours difficiles.
En effet, à mesure que l’on progresse dans la voie religieuse et dans la foi, le cœur se dilate, et l’on court dans la voie des commandements de Dieu, avec la douceur ineffable de l’amour. Ne nous écartons donc jamais de son enseignement, et persévérant jusqu’à la mort dans sa doctrine au sein du monastère, participons par la patience aux souffrances du Christ pour mériter d’avoir part à son royaume. Amen.

Chapitre 72, Le bon zèle

Il est un mauvais zèle, un zèle amer, qui sépare de Dieu et mène à l’enfer. De même, il est un bon zèle qui sépare des vices et mène à Dieu et à la vie éternelle. C’est ce zèle que les moines pratiqueront avec un très ardent amour : ils s’honoreront mutuellement avec prévenance ; (cf. Rm 12, 10) ils supporteront avec une très grande patience les infirmités d’autrui, tant physiques que morales ; ils s’obéiront à l’envi ; nul ne recherchera ce qu’il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l’est pour autrui ; ils s’accorderont une chaste charité fraternelle ; ils craindront Dieu avec amour ; ils aimeront leur abbé avec une charité sincère et humble ; ils ne préfèreront absolument rien au Christ ; qu’Il nous amène tous ensemble à la vie éternelle !

Prières

Oratio

Omnípotens sempitérne Deus, qui hodiérna die carnis edúctum ergástulo sanctíssimum Confessórem tuum Benedíctum sublevásti ad cælum :  concéde, quæsumus, hæc festa tuis fámulis celebrántibus cunctórum véniam delictórum ; ut, qui exsultántibus ánimis eius claritáti congáudent, ipso apud te interveniénte, consociéntur et méritis. Per Dóminum.

Oraison

Dieu tout-puissant et éternel, qui avez en ce jour tiré votre Confesseur, le Bienheureux Benoît, de la prison de son corps pour l’élever au ciel, daignez accorder à vos serviteurs qui célèbrent cette Fête le pardon de toutes leurs fautes, afin que, prenant part dans la joie de leur âme à sa gloire et à son bonheur, ils soient, grâce à son intercession, associés à ses mérites.

Oratio

Omnípotens, sempitérne Deus, qui per gloriósa exémpla humilitátis, triúmphum nobis ostendísti ætérnum ; da quæsumus, ut viam tibi plácitæ obœdiéntiæ, qua venerábilis Pater illésus antecedébat Benedíctus, nos, præclaris eius mentis adiúti, sine erróre subsequámur.

Oraison

Dieu tout-puissant et éternel, qui par les glorieux exemples de l’humilité nous avez montrés le triomphe éternel ; donnez-nous, nous vous en prions, de suivre sans erreur la voie de l’obéissance qui vous plaît, sur laquelle le vénérable Père Benoît nous a précédé pour son bien, en étant aidé de la lumière de son esprit.

Prière de Dom Prosper Guéranger (1805-1875) à saint Benoît

Nous vous saluons avec amour, ô Benoît, vase d’élection, palmier du désert, homme angélique ! Quel mortel a été choisi pour opérer sur la terre plus de merveilles que vous n’en avez accompli ? Le Christ vous a couronné comme l’un de ses principaux coopérateurs dans l’œuvre du salut et de la sanctification des hommes. Qui pourrait compter les millions d’âmes qui vous doivent la béatitude éternelle, soit que votre Règle immortelle les ait sanctifiées dans le cloître, soit que le zèle de vos fils ait été pour elles le moyen de connaître et de servir le grand Dieu qui vous a élu ? Autour de vous, dans le séjour de la gloire, un nombre immense de bienheureux se reconnaît redevable à vous, après Dieu, de la félicité éternelle ; sur la terre, des nations entières professent la vraie foi, parce qu’elles ont été évangélisées par vos disciples.

Ô Père de tant de peuples, abaissez vos regards sur votre héritage, et bénissez encore cette Europe ingrate qui vous doit tout, et qui a presque oublié votre nom. La lumière que vos enfants lui apportèrent a pâli ; la chaleur par laquelle ils vivifièrent les sociétés qu’ils fondèrent et civilisèrent par la Croix, s’est refroidie ; les ronces ont couvert en grande partie le sol dans lequel ils jetèrent la semence du salut : venez au secours de votre œuvre ; et, par vos prières, retenez la vie qui menace de s’éteindre. Consolidez ce qui est ébranlé ; et qu’une nouvelle Europe, une Europe catholique, s’élève bientôt à la place de celle que l’hérésie et toutes les fausses doctrines nous ont faite.

Ô Patriarche des Serviteurs de Dieu, considérez du haut du ciel la Vigne que vos mains ont plantée, et voyez à quel état de dépérissement elle est déchue. Jadis, en ce jour, votre nom était loué comme celui d’un Père dans trente mille monastères, des côtes de la Baltique aux rivages de la Syrie, de la verte Erin aux steppes de la Pologne : maintenant, on n’entend plus retentir que de rares et faibles concerts, qui montent vers vous du sein de cet immense patrimoine que la foi et la reconnaissance des peuples vous avaient consacré. Le vent brûlant de l’hérésie a consumé une partie de vos moissons, la cupidité a convoité le reste, et la spoliation depuis .les siècles ne s’est jamais arrêtée dans son cours, soit qu’elle ait appelé la politique à son aide, soit qu’elle ait eu recours à la violence ouverte. Vous avez été dépossédé, ô Benoit, de ces milliers de sanctuaires qui furent si longtemps pour les peuples le principal foyer de vie et de lumière ; et la race de vos enfants s’est presque éteinte. Veillez, ô Père, sur leurs derniers rejetons. Selon une antique tradition, le Seigneur vous révéla un jour que votre filiation devait persévérer jusqu’aux derniers jours du monde, que vos enfants combattraient pour la sainte Église Romaine, et qu’ils confirmeraient la foi de plusieurs, dans les suprêmes épreuves de l’Église ; daignez, par votre bras puissant, protéger les débris de cette famille qui vous nomme encore son Père. Relevez-la, multipliez-la, sanctifiez-la ; faites fleurir chez elle l’esprit que vous avez déposé dans votre Règle sainte, et montrez par vos œuvres que vous êtes toujours le béni du Seigneur.

Soutenez la sainte Église par votre intercession puissante, ô Benoît ! Assistez le Siège Apostolique, si souvent occupé par vos enfants. Père de tant de Pasteurs des peuples, obtenez-nous des Évêques semblables à ceux que votre Règle a formés. Père de tant d’Apôtres, demandez pour les pays infidèles des envoyés évangéliques qui triomphent par le sang et par la parole, comme ceux qui sortirent de vos cloîtres. Père de tant de Docteurs, priez, afin que la science des saintes lettres renaisse pour le secours de l’Église et pour la confusion de l’erreur. Père de tant d’Ascètes sublimes, réchauffez le zèle de la perfection chrétienne, qui languit au sein de nos chrétientés modernes. Patriarche de la Religion dans l’Occident, vivifiez tous les Ordres Religieux que l’Esprit-Saint a donnés successivement à l’Église ; tous vous regardent avec respect comme un ancêtre vénérable ; répandez sur eux tous l’influence de votre paternelle charité.

Enfin, ô Benoît, ami de Dieu, priez pour les fidèles du Christ, en ces jours consacrés aux sentiments et aux œuvres de la pénitence. C’est du sein même de la sainte Quarantaine que vous vous êtes élancé vers le séjour des joies éternelles : soyez propice aux chrétiens qui combattent en ce moment dans cette même arène. Élevez leur courage par vos exemples et par vos préceptes ; qu’ils apprennent de vous à dompter la chair, à la soumettre à l’esprit ; qu’ils recherchent comme vous la retraite, pour y méditer les années éternelles ; qu’ils détachent leur cœur et leurs pensées des joies fugitives du monde. La piété catholique vous invoque comme l’un des patrons et des modèles du chrétien mourant ; elle se souvient du spectacle sublime qu’offrit votre trépas, lorsque debout au pied de l’autel, soutenu sur les bras de vos disciples, touchant à peine la terre de vos pieds, vous rendîtes votre âme à son Créateur, dans la soumission et la confiance ; obtenez-nous, ô Benoît, une mort courageuse et tranquille comme la vôtre. Écartez de nous, à ce moment suprême, toutes les embûches de l’ennemi ; visitez-nous par votre présence, et ne nous quittez pas que nous n’ayons exhalé notre âme dans le sein du Dieu qui vous a couronné.

Antienne

Ã. Hódie sanctus Benedíctus per viam Oriéntis trámitis vidéntibus discípulis cælos ascéndit : hódie eréctis mánibus inter verba oratiónis migrirávit : hódie in glória ab Ángelis suscéptus est.

Ã. Aujourd’hui Saint Benoît, par la voie de l’Orient, sous les yeux de ses disciples, s’est dirigé rapidement vers les cieux. Aujourd’hui, les mains levées dans des paroles d’oraison, il s’en est allé. Aujourd’hui, dans la gloire il a été reçu par les Anges.

Antienne grégorienne “Hodie Sanctus Benedictus”

Antienne Hodie Sanctus Benedictus

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17 novembre — Sainte Gertrude la Grande

17 novembre — Sainte Gertrude la Grande

17 novembre — Sainte Gertrude la Grande

Le mot de Sainte Gertrude

Je ne demande à Jésus qu’une seule chose : que jamais ma volonté ne soit en désaccord avec la sienne.

