Suite et fin de l’article précédent. Après cet article vous trouverez un lien vers une version imprimable de celui-ci au format PDF, cette version contient le texte intégral avec les notes et la discussion qui suivit cette conférence.
Le fait le plus caractéristique est le silence des pasteurs au temps du miracle ; c’est la grande preuve de leur irrémédiable défaite. Ni leurs écrits de l’époque, ni les délibérations du consistoire n’en disent mot, quoiqu’il fût publié dans les villes et dans toute la contrée les jours suivants. « Le silence de leur langue et de leur plume, dit le P. Ludovic, sur des sujets si décisifs contre leurs dogmes, vaut une nouvelle démonstration.
Il y eut cependant quelques conversions à la suite du prodige. La principale fut celle de Frédéric Vuillard, sur laquelle je dois attirer votre attention. Cet orfèvre, de Montbéliard, était de passage à Vesoul, lorsqu’y arriva la nouvelle du grand événement. Par curiosité, dit-il, il se rendit sur les lieux. Pendant une heure, au moins, à la vue des choses étranges qui le fascinaient, la vérité et l’erreur se livrent en lui une lutte à outrance. Il sortit de l’église et y rentra plus de trente fois. A la fin, sa ténacité luthérienne fut vaincue. Dès qu’il eut reçu l’instruction nécessaire, il fit son abjuration, convertit sa famille, celle de l’un de ses frères, puis sa mère, Guillemette Paris, qui avait abandonné Besançon pour pratiquer le protestantisme a Montbéliard. Nicolas de Campredon, seigneur de Passavant, né à Castres, après 1608, se réfugia à Langres où il embrassa plus tard le catholicisme avec sa famille.
Si les conversions de protestants furent rares à la suite du prodige, il faut l’attribuer à l’orgueil des hérétiques qui se raidirent contre l’évidence du miracle. S’ils n’eurent pas le courage de se convertir, ou ils se turent, ou ils émigrèrent, et la propagande de l’hérésie reçut le coup de la mort. Ainsi les héros du prêche qui eut lieu à Passavant, la nuit du 25 au 26 mai 1608, allèrent à Faverney, dit le P. Ludovic. Mais « après s’être assurés eux-mêmes d’une certitude physique la plus complète », au lieu de se convertir, ils prirent le parti d’émigrer. Les uns allèrent en Allemagne. d’autres en Flandre, quelques-uns en France.
Mais à dater de 1608, on ne trouve plus de prêche luthérien dans le bailliage d’Amont, plus de prédicant gyrovague. Les grands foyers d’hérésie d’autrefois ont vu s’éteindre leur dernière étincelle, et les dissidents se ranger sous la houlette de leur pasteur respectif. Deux ou trois protestants d’Amance disparurent sous le poids du mépris après avoir eu maille à partir avec la justice, pour faits d’hérésie doublés d’immoralité.
Mais un des plus heureux résultats du miracle fut de stimuler la propagande catholique et de relever le courage du clergé et des fidèles. On en trouve les premières traces dans les dépositions des témoins de l’enquête, où chacun d’eux put dire, comme le curé d’Amance, parlant du fait, qu’il « fut tellement ravi d’admiration qu’il fut contraint de larmoyer ».
Le grand fait du miracle donna aux prédicateurs toute la force de leur éloquence et toute l’ardeur de leur zèle.
Le P. Ludovic de Faverney, devenu capucin, transporte l’esprit de ses auditeurs auprès de l’autel incendié, et empruntant la voix du miracle, il démontre les dogmes éclairés par la lumière de ce feu.
Le P. Lejeune assista, à l’âge de seize ans, à la cérémonie qui eut lieu à Dole, sa ville natale, à la réception de l’une des hosties miraculeuses. L’impression qu’il en ressentit fut si vive, qu’il en parle toujours comme d’un fait récent. Dans son sermon sur la présence réelle, en abordant la preuve des miracles : « En voici un du saint Sacrement dont je puis parler, s’écrie-t-il, car j’étais dans le pays même quand il arriva ». Pendant quarante ans, il le répète devant les auditoires les plus variés. A ces paroles d’un saint, la lumière pénètre dans les esprits, échauffe les cœurs, ranime le courage et les énergies.