Saints Bénédictins : Sainte Gertrude d’Helfta, Vierge

Nous sommes à Helfta, monastère fondé par les comtes de Mansfeld, non loin de Eisleben, qui doit être la patrie de Luther. L’abbaye compte parmi ses religieuses une jeune fille de vingt-cinq ans, qui est notre Gertrude. L’abbesse était Gertrude de Hackeborn, née en 1232, abbesse en 1251, morte en 1291. Notre sainte n’est donc pas et ne sera jamais l’abbesse de cette maison, comme une similitude de nom l’a fait croire à des critiques peu sagaces. Mais elle en est le charme et l’exemple, et, si nous osions prononcer ce mot en parlant de religieuses ferventes, elle en est l’orgueil : aucune ne sait comme elle saisir les enseignements de l’école du monastère, et elle a fait de rapides progrès dans l’étude des arts libéraux, telle qu’on la comprend à cette époque. N’oublions pas que la culture des lettres était en faveur dans les monastères allemands du moyen âge, et qu’elle était regardée comme une partie essentielle du patrimoine des deux Ordres bénédictins. Ajoutons aussi que Gertrude s’applique surtout à la lecture de la Sainte Écriture, qui n’était pas délaissée comme les protestants ont voulu le faire croire, et qu’elle ne néglige rien pour chanter l’office comme il convient. Il y a vingt ans qu’elle est au monastère; car elle y est entrée à l’âge de cinq ans (1261). Or, c’est en ce moment qu’elle est convertie (27 janvier 1281), d’une de ces conversions dont parlent les saints quand ils pleurent leur vie passée, et qu’ils chantent les miséricordes de Dieu. Souvenons-nous, pour nous en faire une idée, de la conversion de sainte Marie-Madeleine de Pazzi. Parmi les désordres dont Gertrude s’accusait plus tard, il faut noter un goût exagéré pour l’étude des lettres et des sciences.

Mais Jésus-Christ voulait devenir son seul maître, et il donna tant de charme et de puissance à ses exhortations, que la sainte en fut complètement transformée. Comme Marie, sœur de Marthe, elle oublia tout pour se mettre à ses pieds, et elle s’appliqua toute à l’écouter dans le silence des puissances de son âme et dans une entière docilité. L’action de la grâce s’affirma de plus en plus efficace. Elle produisit d’abord dans le cœur de la religieuse une sorte de trouble, qui lui inspira le dégoût de tout ce qui est terrestre. Puis elle lui fit voir que ce cœur n’était pas assez purifié pour être une demeure digne du céleste Époux. Elle la remplissait en même temps de courage et de confiance. Jésus-Christ lui disait : « Ton salut viendra bientôt  : pourquoi t’attrister à ce point? N’as-tu pas un conseiller, un ami, qui peut apaiser tes douleurs toujours renaissantes? » Et il ajoutait : « Je te sauverai et te délivrerai : ne crains rien… Avec mes ennemis, tu as léché la terre, sucé le miel adhérent aux épines. Reviens enfin à moi, et je te ferai bon accueil, et je t’enivrerai du torrent des joies divines. »

Gertrude répondit à cet appel, et, pour récompenser sa bonne volonté, le Maître voulut lui témoigner d’une manière sensible qu’il prenait possession de son cœur. Écoutons la voyante, quand elle nous raconte ce qui lui arriva à cette occasion : « Un jour, — c’était entre la Résurrection et l’Ascension, avant prime —, je m’assis près de l’étang, et je me mis à considérer la beauté de ce lieu. Il me plaisait à cause de la limpidité de l’eau courante, de la verdeur des ombrages, des oiseaux, et particulièrement des colombes, qui s’y ébattaient en toute liberté, mais surtout pour la profonde quiétude que je goûtais dans ce lieu retiré. Je me demandai ce que je voudrais ajouter aux charmes de cet endroit pour que mon bonheur fût parfait, et je souhaitai qu’il y eût quelqu’un pour s’entretenir avec moi dans cette solitude. Et vous, mon Dieu, qui savez procurer des joies inestimables, et qui, j’en ai la confiance, aviez dès le principe dirigé le cours de mes pensées, vous avez fait aussi aboutir vers vous la fin de cette méditation, en m’inspirant la réflexion suivante: si, à la manière d’un cours d’eau, je faisais retourner à vous, par une gratitude continuelle et appropriée, les grâces qui me sont venues de vous; si, croissant en vertus de même que les arbres grandissent, je m’ornais de bonnes œuvres comme ils se parent de feuillage; si, enfin, méprisant les choses terrestres, je volais comme une colombe vers les biens célestes, et si, imposant à mes sens corporels une rupture avec le tumulte des choses extérieures, j’occupais mon âme de vous seul, alors mon cœur deviendrait pour vous la plus délicieuse des demeures. » La sainte continue : « Tout le jour, j’eus l’esprit occupé de ces pensées. Le soir, avant de prendre mon repos, au moment où je venais de fléchir les genoux et de m’incliner pour faire ma prière, je me rappelai tout à coup ce passage de l’Évangile : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. »( Jean 4, 23). Et, au-dedans de moi-même, mon cœur de boue sentit d’une manière très intime votre arrivée en moi. Je voudrais mille et mille fois que la mer fût changée en sang, pour la faire passer sur ma tête, afin d’inonder cette sentine d’extrême misère que vous avez daigné choisir pour demeure, ô vous, qui êtes ce qu’il y a de plus parfait dans l’ineffable majesté ! Si, du moins, je pouvais avoir pendant une heure mon cœur entre les mains, pour le mettre en pièces, le purifier et en brûler toutes les scories, afin qu’il devienne pour vous une demeure, non pas digne, mais moins indigne de vous! »

Admirables accents! où l’amour le plus éprouvé est toujours accompagné de l’humilité la plus profonde et la plus sincère ! Nous les retrouvons, variés sans doute dans leur expression, mais au fond toujours les mêmes, dans les pages où Gertrude nous raconte les autres faveurs qu’elle reçut du Maître: quand, par exemple, il daigna imprimer ses plaies dans le cœur de sa docile épouse, ou quand il le transverbéra d’une blessure d’amour. Mais comment pourrions-nous rendre comme il faut ces récits admirables, pour lesquels le latin de Gertrude est lui-même insuffisant?

Nous ne pouvons toutefois résister au désir de traduire le passage où elle nous raconte un autre trait de la condescendance de Jésus-Christ à son égard : « C’était, nous dit-elle, en cette nuit sacrée où, grâce à la douceur apportée par la rosée de votre divinité, les cieux versèrent le miel. Mon âme, comme une toison exposée dans l’aire de la charité, essaya de se pénétrer de cette rosée par la méditation, et, par l’exercice de sa dévotion, elle essaya de remplir un office dans cet enfantement plus que céleste, par lequel la Vierge mit au monde son Fils, vrai Dieu et vrai homme, de même que l’astre émet son rayon. Il me sembla tout à coup que l’on me présentait et que je recevais dans un coin de mon cœur un tendre enfant, né à l’heure même, dans lequel était caché le don de la suprême perfection., un don vraiment excellent ! Pendant que mon âme le possédait en elle, il lui sembla qu’elle était tout à coup changée dans la même couleur que lui, si l’on peut appeler « couleur» ce qui n’est comparable à aucune espèce visible. Mon âme perçut encore une intelligence ineffable de ces paroles pleines de douceur: « Dieu sera tout en tous » (1 Cor 15, 28), alors qu’elle se sentait posséder son Bien-Aimé descendu dans son cœur, et qu’elle se réjouissait de l’heureuse présence d’un Époux si plein d’une suave douceur. C’est pourquoi elle buvait avec une insatiable avidité les paroles suivantes, qu’une main divine lui versait ainsi qu’un doux breuvage: « Comme je suis, dans ma divinité, la figure de la substance de Dieu le Père, ainsi tu seras l’image de ma substance du côté de l’humanité, en recevant dans ton âme déifiée des effluves de ma divinité, de même que l’air reçoit les rayons du soleil: pénétrée de ce principe unitif, tu seras disposée à une union plus intime avec moi. »

Par une faveur plus grande encore, elle fut marquée du sceau de la Sainte Trinité. Mais au lieu de nous arrêter à discuter la nature de ce miracle, nous aimons mieux parler de sa dévotion au Sacré Cœur. Elle avait reçu de Jésus-Christ saint Jean l’Évangéliste pour patron particulier. Or, un jour qu’elle avait reposé sur le cœur de Jésus-Christ, elle demanda à l’apôtre ; « N’avez-vous pas ressenti, vous aussi, le bien-aimé de Dieu, la douceur de ces très suaves pulsations, quand vous avez reposé pendant la Cène sur cette même poitrine, dont la douceur cause encore maintenant un tel bonheur à mon âme? » ll répondit : « Oui, je le confesse, j’ai senti et ressenti cette douceur: la suavité de ces pulsations pénétra jusqu’à l’intime de mon âme, de même que la liqueur la plus suave donne de la douceur à une miette de pain frais. De plus, elles ont enflammé mon cœur d’une manière puissante, de même qu’une chaudière bouillante est échauffée par l’ardeur excessive du feu. » Alors la sainte: « Et pourquoi, reprit-elle, avez-vous gardé là-dessus un silence si absolu, que vous n’en avez pas dit un seul mot qui le donnât à entendre pour notre progrès spirituel? » L’apôtre répondit: « Ma mission était autre. À l’Église récemment fondée, j’avais à faire connaître, sur le Verbe incréé de Dieu le Père, une seule parole, propre à satisfaire jusqu’à la fin du monde l’intelligence du genre humain tout entier, mais telle que personne ne peut la comprendre parfaitement. Mais la suave éloquence que possèdent ces pulsations a été réservée à notre temps, afin qu’à les entendre, le monde déjà vieux et tiède dans l’amour de Dieu se sente réchauffé. »

Il faudrait citer tout le livre; mais nous nous arrêterons ici. Aussi bien, ce que nous avons le plus admiré, ce ne sont pas ces dons extraordinaires dont nous venons de donner une faible idée, ni les miracles et les prophéties qui ont marqué la vie de Gertrude et montré le caractère divin de sa mission. C’est la théologie sublime qui apparaît dans tous ses écrits, et dont une synthèse suffisamment étudiée serait utile à bien des âmes. On a dit que sainte Gertrude était la théologienne du Sacré Cœur. Nous l’admettrons bien volontiers, pourvu que ce mot ne soit pas pris dans un sens trop exclusif: elle a parlé très souvent et très explicitement de ce divin Cœur, mais elle a traité aussi d’autres points très importants. Nous préférons dire que sainte Gertrude a enseigné d’une manière admirable la théologie de l’Incarnation.

Essayons de résumer sa doctrine : par là même nous caractériserons sa sainteté et sa direction spirituelle. Jésus-Christ est tout pour l’homme. La conséquence de ce principe, c’est que nous devons recourir à lui dans tous nos besoins, toutes nos détresses et toutes nos peines. Il est l’ami auquel nous devons nous confier, le refuge où nous devons nous retirer, le trésor où nous pouvons toujours puiser. Pour être conforme aux desseins de Dieu, notre vie sera toujours unie à la sienne, animée et vivifiée par elle. La sainte recourait à lui avec une entière confiance. Se sentait-elle insuffisamment préparée pour la communion, elle priait Jésus de suppléer à son indigence, et elle s’approchait sans crainte de la Sainte Table. Rien de ce qu’elle put lire n’eut assez de pouvoir pour lui faire omettre une seule de ses communions. Et, pour le dire en passant, nous ne saurions trop recommander ses écrits à ceux qui gardent au fond de leur cœur des objections contre la communion fréquente. Cette confiance apparaissait dans une foule de circonstances. Un jour qu’elle marchait dans un chemin escarpé, elle fit une chute dangereuse. Sa première pensée fut de s’écrier : « Quel bonheur pour moi, Seigneur bien-aimé, si cette chute avait précipité ma réunion avec vous ! » Les religieuses présentes, tout étonnées, lui demandèrent si elle ne craignait pas de mourir sans sacrements. « Je désire de tout mon cœur, reprit-elle, recevoir les sacrements de l’Église, si utiles à l’âme; mais je place au-dessus de toutes les préparations la providence et la volonté de mon Maître. Je suis certaine, quel que soit le genre de mort qui m’enlève de ce monde, de n’être pas privée de la miséricorde du Seigneur : seule elle peut me sauver, aussi bien dans une mort subite que dans une mort à laquelle je me serais longuement préparée. »

Par une conséquence naturelle et nécessaire, Gertrude sentait que pour répondre à tant d’amour et à des bienfaits si multiples, l’homme doit être tout à Dieu et ne rien se réserver. De là une pureté de cœur qui eut pour résultat non pas seulement de garder dans toute sa Splendeur le beau lis de sa virginité, non pas seulement de la préserver de tout péché volontaire, mais encore de la détacher de toute amitié naturelle, de toute propriété, de toute sollicitude inutile. Notre-Seigneur daigna témoigner un jour à sainte Mechtilde, la maîtresse de sainte Gertrude, combien il aimait dans la jeune religieuse ce désir de lui plaire en toutes choses: « Elle marche devant moi, disait-il, sans me perdre de vue un seul instant. Elle n’a qu’un désir: connaître le bon plaisir de mon cœur; et, dès qu’elle l’a appris, elle l’exécute avec un incroyable empressement. À peine a-t-elle accompli une de mes volontés qu’elle m’interroge pour en savoir une autre, et elle s’y conforme avec la même promptitude. Ainsi, toute sa vie est pour ma gloire.»

Est-il besoin d’ajouter que l’humilité de la sainte était profonde, comme nous avons eu déjà l’occasion de le dire en passant? L’âme qui a conscience de ce que Dieu est pour elle, échappe plus facilement aux tentations de l’orgueil. Elle voit les bienfaits dont elle est comblée, et elle se rend compte du mauvais usage qu’elle en fait : comment pourrait-elle être impressionnée par les séductions de l’amour-propre? L’admirable voyante disait avec une profonde conviction : « Le plus grand de vos miracles à mes yeux, Seigneur, c’est que la terre puisse porter une pécheresse aussi indigne que je le suis. » Longtemps elle balaya seule la maison, et elle aimait à rendre aux plus petits les services les plus répugnants. Mais, d’autre part, elle ne jugeait pas à propos de cacher les grâces dont elle était l’objet. Profondément convaincue que personne plus qu’elle n’en était indigne, elle estimait que c’étaient des semences qui passaient dans son âme pour aller fructifier sur de meilleures terres. C’était donc déshonorer les dons de Dieu que de les laisser enfouis dans la sentine de son cœur, et elle devait les tirer de ce cœur pour les déposer dans d’autres cœurs, plus dignes de les recevoir et plus propres à en user pour la gloire de Dieu. C’était par une pensée semblable qu’elle repoussait les tentations de vaine gloire. Elle se disait alors : « Si quelqu’un, en te voyant, cherche à imiter ce qui lui paraît bon, sans imiter ton orgueil, tout sera pour le mieux : ce sera autant de gagné pour Dieu. »

Mais ce que nous croyons devoir signaler comme un trait particulier de la piété de sainte Gertrude, c’est ce que le P. Faber appelle « la liberté d’esprit ». Voici ce que l’éminent Oratorien écrit à ce sujet : « Où règne la loi de Dieu, où souffle l’esprit du Christ, là est la liberté. Nul ne peut lire les écrivains spirituels de l’ancienne école de saint Benoît sans remarquer avec admiration la liberté d’esprit dont leur âme était pénétrée. Ce serait un grand bien pour nous que de posséder un plus grand nombre d’exemplaires et de traductions de leurs œuvres. Sainte Gertrude en est un bel exemple : elle respire partout l’esprit de saint Benoît. » Et plus loin : « Il est assez difficile de parler de liberté d’esprit sans avoir l’air de recommander la négligence, ou de soutenir l’inexactitude, la paresse et le caprice. Mais nous pouvons en toute sécurité développer ce sujet d’après sainte Gertrude elle-même. » Un trait nous montrera comment elle pratiquait cette liberté d’esprit. Une nuit, se sentant défaillir, elle mange une grappe de raisin dans l’intention de soulager dans sa personne le Seigneur lui-même. Celui-ci daigna accepter cette intention, et il lui dit : « Maintenant, je puise à ton cœur un délicieux breuvage. Il compense, par sa douceur, l’amertume du fiel et du vinaigre que, pour l’amour de toi, je laissai exprimer sur mes lèvres, quand j’étais attaché à la Croix. »

Nous voudrions continuer, et parler, par exemple, de cette charité de Gertrude qui se portait vers le soulagement de toutes les misères, aussi bien dans le purgatoire que sur la terre. La sainte est encore, tous le savent, une des âmes favorisées des révélations que l’on consulte avec le plus de fruit pour savoir comment soulager les âmes des défunts. Toutefois, nous ne voulons pas la quitter sans signaler sa tendre dévotion à Marie, et rappeler un trait qui nous montre comment cette dévotion était récompensée. Le jour de la Nativité de la sainte Vierge, Gertrude récitait le Salve Regina. Quand elle arriva à ces mots : « Illos tuos misericordes oculos ad nos converte », elle vit Marie tenant dans ses bras le divin Enfant. La Vierge toucha délicatement le menton de son Fils, et, dirigeant vers Gertrude et ses compagnes le visage et les yeux de Jésus : « Les voici, dit-elle, mes yeux très miséricordieux: ce sont les yeux de mon Fils, et je puis en tourner les regards vers tous ceux qui m’invoquent, pour le salut éternel et la sanctification des âmes. »

Insondables desseins de la Providence, nous nous étonnerions si nous ignorions que vous êtes voulus et dictés par l’infinie Sagesse! Quarante ans environ après la mort de sainte Gertrude survenue en 1302 ou 1303, le monastère de Helfta fut incendié, et le souvenir de la sainte ne put le défendre des horreurs de la guerre. Aujourd’hui, il ne reste plus de ce monastère que la petite chapelle où elle pria si souvent, et où elle fut favorisée bien des fois des apparitions de Notre-Seigneur : encore cette chapelle est-elle profanée, puisqu’elle sert de grenier à foin. Du moins, la sainte nous a laissé de sa sagesse et de sa piété deux monuments incomparables, que personne, il faut l’espérer, ne parviendra désormais à faire disparaître : le Héraut de l’amour divin et les Exercices spirituels. C’est devant ces livres que nous irons nous recueillir, comme dans un sanctuaire, pour écouter ce que Gertrude nous enseigne au nom du Maître qu’elle a choisi de préférence aux docteurs du siècle. À l’école de sainte Gertrude, nous rencontrerons sainte Thérèse, qui avait tant de dévotion pour elle, et aussi saint François de Sales, qui citait avec tendresse et avec bonheur les aspirations de la pieuse Bénédictine . Ceux qui ne la connaissent pas encore seront étonnés qu’une si admirable voyante ait pu leur demeurer jusqu’alors étrangère. Ils s’efforceront comme nous, sans aucun doute, de la signaler à l’admiration de leurs frères.

A. Lépître dans La Revue Universitaire, T. XXV, Lyon, 1897, pp. 228-236

Prières

Oratio

Deus, qui in corde beátæ Gertrudis Vírginis iucúndam tibi mansionem præparásti : ipsíus méritis et intercessióne ; cordis nostri máculas cleménter abstérge, et eiúsdem tríbue gaudére consórtio. Per Dóminum.

Oraison

Ô Dieu, qui vous êtes préparé une demeure agréable dans le cœur de la bienheureuse Vierge Gertrude, daignez, dans votre clémence, en égard à ses mérites et à son intercession, laver les taches qui souillent notre cœur et nous faire jouir de sa compagnie. Par Jésus-Christ, notre Seigneur.

Prière à Sainte Gertrude

​Grâces soient rendues au Seigneur Dieu, source de tous les vrais biens, par tout ce qui est renfermé dans l’étendue des cieux, les limites de la terre et les profondeurs de l’abîme. Que tous les êtres chantent en son honneur cette louange éternelle, immense, immuable, qui, procédant de l’Amour incréé, ne s’achève parfaitement qu’en Lui. Louanges pour la plénitude débordante de cette tendresse divine qui, dirigeant son cours impétueux vers la vallée de notre humaine fragilité, a jeté sur Gertrude, parmi toutes les autres, un regard de prédilection, à cause de ses propres dons par lesquels le Seigneur l’avait attirée à Lui.

Seigneur, je vous loue et vous rends grâces pour tous les bienfaits dont vous avez comblé votre servante Gertrude, je vous loue par cet amour qui vous a fait la choisir de toute éternité pour une grâce si spéciale, l’attirer à vous si suavement, l’unir à vous par une telle familiarité, trouver en elle vos complaisances et vos joies, enfin consommer si heureusement sa vie.

Je vous offre, Seigneur, cette prière de dévotion en union avec l’amour qui vous a fait descendre du ciel sur la terre et accomplir toute votre œuvre de la rédemption des hommes ; en union aussi avec l’amour qui vous fit endurer la mort, puis offrir celle-ci au Père avec tout le fruit de votre très sainte Humanité. Ainsi soit-il.