Les Jésuites, qui avaient reçu Frédéric Vuillard pour compléter son instruction, se firent les ardents propagateurs et défenseurs du dogme eucharistique. Nous voyons élèves et maîtres admirer le héros qui, pour obéir à la voix de Dieu, se condamnait à l’exil. Quelle puissance de persuasion possédaient les discours de ces religieux, quand ils rappelaient le cri de leur catéchumène disant, les yeux fixés sur l’ostensoir suspendu dans les airs : « Ma religion me défend de croire ce que je vois ». Orateurs aussi habiles que pieux, avec toutes les lumières qui se dégageaient de ces prodiges, ils rendirent nos dogmes pour ainsi dire tangibles tant à leurs élèves qu’à leurs auditeurs. On comprend l’éloge que leur adresse pour cette époque un historien comtois : « La piété, la doctrine et le zèle des Jésuites produisirent un bien immense ».
Les Capucins, appelés en qualité de théologiens par les religieux de Faverney, arrivent sur le théâtre du miracle, dit le P. Ludovic ; « ils sont effrayés, ils voient, ils font entendre des exclamations ; on verse des larmes, on frappe sa poitrine et l’église retentit de cris, de sanglots, de gémissements et d’éclats de voix . Pendant deux siècles, les sermons des disciples de saint François sur l’Eucharistie se ressentent de ces impressions ; ils les font revivre dans le cœur de leurs auditeurs. Leurs paroles, accréditées par leur vie austère, produisent dans le diocèse des effets qui jettent dans l’admiration Antoine-Pierre de Grammont . Les hérétiques sont ébranlés. Montbéliard, à deux reprises, défend aux protestants de Tavey d’assister à leurs prédications.
L’Hortus Pastorum de Jacques Marchand se publie à Mons, en Hainaut, vers 1625. Le miracle de Faverney, que l’auteur emprunte au mandement de Ferdinand de Rye, y figure parmi les merveilles dont l’Eucharistie est le mémorial. C’est le miracle le plus éclatant accompli jusqu’alors en faveur du dogme catholique. Les prédicateurs, les catéchistes de la France, des Pays-Bas et de l’Allemagne recueillent ce fait, pour l’offrir à l’édification des peuples, sur les lèvres des milliers de personnes qui en ont été témoins. Un tel concert d’affirmation échauffe la piété des fidèles et ruine la principale base du système protestant .
L’influence du miracle se fait sentir dans les prédications, plus de cent cinquante ans après l’événement. En 1768, les missionnaires d’École, pendant une mission donnée à Blamont, offrirent publiquement aux pasteurs du pays une copie collationnée de l’enquête, mais aucun d’eux n’en prit connaissance, quoique le dossier restât plusieurs mois la maison curiale .
Nos archevêques, stimulés par le prodige. déploient un zèle ardent à la restauration de la maison de Dieu. Ferdinand de Rye, excité par le souffle de Faverney, exige « que les églises, autels, calices, ciboires, tabernacles et autres ornements soient propres et bienséants » ; il enjoint surtout, quand le saint Sacrement « sera exposé publiquement sur l’autel, qu’il y ait continuellement quelqu’un à l’église ».
Claude d’Achey insiste à temps et à contretemps pour faire observer les règlements de son prédécesseur ; il en ajoute de nouveaux ; entre autres, il exige le respect des églises.
Antoine-Pierre de Grammont, surnommé le Borromée du diocèse, avait passé deux années de sa jeunesse à l’école de Faverney. Le zèle qu’il puisa dans ce foyer de science et de piété en fit le réformateur et l’organisateur du diocèse, œuvre gigantesque qui lui donne droit, dit son historien, « auprès du clergé bisontin, au souvenir reconnaissant dont l’église de France honore… la mémoire de saint Vincent de Paul ». Nous souscrivons avec plaisir au jugement de l’historien.
Conclusion
Rappelons-nous que ce signe nous a été donné par le Seigneur, et que l’événement de Faverney est notre grand miracle. A Domino factum est istud…
L’influence qu’il a eue dans notre province pour la renaissance religieuse au XVIème siècle, en stimulant les bons, réchauffant les tièdes, refoulant l’hérésie, il peut l’exercer encore de nos jours. Les ennemis de l’Eucharistie, de la messe, de la communion et du prêtre sont plus acharnés que jamais. Mais demandons au ciel que cette haine tombe devant le récit lumineux des merveilles de Faverney et que, vaincus par la force de la vérité historique, ils s’écrient comme Amédée Thierry, préfet de Vesoul : « S’il est un fait historique matériellement prouvé, c’est incontestablement celui-là ».
Entre cet acte de foi et la table sainte, il n’y a qu’un pas.