Prière de Sainte Gertrude pour offrir à Dieu nos actions

Père, je vous confie ceci en union avec les œuvres très parfaites du Seigneur votre Fils, afin que vous l’ordonniez au salut de l’univers, selon votre volonté toujours digne de louanges.

Prière de Sainte Gertrude à Marie pour réparer nos négligences

Je vous offre, ô Mère sans tache, en réparation pour toutes mes négligences, le Cœur très noble et très doux de Jésus-Christ. Seul, en effet, ô Marie, ce Cœur si glorieux et qui renferme en lui tous les biens, peut vous présenter la somme de tout ce qui existe de plus désirable, de tout ce que la dévotion de chaque homme et l’ardeur de ses prières peuvent témoigner d’honneur à votre divine maternité.

Prière de Sainte Gertrude avant de s’endormir

Par la suavité tranquille avec laquelle, de toute éternité, vous avez reposé dans le sein du Père ; par le séjour délicieux qui fut votre repos; durant neuf mois, dans le sein de la Vierge ; par la délectation très agréable que vous daignez savourer en certaines âmes que vous chérissez davantage, je vous supplie, ô Dieu de toute miséricorde, veuillez m’accorder, non pour ma commodité, mais à votre éternelle louange, ce repos de la nuit, afin que mes membres fatigués retrouvent le libre exercice de leurs forces.

Antienne

Ã. Rogemus omnes beatam Gertrudim et humiliter supplicemus ut fiat nobis in caelo coram excelso supplicatrix quae pro Christi amore suam castitatem reservavit in terris.

Ã. Prions tous la bienheureuse Gertrude, et supplions-la avec humilité : qu’elle devienne pour nous dans le Ciel une médiatrice auprès du Très-Haut, elle qui, pour l’amour du Christ, a gardé sa chasteté sur la terre.

Antienne grégorienne “Rogemus omnes"

Antienne Rogemus omnes

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13 novembre — Toussaint bénédictine

13 novembre — Toussaint bénédictine

13 novembre — Toussaint bénédictine

Annonce du Martyrologe Bénédictin

Fête de tous les Saints qui ont milité sous la Règle de Notre Saint Père Benoît, fête instituée par le Pape Paul V.

Du Prologue de Saint Benoît à sa Règle

Quant à ce qui manque en nous aux forces de la nature, prions le Seigneur d’ordonner à sa grâce de nous prêter son aide. Et si, désireux d’éviter les peines de l’enfer, nous voulons parvenir à la vie éternelle, tandis qu’il en est temps encore et que nous sommes en ce corps et que nous pouvons accomplir tout cela à la lumière de cette vie, courons et faisons, dès ce moment, ce qui nous profitera pour toute l’éternité.

Sermon

Extrait d’un sermon de Saint Bernard sur Saint Benoît

Vous avez entendu aujourd’hui même les promesses que le Seigneur fait dans son Évangile à ses apôtres, à qui il disait: « Vous serez assis sur des trônes et vous jugerez les douze tribus d’Israël (Mt 19, 28). » Vous avez là le repos, « vous serez assis », et l’honneur, « vous jugerez. » Mais Notre-Seigneur lui-même n’a pas voulu arriver à ce repos et à cet honneur sans passer par le travail et par les abaissements. S’il fut condamné à la mort la plus honteuse, mis à l’épreuve des tourments et rassasié d’opprobres, ce ne fut que pour couvrir de confusion son ennemi, et quiconque l’imite et le suit dans ses égarements. Voilà, esprit inique, voilà celui qui doit aller s’asseoir sur le trône de sa majesté, parce qu’il est semblable au Très-Haut et le Très-Haut est avec lui. C’est à quoi ont pensé les saints anges qui ne voulurent point partager l’apostasie du Malin qu’ils ont vu précipité, et nous ont laissé ainsi un exemple, afin que, de même qu’ils ont mieux aimé se tenir au rang des serviteurs, nous fissions de même de notre côté. Quiconque fuit le labeur et aspire aux honneurs doit donc savoir qu’il marche sur les pas de l’ange qui a aspiré à s’élever et à aller s’asseoir, et si la faute de cet esprit ne l’épouvante point, que du moins son châtiment l’effraie; car tout a tourné pour lui différemment de ce qu’il avait pensé, en sorte qu’il devint un objet de risée et qu’un feu éternel fut préparé pour le recevoir. C’est pour éviter ces malheurs que les saints anges ont semé pour nous la semence de la prudence, dont ils ont commencé de faire preuve eux-mêmes au moment où les autres sont tombés.

C’est aussi la semence que les apôtres ont répandue pour nous, lorsqu’ils s’attachèrent au Seigneur au moment où tant d’autres qui, préférant la sagesse de ce monde qui n’est que folie auprès de Dieu, et la prudence de la chair qui opère la mort et est ennemie de Dieu, s’éloignaient de lui, scandalisés de ce qu’ils lui entendaient dire, du sacrement de la chair et de son sang; ils ne continuèrent pas davantage à marcher à sa suite. Les disciples, au contraire, à la demande que leur fit le Seigneur pour savoir s’ils voulaient, eux aussi, le quitter, répondirent: « Seigneur à qui irons-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle (Io 6, 69). » Mes frères, il faut que nous imitions cette prudence, il y en a beaucoup encore qui marchent dans la société de Jésus jusqu’à ce que vienne le moment pour eux de manger sa chair et boire son sang, c’est-à-dire de prendre part à sa passion, car c’est ce que signifient ces paroles, c’est le sens même de ce sacrement, et qui alors se scandalisent aussi et retournent sur leurs pas, en disant : « C’est une parole dure à entendre (Ibid. 61). » Pour nous, partageons la prudence des apôtres et écrions-nous avec eux : « Seigneur, à qui irons-nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle. » Non, nous ne vous quitterons point; vous nous donnerez la vie. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais encore de toute parole qui tombe de la bouche de Dieu (Dt 8, 3 et Mt 4, 4). Le monde n’est pas seul à avoir ses délices, il s’en trouve de plus grandes que les siennes dans vos paroles. C’est ce qui faisait dire au Prophète: « Que vos paroles semblent douces à mes lèvres ! elles le sont plus que ne le serait le rayon de miel (Ps 118, 103). » À qui donc pourrions-nous aller, Seigneur, puisque vous avez les paroles de la vie éternelle, c’est-à-dire, des paroles qui sont au dessus de toutes celles que le monde peut avoir ? Non-seulement, mes frères, il est la vie même, mais il en est aussi la promesse, il est l’attente des justes, il est leur joie, mais leur joie si grande que tout ce qu’on peut désirer ne lui pourrait être comparé. La prudence est donc la semence que les saints apôtres ont semée pour nous. Quant aux martyrs, il est clair que leur semence est une semence de force. Celle des confesseurs est la justice qu’ils n’ont cessé de poursuivre pendant toute leur vie ; car il y a la même différence entre les martyrs et les confesseurs qu’entre Pierre qui laisse tout, à la fois, et Abraham qui emploie les biens de ce monde à de bonnes œuvres. Les premiers ont, en effet, .vécu beaucoup de temps en quelques instants, et les seconds ont passé leur vie au milieu de longs martyres de toutes sortes. Pour ce qui est des vierges saintes, il est de toute évidence que leur semence est celle de la tempérance puisqu’elles ont su fouler la passion aux pieds.

Par sa doctrine Saint Benoît nous instruit et dirige nos pas dans les sentiers de la paix, et par la justice de sa vie, il nous donne des forces et du courage, et nous anime d’autant plus à faire ce qu’il nous a enseigné, que nous savons pertinemment qu’il ne nous a enseigné que ce qu’il a fait lui-même. Il n’est pas, en effet, d’exhortation si pleine de vie et d’efficacité que l’exemple, car celui qui fait ce qu’il conseille le rend facile à persuader, puisqu’il montre, par sa conduite, que ce qu’il conseille est praticable. Voilà donc comment la sainteté fortifie, la piété instruit, et la justice confirme. Quelle ne fut donc pas en effet la piété de cet homme, qui, non content d’être utile à ceux de son temps, se mit en peine de l’être aussi à ceux qui viendraient après lui? Non-seulement cet arbre a porté du fruit pour ceux qui vivaient alors, mais il en a produit qui dure et persévère jusqu’à nos jours. Il était, certes, bien aimé de Dieu et des hommes, celui dont la présence fut en bénédiction, comme nous voyons que le fut celle de bien des saints, qui, n’étaient aimés que de Dieu, parce qu’ils n’étaient connus que de lui, mais dont le souvenir, de plus, est encore en bénédiction maintenant. En effet, jusqu’à ce jour, par la triple confession de son amour de Dieu, il paît le troupeau du Seigneur de trois sortes de fruits à la fois. Il le paît par sa vie, par sa doctrine et par son intercession. Sans cesse aidés par elle, portez aussi des fruits à votre tour, mes très-chers frères, car c’est pour cela que vous avez été établis, c’est pour que vous alliez , et que vous produisiez du fruit (Io 15, 16). Mais d’où devez-vous sortir pour aller ? De vous mêmes, mes frères, selon ce mot de l’Écriture : « Détournez-vous de votre propre volonté (Eccl 18, 30). » Ne lisons-nous point aussi du Seigneur que « celui qui sème s’en alla semer » (Mt 13, 3)? Ainsi nous avons la semence, nous avons vu quels furent ses fruits; c’est à nous de l’imiter, mes frères, car il n’est venu que pour nous donner la forme, nous montrer la voie.

Dom Mège : Des religieux et des religieuses les plus illustres de l’Ordre de Saint Benoît #1

Les progrès de l’Ordre de saint Benoît, après la mort de son saint Patriarche furent merveilleux, comme les grandes actions de ses enfants. J’aurais du plaisir à les écrire; mais comment pourrait-on enfermer dans un abrégé ce que tant de Solitaires si illustres et si parfaits ont fait et ont souffert dans toutes les parties du monde pour la gloire de Dieu, pour l’établissement, pour la défense et pour l’ornement de l’Église durant tant de siècles ? L’Ordre de S. Benoît a tant fait et de si grandes choses durant près de douze cens ans, il a porté la foi de Jésus-Christ et la sainteté des mœurs en tant de nations différentes, avec tant de gloire et de succès; qu’il faudrait écrire l’histoire de toute la Religion Chrétienne, ou plutôt l’histoire de tout le monde, pour faire exactement celle de ce Saint Institut.

Je ne dois pourtant pas passer sous silence tant de merveilles et tant de grands progrès ; il faut que j’en fasse ici un léger crayon: car il est important que tous nos Solitaires conçoivent une idée véritable de cet admirable Corps dont ils sont les membres ; afin de s’animer par cette vue à ne rien faire et à ne rien souffrir, qui soit indigne d’une profession si sainte et si glorieuse.

C’est cet Ordre qu’un écrivain fort éloquent a comparé à un ruisseau fort petit dans sa source; mais qui s’est si bien enflé dans son cours, qu’il est devenu un grand fleuve, duquel tant d’autres sont sortis et ont pris de sa plénitude; à cette petite pierre détachée sans le secours d’aucune main humaine, qui a renversé l’empire du démon, et qui est devenue une haute montagne. Enfin il le compare à ce petit grain de l’Évangile, qui est devenu un grand arbre, et qui a étendu ses branches dans toutes les parties du monde, qui a couvert sous son ombre les Prélats, les Rois, les Princes et les peuples, qui a fait l’ornement de l’Église et la joie du Paradis.

Mon dessein est de faire ici un petit Catalogue de quelques-uns de nos plus illustres Solitaires de l’un et de l’autre sexe, il sera assez court pour ne pas ennuyer le lecteur, et assez long pour former dans son esprit une magnifique idée de la sainteté et de la gloire d’un père, qui a produit tant d’illustres enfants. Il pourra aussi animer nos Solitaires, qui leur ont succédé; et qui vivent dans les mêmes Maisons et sous la même Règle, à pratiquer les mêmes vertus, et à s’éloigner de ce qui peut ternir la gloire et la sainteté d’un Ordre si glorieux et si saint.

Mais je suis obligé d’avertir, qu’en faisant ce Catalogue de nos illustres, je ne donnerai point dans le sentiment de quelques écrivains, qui par un zèle excessif ont donné à l’Ordre de saint Benoît des Saints qui ne lui appartiennent pas, et qui le parent sans nécessité d’ornements empruntés; car il est assez riche, il se contente de ses propres biens. Mais je ne donnerai pas non plus dans le sentiment de quelques nouveaux savants, qui par une critique trop sévère, rejettent comme supposé tout ce qu’ils ne trouvent pas appuyé par des Auteurs du même temps ; et qui sur des conjectures trop légères condamnent la tradition, et font cent injustices à la vérité, qu’ils prétendent défendre.

J’ai des Historiens plus anciens, plus célèbres, plus équitables, et qui méritent bien mieux d’être crus que ces nouveaux auteurs ; car ils nous ont laissé ce qu’ils avaient reçu de leurs pères, et nous devons recevoir leur tradition avec respect, et la laisser à ceux qui viendront après nous comme un précieux héritage. La plus grande partie des vérités de fait ne s’établit que de cette manière; et si on demandait toujours des témoins du même temps, où en serions-nous ? Les traditions les plus saintes seraient ébranlées.

Les premiers écrivains de notre Ordre ont eu, sans doute, plus de connaissance de ce qui s’est passé dans les premiers siècles, que ceux qui en écrivent à présent ; parce qu’ils étaient bien plus proches de la source. Les faits ne s’éclaircissent pas par la suite des temps, cet éloignement les obscurcit. Les anciens Auteurs ont vu très-assurément les écrits et les originaux que nous voyons, et ils en ont vu plusieurs que nous n’avons pas vus, et que nous ne verrons jamais. Car tout le monde sait qu’il s’en est perdu un très grand nombre par le malheur des temps, par la fureur de la guerre, par le saccagement des villes, par le pillage des Monastères les plus illustres, et par l’incendie des bibliothèques les plus nombreuses et les plus riches.

On ne peut donc pas sans témérité soupçonner seulement tant de savants historiens d’avoir manqué de lumière ou de sincérité. Et vouloir les accuser d’en avoir voulu imposer à la postérité en écrivant contre leur conscience et la bonne foi, c’est une grande injustice; car si ces écrivains qui ont composé leur histoire il y a trois cents, deux cents, ou même depuis cent ans, n’avaient point trouvé dans aucun Auteur plus ancien, ni dans aucune pièce authentique ce qu’ils ont avancé ; s’ils ne l’avaient appris d’aucune tradition, on aurait droit de les traiter de fourbes et de menteurs. Mais s’ils ne l’ont écrit qu’après s’en être assurés sur de bons mémoires, ou sur des témoignages dignes de foi; pourquoi est-ce que les nouveaux savants s’éloignent de leur sentiment, et les blâment d’ignorance ou d’infidélité ? pourquoi donnent-ils à ces grands hommes tant de démentis ?

Une possession si ancienne et si paisible dans laquelle nous sommes de tant de personnes illustres, et de tant de Saints du sixième et du septième siècle est trop bien établie, pour nous être ravie si légèrement. Il faut des titres et des titres incontestables pour nous la disputer. Tous les arguments négatifs et toutes les conjectures du monde sont des preuves trop légères pour affaiblir notre droit ; il est reçu dans l’Ordre et même dans toute l’Église, il est même reconnu par les écrivains étrangers.

[Certains saints de ces deux premiers siècles bénédictins ne sont pas au sens le plus strict « bénédictins ». En effet, à cette époque la plupart des monastères avaient leur propre règle de vie souvent composée de plusieurs règles écrites. La Règle de Saint Benoît va néanmoins s’imposer de plus en plus durant le 7ème siècle, notamment dans les monastères colombaniens semés à travers toute l’Europe.]

Les saints et les personnes illustres de l’Ordre de S. Benoît qui ont fleuri depuis l’année 480. jusqu’à l’année 580.

On ne doit marquer la naissance de l’Ordre de S. Benoît que presqu’à la fin du cinquième siècle de celle du Sauveur du monde. Et nous avons dit un mot de ses progrès jusqu’à la mort de son saint Patriarche. Nous avons dit aussi qu’en même temps notre Institut éclaira la France par les miracles et par la sainteté de saint Maur, et qu’il reçut aussi lui-même un éclat merveilleux dans ce grand Royaume. Car parmi un très-grand nombre de personnes de qualité qui abandonnèrent le monde et ce qu’il a de doux pour se donner à Dieu, Flore un des premiers Officiers de la Couronne et favori de son Prince, quitta tous ses avantages pour prendre notre habit. Ce fut encore en ce même temps qu’on bâtit en France et en Italie beaucoup de Monastères pour nos Religieux ; et que presque tous ceux qui étaient établis dans ces grandes provinces, quittèrent leurs Statuts et leurs manières de vivre, pour prendre la Règle de saint Benoît. Enfin ce fut durant ce premier siècle de notre Ordre et le sixième de Jésus-Christ, qu’un nombre infini de personnes de tous les âges, de tous les sexes et de toutes les conditions abandonnèrent le monde pour assurer leur salut en passant le reste de leur vie dans nos Monastères. Un des plus célèbres que je ne puis ne pas oublier, c’est le grand Cassiodore, lequel après avoir été Secrétaire d’état et pris tant de part au gouvernement de l’Empire sous trois divers Rois; après avoir été Consul et Sénateur, pour couronner sa vie par une heureuse fin, se soumit à la discipline de saint Benoît et fonda deux de nos Monastères : Hic primitus Consul, deinde Senator, ad postremum vero monachus extitit. Quelques Auteurs y ajoutent Denis le Petit, si célèbre pour le recueil qu’il a fait des Saints Canons. C’est tout ce que je dirai de ce premier siècle, qui a fourni assez de matière pour remplir plusieurs volumes. J’ai déjà parlé de la Mission de saint Placide et de nos premiers Martyrs.

Depuis l’année 580 jusqu’à l’année 680.

Ce second siècle de notre Ordre fut encore plus glorieux et bien plus utile à l’Église. Celui qui occupait dans son commencement la Chaire de saint Pierre et qui gouvernait toute l’Église était Pelage II. Ce grand pontife assembla plusieurs Conciles pour pourvoir aux présents besoins de la Religion. Des écrivains dignes de foi le font disciple de saint Benoît et Religieux de son Ordre: aussi eut-il un grand zèle pour notre Institut, qu’il favorisa à Rome et partout ailleurs. Il l’étendit et en multiplia les Maisons ; car quoique de son temps et même du vivant de saint Benoît, il y eut dans Rome des Monastères de l’Ordre, où nos Religieux vivaient avec une sainteté admirable; on y en bâtit encore d’autres de son temps : même les principales Églises de cette grande Ville furent données durant ce siècle à nos Solitaires, par la libéralité des Souverains Pontifes, du consentement du clergé.

Mais saint Grégoire le Grand surpassa tous ses prédécesseurs dans l’amour qu’il avait pour un Ordre, qu’il avait lui-même embrassé, et dans le zèle qu’il témoigna à le favoriser. Avant qu’il fut élevé au Souverain Pontificat, il fit de son propre Palais un Monastère, il y mit nos Religieux, et après cela il y entra lui-même et y fit profession. Rome servit d’exemple aux autres villes d’Italie, et à toutes les provinces de l’Empire. Car on bâtit partout de nouveaux Monastères, et on réforma les anciens, en y établissant l’observance de la Règle de saint Benoît: et dans tous ces saints lieux un nombre infini de Prélats, d’Abbés, d’Abbesses et de Solitaires très parfaits de l’un et l’autre sexe ont éclairé le monde par leur sainteté, par leur doctrine, par leurs miracles et par leurs grandes actions. Le Père Mabillon en rapporte une partie, après cent autres écrivains.

Je n’entreprends pas de nommer ici tous les grands Prédicateurs, que l’Ordre a produits durant ce siècle. Ce sont eux qui ont renversé l’idolâtrie et planté la foi de Jésus-Christ dans tant de nations et de provinces, qui les reconnaissent et qui les honorent comme leurs véritables Apôtres. D’un si grand nombre je ne nommerai que saint Omer et saint Amand, par qui les restes de la Gentilité furent arrachées en France et dans les Pays-bas. L’Angleterre fut éclairée par la lumière de l’Évangile, que saint Augustin, Saint Laurent, Saint Mélice, Saint Wilfried, et Cuthbert y répandirent. Et plusieurs provinces d’Allemagne reçurent la véritable Religion par les prédications de Winefride et de Rupert. Il ne faut pas douter que ces grands hommes, ces Solitaires zélés n’aient planté la profession monastique dans ces États avec la foi de Jésus-Christ. Car la France, qui avait déjà reçu dès le sixième siècle la vie religieuse par le ministère de S. Maur, fut dans celui-ci toute remplie et toute enrichie de Monastères de notre Institut dans toutes ses provinces par le zèle des saints Colomban, Eustase, Amand, Agile, et Philibert. Saint Fructueux et saint Ildefonse éclairèrent l’Église d’Espagne et étendirent notre Institut dans ce Royaume.

Prières

Oratio

Concéde, quǽsumus, omnípotens Deus : ut ad meliórem vitam sanctórum Monachórum exémpla nos próvocent ; quátenus, quorum solémnia ágimus, étiam actus imitémur. Per Dóminum.

Oraison

Accordez-nous, nous vous en supplions, ô Dieu tout-puissant, que les exemples des Saints Moines nous excitent à une vie meilleure, en sorte que nous imitions aussi les œuvres de ceux dont nous célébrons la fête. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Prières de Dom Joseph Mège à Saint Benoît (1625-1691)

Pourquoi, Seigneur, avez-vous rendu Saint Benoît si admirable et si parfait ? Pourquoi l’avez-vous élevé au milieu de votre Église comme un astre brillant et comme un éclatant flambeau ? N’est-ce pas pour nous éclairer ? Et à quoi nous servira sa lumière, si vous ne nous donnez des yeux pour la voir et des forces pour faire le bien qu’il nous découvre ? Faites-nous donc, mon Dieu, cette faveur parfaite; et après nous avoir montré un modèle si accompli, faites que nous l’imitions parfaitement. Ainsi soit-il.

Esprit divin, Consolateur adorable, qui êtes la source infinie et féconde de toutes les grâces et de toutes les vertus, qui les possédez toutes dans votre indivisible unité, et qui les répandez et les partagez sans vous épuiser. C’est vous qui avez inspiré, et qui avez enrichi les Patriarches, les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Confesseurs, les Prélats et les Vierges. C’est de votre plénitude que les Solitaires de tous les siècles, de toutes les nations et de tous les Ordres ont tiré leur esprit. Et c’est vous adorable Esprit du Père et du Fils, qui avez donné à Saint Benoît, par un privilège unique, l’esprit de tous les justes. Faites-moi part de cet Esprit de sainteté afin que je puisse partager la gloire des bienheureux dans le Ciel. Ainsi soit-il.

Antienne

Ã. Exsúltet ómnium turba fidélium pro glória almi Patris Benedícti : læténtur præcípue catérvæ monachórum, celebrántes eius festa in terris, de cuius societáte Sancti congáudent in cælis.

Ã. Que toute l’assemblée des fidèles se réjouisse de la gloire accordée à notre auguste Père Benoît ; que les phalanges des moines surtout se livrent à la joie de célébrer sur terre la fête de celui que les saints sont heureux d’avoir pour compagnon dans le Ciel.

Antienne grégorienne “Exultet omnium”

Antienne Exultet omnium

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10 novembre — Saint Vanne et Saint Hydulphe

10 novembre — Saint Vanne et Saint Hydulphe

10 novembre — Saint Vanne et Saint Hydulphe

Le mot du Vénérable Dom Didier de la Cour à ses moines

Si j’avais quelque pouvoir sur vous, je vous défendrais, sous peine d’excommunication, de dire du bien de moi après ma mort ; car j’ai mené une vie fort commune aux yeux des hommes et très misérable devant Dieu. Un peu de gravité et de retenue, voilà tout ce que je puis avoir de bon.

Les Saints Vanne et Hydulphe sont réunis en une seule et même fête dans la Congrégation bénédictine de France. Celle-ci a en effet été approuvée en 1833 par le Pape Grégoire XVI en tant qu’héritière des anciennes Congrégations bénédictines présentes en France avant la Révolution, dont la Congrégation des Saints Vanne et Hydulphe.

Saints Bénédictins : Saint Vanne, évêque de Verdun

Saint Vanne (en latin : Vitonus, Videnus ou Victo) qui avait embrassé de bonne heure la vie monastique, fut élevé sur le siège épiscopal de Verdun vers l’an 498. La haute opinion qu’on avait conçue de sa sainteté fut confirmée par plusieurs miracles qu’il opéra. Il travailla vingt-six ans avec un zèle infatigable à la sanctification de son troupeau. Il mourut le 9 novembre vers l’an 525, épuisé de fatigues et d’austérités.

D’après Alban Butler, Vies des Pères, des Martyrs et des autres principaux Saints.

Saints Bénédictins : Saint Hydulphe, chorévêque de Trèves et Abbé

Saint Hydulphe, issu d’une des plus illustres familles de Bavière, naquit à Ratisbonne vers l’an 612. Il renonça dès sa jeunesse aux espérances flatteuses qu’il pouvait avoir dans le monde, et se consacra au service de Dieu en embrassant l’état ecclésiastique. Son exemple fut suivi par Erard, son frère, qui devint depuis évêque régionnaire à Ratisbonne et dans la Bavière. Ce dernier est honoré comme saint le 8 janvier. Il mourut à Ratisbonne, suivant l’ancien martyrologe de Moyenmoutier. Ce furent Hydulphe et Erard qui tinrent sur les fonts baptismaux la fille d’Adalric, duc d’Alsace, laquelle était aveugle; ils lui donnèrent le nom d’Odile, parce qu’elle avait reçu la grâce de la vue avec celle du baptême.

Saint Hydulphe ayant été fait chorévêque de Trêves (espèce de coadjuteur de l’évêque du lieu, s’occupant des zones rurales du diocèse) remplit tous les devoirs d’un pasteur zélé et vigilant. Vers l’an 665, il introduisit la règle de Saint-Benoît dans le monastère de Saint-Maximin, qui avait été fondé dans le 4ème siècle, et où sans doute on suivait les observances des moines de l’Orient. Il en augmenta considérablement les revenus, et y établit une régularité si parfaite que cette maison devint l’admiration de ce siècle. Cette abbaye était une des plus célèbres de l’Allemagne.

Après une trentaine d’années, il se démet de sa charge et arrive dans la vallée vosgienne du Rabodeau vers 670. Il bâtit sa hutte à mi-chemin d’Étival et de Senones, dans la forêt. La renommée du nouvel ermite attire bientôt une foule de disciples. Hydulphe décide alors la construction d’un monastère sur le lieu, qui devient « medianum monasterium ». Premier abbé de Moyenmoutier, il adopte la règle de saint Benoît comme mode de vie de la nouvelle communauté. Il y avait plus d’un quart de siècle que Saint Hydulphe était à Moyenmoutier aux prises avec une œuvre de cette ampleur, lorsqu’il sentit faiblir ses forces. Il se démit de sa charge, afin de retrouver au soir de sa vie ce calme auquel il avait aspiré en venant ici comme ermite. Il confia donc la dignité abbatiale à Leutbald, un de ses meilleurs disciples, et prit modestement sa place au milieu de ses frères. Mais ce dernier mourut si prématurément en 704 que les moines s’en émurent, et tout désemparés se tournèrent vers leur fondateur. Le pauvre abbé, dans son ardente foi, vit un signe de la Providence qui lui demandait à nouveau le sacrifice de sa volonté propre. Avec un tranquille courage, il reprit donc sa crosse, mais pour peu de temps, car le Seigneur le rappelait à lui le 11 juillet 707, au terme d’une courte maladie. On l’inhuma dans la chapelle Saint-Grégoire, auprès de ses trois fils de prédilection, Spinule, Jean et Bénigne, qui l’y avaient précédé de peu.

D’après Alban Butler, Vies des Pères, des Martyrs et des autres principaux Saints.

La Congrégation bénédictine de Saint Vanne (Dom Stephanus Hilpisch, Histoire du monachisme bénédictin)

Pendant les guerres de religion du 16ème siècle, les monastères français avaient souffert de nombreuses destructions et ravages. Beaucoup d’abbayes avaient été saccagées ou entièrement détruites, la plupart appauvries et sans ressources. Quand un monastère avait encore du bien, ses revenus étaient donnés en commende par le roi ; et les abbés commendataires négligeaient l’intérêt du monastère à tous points de vue. C’est au milieu de ces circonstances que le projet d’une réforme naquit dans l’âme du Cardinal Charles de Lorraine. Outre son évêché de Metz, le Cardinal possédait en commende quatre grandes abbayes, et avait la légation de Lorraine et de Barrois. Il se décida à agir dans le ressort de sa légation. À la même époque l’évêque de Verdun, Éric de Vaudemont, qui tenait en commende l’abbaye de Saint-Vanne dans sa ville épiscopale, travaillait lui aussi à une réforme. Un bref de Grégoire XV donna au Cardinal pouvoir de réunir les abbés et prieurs de sa légation, et de discuter avec eux la question d’une réforme dans l’esprit du concile de Trente. L’assemblée, comptant seulement quatre abbés et quatre prieurs, eut lieu le 5 juin 1595 à Saint-Mihiel et décida l’érection d’une Congrégation. Mais le moment de s’exécuter, le Cardinal découragé fit au Pape Clément VIII (1592-1605) la singulière proposition de supprimer les monastères bénédictins de sa légation. Le Pape Clément refusa résolument, et avisa le cardinal qu’il était envoyé pour sauver les malades, non pour les étrangler. La seule pensée de la suppression était déjà un crime.

Le Cardinal appelle alors à l’aide l’abbaye Saint-Maximin de Trèves qui jouissait d’une bonne réputation. Il en reçu deux moines pour Saint-Vanne, et la moisson leva comme d’elle-même. Le prieur était Didier de la Cour, dépendant de l’évêque Éric de Verdun, abbé commendataire. En janvier 1600, sous l’inspiration du prieur, quatre novices et un profès se résolurent à une exacte observance de la règle : humble début. Mais dès 1601 Moyenmoutier recevait de Saint-Vanne des moines réformés, et les deux abbayes décidaient de se constituer en une Congrégation qui, en 1604, fut approuvée par Clément VIII sous le nom des Saint-Vanne et Hydulphe, patrons respectifs des deux abbayes. On adopta la formule de la Congrégation cassinienne. Un bref de Paul V recommanda en 1605 à tous les monastères de Lorraine de se rallier à la nouvelle réforme, et bientôt d’autres abbayes vinrent s’unir à la Congrégation. Jusqu’en 1670 celle-ci compris quarante-cinq abbayes dans les diocèses de Metz, Toul, Verdun, Bâle, Besançon (dont l’Abbaye Notre-Dame de Faverney, réformée en 1613), Châlons, Langres, Laon, Reims, Sens et Troyes, distribués en trois provinces. À la fin du 18ème siècle, elle comptait plus de 600 membres.

Au sommet de la Congrégation se tenait un président élu par le chapitre général pour un an. Le chapitre général était la plus haute autorité et se composait des supérieur de chaque maison et d’un délégué par convent. Comme la plupart des monastères étaient en commende, les supérieurs n’y avait que le titre de prieur, les autres étaient abbés à vie et élu par le convent. La Congrégation possédait sa maison d’études philosophiques et théologiques au Prieuré de Breuil (Commercy). Les études étaient florissantes. La Congrégation compta des noms célèbres qui méritent d’être cités auprès de ceux des mauristes : principalement Dom Calmet, grand exégète et historien de la Lorraine, abbé de Senones, l’un des premiers érudits de son temps ; puis Alliot et Petit-Didier, spécialisés dans l’étude de la Bible. Il fallut la Révolution pour supprimer la Congrégation.

La Congrégation Lorraine de Saint-Vanne exerça bientôt une influence salutaire sur les monastères français et trouva en France des appuis éminents, au premier rang desquels il faut placer le prieur du collège de Cluny à Paris, Laurent Bénard, et Dom Anselme Rolle de la Congrégation des Exemps. Le premier monastère français qui appela la réforme de Saint-Vanne fut l’abbaye de Saint-Augustin de Limoges. En 1614 Saint Germain-des-Prés demanda son agrégation. Bientôt suivirent Nouaillé près de Poitiers (1615), Saint-Faron de Meaux et Jumièges (1617). Ces abbayes entraient dans la congrégation Lorraine. Mais comme le gouvernement ne voyait pas d’un bon œil que les monastères du royaume s’unissent à une congrégation étrangère, il fut décidé au chapitre général de 1618 que les monastères français de l’Union se grouperaient en une congrégation spéciale. On compta pour débuter cinq monastères : Saint Augustin de Limoges, Saint-Julien de Nouaillé, Saint-Faron de Meaux, Jumièges, et les Blancs-Manteaux de Paris. Ce fut, à partir de 1618, la Congrégation « gallicana Parisiensis ». Dès 1621 la nouvelle fondation fut approuvée par Grégoire XV sous le nom de Congrégation de Saint-Maur.

Prières

Oratio

Omnípotens sempitérne Deus, qui per beátos pontífices Vitónum et Hydúlphum Ecclésiam tuam lætificásti, et órdinis monástici splendórem restituére dignátus es : fac nos opem eórum iúgiter experíri, et præmia cónsequi sempitérna. Per Dóminum.

Oraison

Dieu, tout-puissant et éternel qui par les bienheureux Pontifes Vanne et Hydulphe avez réjoui votre Église, et qui avez daigné restituer la splendeur de l’Ordre monastique : faites-nous ressentir continuellement les effets de leur aide et obtenir la récompense éternelle. Par Jésus-Christ, notre Seigneur.

Prière de Dom Claude Martin (1619-1696)

Ô Bonté infinie ! Que votre patience m’étonne et me confond ! Ô mon Dieu ! Elle m’étonne, parce que je vois que tous les hommes la fatiguent et que personne ne la soulage ; et elle me confond, parce que je lui suis à charge moi-même, par mes dérèglements, par mes infidélités, par mes péchés. Cet excès de bonté, ô mon Dieu, me porte à faire trois résolutions. La première, puisque tous les hommes exercent votre patience, de la soulager de tout mon possible, en menant avec le secours de votre grâce une vie toute pure, et – s’il est possible – toute angélique et toute céleste. La seconde, de me mettre entre Vous et les pécheurs, comme Abraham se mit entre vous et les villes impures de Sodome et de Gomorrhe, afin d’empêcher, par la prière et par le sacrifice, que leurs fautes ne montent jusqu’à vous et que votre colère ne descende jusqu’à eux. Et la troisième, de prendre votre patience pour la règle de la mienne, afin que, comme vous supportez mes fautes avec une douceur digne de votre infinie Bonté, je supporte aussi avec une parfaite soumission les peines et les privations que votre Providence m’envoie, et me fait ressentir dans le service que vous demandez de moi. Ainsi soit-il.

Antienne

Ã. Isti sunt duæ olívæ, et duo candelábra lucéntia ante Dóminum : habent potestátem cláudere cælum núbibus et aperíre portas eius, quia linguæ eórum claves cæli factæ sunt.

Ã. Ceux-ci sont deux oliviers et deux flambeaux qui brillent devant le Seigneur ; ils ont le pouvoir de fermer le ciel aux nuées, et d’ouvrir ses portes, parce que leurs langues sont devenues les clefs du ciel.

Antienne grégorienne “Isti sunt duae olivae”

Antienne Isti sunt duae olivae

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29 avril — Saint Hugues, Abbé de Cluny

29 avril — Saint Hugues, Abbé de Cluny

29 avril — Saint Hugues, Abbé de Cluny

Le mot de Saint Benoît

Confesser chaque jour à Dieu dans la prière avec larmes et gémissements ses fautes passées, et, de plus, se corriger de ses fautes.

Saint Hugues et l’Ordre de Cluny : extrait des Fleurs monastiques de Maxime de Mont-Rond

Si l’esprit d’association se produisit de bonne heure au sein de Cluny, il fut néanmoins très lent à se réaliser d’une manière solide et durable. Sous saint Odon, au milieu du 10ème siècle, la Congrégation de Cluny apparut vaste et belle. De nombreux monastères que le pieux abbé avait été appelé à réformer, jusqu’au sein de Rome, avaient accepté les mêmes règles de conduite et de discipline, mais sans d’autres liens communs que leur vénération et leur confiance envers le saint abbé. À la mort d’Odon, l’œuvre d’unité fut encore une fois ébranlée et dissoute. L’idée féconde d’association germait cependant, et, au jour marqué par la Providence, elle arriva enfin à sa maturité. Saint Hugues doit être regardé comme le vrai fondateur de la Congrégation de Cluny : c’est lui qui l’est en effet. Il sut faire accepter, aimer, ces liens d’émulation, de vigilance, d’activité et d’humble subordination qui l’ont rendue si forte et si puissante. Sous le gouvernement de saint Hugues, qui remplit plus de la seconde moitié du 11ème siècle (1049-1109), Cluny prit des développements inconnus jusqu’alors et qu’il n’a plus surpassés depuis. Si le 11ème siècle tout entier est le grand siècle de Cluny, sa seconde moitié cependant l’emporte sur la première sous le rapport de l’éclat, de l’influence et des services rendus à l’Église et à la société. Concentrons donc nos regards sur cette brillante époque de Cluny. Elle se personnifie dans l’histoire du plus illustre de ses abbés, celui que les chroniques contemporaines appellent Hugues le Grand.

En l’an 1024, naquit au château de Semur-en-Brionnais, du comte Dalmace et d’Aremburge de Vergy, sa femme, un fils qu’on nomma Hugues. On rapporte que cet enfant, destiné à de grands desseins, fut montré quelques jours avant sa naissance à un prêtre de haute renommée, dans l’action même du saint Sacrifice offert aux intentions de sa pieuse mère. La gracieuse image apparaissant au-dessus du calice, semblait puiser son éclat, et retremper, par avance, sa force et sa vertu dans le vin mystique qui fait germer les vierges. Cet enfant grandit. Heureusement inhabile au métier des armes, auquel le désir de son père l’appelait, il ouvrit de préférence son âme aux vertueuses et pacifiques influences de sa mère, et se donna de bonne heure tout entier à Jésus-Christ. Il aimait à visiter l’Église et à fréquenter la maison des Clercs de Sémur. Avant sa quinzième année, on le vit s’envoler, à l’insu des siens, vers la bienheureuse solitude de Cluny. A vingt-cinq ans à peine, il était élu par acclamation abbé général de l’ordre de Cluny (1049). Le gouvernement des vieillards était remis aux mains d’un jeune homme. Dieu abrégeait les temps; il avait hâte de délivrer son Église.

À côté de Hugues croissait comme lui en âge et en sagesse un jeune Frère, Toscan d’origine : c’était Hildebrand (futur Pape Saint Grégoire VII), d’abord chanoine régulier à Rome, et qu’avait attiré à Cluny la renommée de ferveur du monastère bourguignon. Hugues, assis sur la chaire abbatiale, vit Hildebrand lui succéder dans la seconde dignité, celle de grand prieur de Cluny. Les deux jeunes élus, sentinelles vigilantes dans ce paisible camp, unissaient leurs vœux ardents et leurs ferventes prières, dans l’attente du grand combat qu’ils allaient bientôt engager pour le salut et l’affranchissement de l’Église.

Hugues, comme avant lui saint Colomban, et après lui saint Bernard, possédait cette beauté corporelle dont Dieu se plaît à revêtir souvent ses grands serviteurs, afin de leur rendre plus facile, au milieu d’un monde grossier, l’accomplissement de ses desseins providentiels. Mais sa vertu et sa sagesse l’emportaient encore sur les grâces angéliques de sa figure. À l’aide de trois moyens puissants, il vint à bout d’assurer la solidité de son œuvre mieux que n’avaient su faire ses illustres prédécesseurs, et de la transmettre à ses successeurs dans toute sa force de cohésion. Le premier fut un redoublement de vigilance, et de fréquentes visites aux monastères agrégés, pour les conserver dans la ferveur ou les ramener dans les sentiers de la paix et de la régularité, ou les réconcilier avec de redoutables voisins. Le second moyen fut la réduction des statuts et des Coutumes de Cluny, par Bernard et Udalric, deux disciples de saint Hugues. Ces Coutumes de Cluny, qui, comme la règle de saint Benoit, n’avaient rien d’absolu, devaient être cependant un puissant lien de centralisation, et concourir grandement à conserver dans son unité la Congrégation de Cluny. Enfin ce lien fut fortifié encore par la grande institution des Chapitres généraux, qui surgit en ce siècle au sein de cette même Congrégation. À des époques rapprochées et périodiques, on allait donc voir de l’Europe entière accourir à la voix de l’abbé les supérieurs ou les délégués des monastères, pour venir discuter au chapitre général les intérêts et les besoins spirituels du cloître. Pour mettre le sceau à toutes ces sages précautions, saint Hugues, avec ce don de persuasion qu’il avait reçu du ciel, saura faire agréer partout l’abolition du titre abbatial, conservé jusqu’à lui aux monastères soumis à la discipline de Cluny. Les chefs de tous ces prieurés substitueront humblement le titre subalterne de prieur à celui d’abbé ou de pro-abbé. Le glorieux travail de l’unité est dès lors consommé. On peut dire justement, en empruntant les paroles d’un écrivain anglais : « Au temps de saint Hugues, Cluny était un grand et magnifique royaume : sa domination s’étendait sur 314 monastères et églises; son abbé était un prince temporel, qui, pour le spirituel, ne dépendait que du Saint-Siège; il battait monnaie sur le territoire même de Cluny, aussi bien que le roi de France dans sa royale cité de Paris. Ce royaume spirituel s’étendait jusqu’à Constantinople, et même jusqu’à la Terre-Sainte ».

Le saint abbé mourut le 29 avril 1109, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Le pape Calixte II le mit au nombre des saints en 1121.

Saint Robert de Molesme et la fondation des Cisterciens (Petin, Dictionnaire hagiographique)

Saint Robert, abbé de Molesme et fondateur de l’ordre de Cîteaux, naquit vers l’an 1029, d’une illustre famille de Champagne, qui l’éleva dans la piété. À l’âge de quinze ans il quitta le monde pour entrer dans l’abbaye de Montier-la-Celle, près de Troyes, où, après avoir pris l’habit, il fut bientôt élu prieur, malgré sa grande jeunesse. Il fut ensuite chargé du gouvernement de l’abbaye de Saint-Michel de Tonnerre, où il s’efforça de rétablir la régularité; mais le relâchement y avait jeté de si profondes racines, qu’il ne trouva dans la plupart de ses religieux que des esprits rebelles et des cœurs endurcis.

Désespérant de les ramener à l’exacte observance de la règle, il les quitta pour aller vivre avec quelques anachorètes qui l’avaient demandé pour supérieur, et qui vivaient dans le désert de Collan, près de Tonnerre. Comme le lieu de leur retraite était malsain, Robert les établit à Molesme en 1075, dans de petites cellules construites avec des branches d’arbres, près desquelles il fit bâtir un petit oratoire en l’honneur de la sainte Trinité. Dans les commencements, leur vie était très austère, parce qu’ils manquaient de tout; mais des dons charitables ayant fait succéder l’abondance à la pauvreté, la communauté se relâcha peu à peu et dégénéra de sa première ferveur. Robert voulut arrêter les progrès du mal, mais, voyant que ses efforts étaient impuissants, il se retira dans le désert de Hauz, parmi des religieux qui vivaient du travail de leurs mains et édifiaient tout le pays par leurs vertus. Ceux de Molesme, rentrant en eux-mêmes, lui firent ordonner par le Pape de revenir au milieu d’eux, lui promettant d’être à l’avenir entièrement soumis à son autorité. Robert se vit donc obligé de retourner à Molesme, mais les choses n’allèrent guère mieux qu’auparavant.

Quelques religieux, cependant, mieux disposés que les autres, lui demandèrent la permission de s’établir dans quelque lieu solitaire, afin de pouvoir en liberté observer la règle sous laquelle ils étaient engagés. Le saint abbé leur accorda ce qu’ils désiraient et leur promit d’aller bientôt se réunir à eux; ce qu’il fit, en effet, après en avoir obtenu l’autorisation de Hugues, archevêque de Lyon et légat du Saint-Siège. Il emmena de Molesme tous les religieux qui voulaient observer dans son intégrité la règle de saint Benoît, et ils allèrent s’établir, au nombre de vingt-deux, dans la forêt de Cîteaux. Ayant obtenu l’agrément de l’évêque de Châlons et du vicomte de Beaune, seigneur du pays, ils défrichèrent une certaine étendue de terrain et y bâtirent des cellules. Eudes, duc de Bourgogne, fit achever à ses frais les bâtiments du monastère, et bâtit une église qui fut dédiée sous l’invocation de la sainte Vierge, comme toutes les églises des Cisterciens l’ont été dans la suite. Il fournit aussi aux moines, pendant quelque temps, toutes les choses dont ils avaient besoin, et leur assigna ensuite des revenus suffisants pour leur entretien. L’évêque de Châlons plaça Robert à la tête du monastère qu’il érigea en abbaye; lorsque tout fut terminé, le nouvel abbé et ses religieux, parmi lesquels on comptait le bienheureux Albéric et saint Étienne Harding, qui devinrent abbés après lui, renouvelèrent, le 21 mars 1098, jour de la fête de saint Benoît, leur profession monastique et leurs vœux de religion, s’engageant de nouveau à suivre la règle de leur saint patriarche dans toute sa sévérité. Rien n’était plus édifiant que leur conduite : ils pratiquaient des austérités extraordinaires, ne dormaient que quatre heures chaque nuit, en consacraient quatre autres à chanter les louanges de Dieu, et quatre, dans la matinée, au travail des mains; puis ils lisaient jusqu’à none et ne mangeaient que des herbes et des racines.

L’année qui suivit la fondation de Cîteaux, les moines de Molesme s’adressèrent de nouveau au Pape pour solliciter le retour de Robert, alléguant que son départ avait beaucoup nui à la discipline de leur maison, et que sa présence était le seul moyen d’y rétablir l’ordre et la régularité. Ils reconnaissaient leurs anciens torts et promettaient de se conduire de manière à ce que le saint n’eût plus à se plaindre d’eux. Urbain II chargea l’archevêque de Lyon, son légat, d’examiner cette affaire, et de renvoyer le saint à Molesme, si cette mesure devait y produire un effet salutaire. Le légat, après une mûre délibération, ordonna à Robert de se rendre aux désirs de ses anciens religieux, et l’évêque de Langres le rétablit dans sa dignité d’abbé de Molesme. Cette fois il eut la consolation de voir la communauté rentrer dans le devoir; il l’y maintint jusqu’à sa mort, arrivée le 17 avril 1111, à l’âge d’environ quatre-vingt-six ans. Les miracles opérés à son tombeau le firent mettre au nombre des saints par le Pape Honorius III, l’an 1222.

Prières

Prière d’Isaac de l’Étoile (1110-1178)

Seigneur, ne vous taisez pas en face de moi. Si je frappe à votre porte par ma méditation, ouvrez-moi ; si je vous interroge, répondez-moi ; si je vous implore, exaucez-moi ! Oui, vous le ferez dans votre grande bonté, vous le ferez largement, pourvu que, lorsque vous parlez, moi-même je ne détourne pas mon oreille. Car si on vous écoute, vous écoutez ; si on accueille vos avis, vous accueillez nos demandes. Parlez donc, Seigneur, votre serviteur écoute, répondez à celui qui parle. Pendant que nous naviguons l’un vers l’autre – comme jadis Pierre et les apôtres – que ni l’un ni l’autre ne s’endorme. Car si vous dormez pour moi votre serviteur, la mer, elle, ne dormira pas, pas plus que chez moi le souvenir du monde. Et si je dors pour vous, la chair, elle, ne dormira pas pour moi. Dressez-vous, Seigneur, qu’au-dedans et au-dehors se fasse un grand calme… Je crierai toujours vers vous, Seigneur, ne gardez pas avec moi le silence. Ainsi soit-il.

Oratio

Pérfice, quæsumus, Dómine, pium in nobis sanctæ religiónis afféctum : et ad obtinéndam tuæ grátiæ largitátem ; beátus Hugo Abbas suis apud te semper pro nobis et méritis, et précibus intercédat. Per Dóminum.

Oraison

Nous vous en prions, Seigneur, développez en nous l’esprit de piété de notre sainte Religion : et, pour obtenir l’abondance de votre grâce, que votre bienheureux Abbé Hugues intercède près de vous par ses mérites et ses prières.

Oratio

Deus, qui pro te relinquéntibus ómnia, céntuplum in hoc sǽculo, et in futúro vitam ætérnam promisísti : da nobis, intercedénte beáto Robérto Abbáte, sic a mundánis desidériis abstinére, ut plenam a te mercédem suscípere mereámur : Qui vivis et regnas.

Oraison

Ô Dieu, qui avez promis à ceux qui pour vous ont quitté le monde, le centuple dès ce monde et la vie éternelle dans l’autre, accordez-nous, par l’intercession du bienheureux Abbé Robert, de nous abstenir tellement des désirs mondains que nous méritions de recevoir de vos mains une pleine récompense.

Antiennes

Ã. Cum in die magni Sábbati beátus Hugo sacris interésset, colúmnam novæ lucis salutábat, crebris exórans suspíriis, ut ad terram promissiónis felíci gressu perveníret, allelúia.

Ã. Comme le Samedi-Saint, le bienheureux Hugues assistait aux saints mystères, il saluait la colonne de nouvelle lumière; par de fréquents soupirs, il demandait de parvenir à la Terre promise, alleluia.

Antienne grégorienne “Cum in die magni Sábbati”

Antienne Cum in die
Antienne Extensi sunt

Ã. Exténsi sunt pálmites eius usque ad mare, et usque ad flumen propágines eius, allelúia.

Ã. Il étendit ses rameaux jusqu’à la mer, et ses pousses jusqu’au fleuve, alleluia.

Antienne grégorienne “Exténsi sunt”

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