1er Dimanche de Carême

Le mot du Père Garrigou-Lagrange

La prière est un culte rendu à la Providence, lorsque nous demandons à Dieu en esprit de foi, la santé pour les malades, la lumière de l’intelligence pour voir clair dans les difficultés, la grâce pour résister à la tentation et pour persévérer dans le bien.

Le diable tente Notre-Seigneur (Mt 4, 1-11) : commentaire de Dom Delatte

Sous l’influence et l’impulsion, dit saint Marc, de l’Esprit dont il était rempli et qui le gouvernait, le Seigneur s’éloigne du Jourdain pour entrer dans le désert et y être tenté. C’est le second stade de sa préparation intérieure et personnelle. Mais ici encore l’intention profonde du Seigneur se trahit : il y a au cœur du Messie, redisons-le, de l’empressement et une joie secrète, naturelle chez le vrai Médiateur, à se confondre avec nous, à montrer ostensiblement qu’il est nôtre, à prendre sur lui tout ce qu’il peut épouser, sans détriment pour son office même et sans indignité, des conditions de la nature humaine qu’il s’est unie et qu’il vient sauver. Celui qui n’a pas été éprouvé, dit l’Écriture, que sait-il ? Il ne connaît pas sa faiblesse, il ne sait pas non plus où il doit puiser sa force. Le Seigneur n’avait rien à apprendre de la tentation : mais il avait à enseigner et à nous fournir un encouragement. L’athlète divin, après avoir été oint de l’Esprit-Saint, vient au désert comme dans un champ clos où il se mesurera avec l’Esprit mauvais : mais nous remarquerons qu’il repousse ses assauts comme le ferait un homme. C’est la répétition et la revanche de ce qui s’est passé au Paradis terrestre ; cette fois, une défaite est infligée au tentateur par l’Adam nouveau. Comme tant d’autres épisodes, celui-ci n’a pu être connu que par une confidence du Seigneur à ses disciples.

La scène se passe dans le désert de Judée, soit aux environs de Jéricho, soit plus au nord ; seule, l’histoire de Moïse et d’Élie a fait songer quelquefois au désert du Sinaï. Pendant quarante jours et quarante nuits, Jésus mène la vie anachorétique parfaite. Rien n’y manque : les bêtes sauvages en sont, les Anges aussi. Et saint Luc nous dit que le Seigneur ne prit aucune nourriture durant tout ce temps-là. Le même évangéliste et le très bref récit de saint Marc permettent de supposer que bien des assauts diaboliques lui furent livrés au cours même des quarante jours. Mais c’est quand cette période touchait à sa fin que vint la tentation racontée. Le Seigneur était épuisé par un jeûne rigoureux ; la vie du corps réclamait impérieusement. L’heure était propice pour le diable : il est lâche de nature, et il exploite habituellement contre nous la faiblesse ou l’infirmité. C’est par la sensibilité qu’il commence. Il approche, sans doute avec forme visible, comme pour Adam, et renouvelle le stratagème du Paradis terrestre : « Pourquoi Dieu vous a-t-il interdit de manger des fruits du Paradis ? » avait-il dit à Ève ; et au Seigneur : « Si vous êtes le Fils de Dieu, dites donc que ces pierres deviennent des pains ! » Il semble que le diable ait pris acte de la parole prononcée par Dieu au baptême ; il est intrigué par une assurance de filiation si solennelle ; il ne sait pas bien encore à qui il a affaire. Son dessein est de faire douter de Dieu, de déterminer Jésus à donner sa mesure : « Il dit que vous êtes son Fils, et il vous oublie ! Mais si vous êtes le Fils de Dieu, pourquoi vous priver ? Vous avez sans doute un procédé pour vous tirer d’embarras… »

La réponse du Seigneur est d’une prudence infinie ; il élude, il échappe. Il ne donne rien à l’irritation qu’espérait provoquer chez lui le doute ironique du tentateur ; il ne se proclame ni Messie, ni Fils de Dieu. D’autre part, il ne fait point servir son pouvoir miraculeux à une satisfaction personnelle, même trop légitime. Encore une fois, c’est comme homme qu’il veut repousser le tentateur : « Non in solo pane vivit homo ; ce n’est pas moi seulement, mais tout homme, que Dieu peut nourrir soit avec du pain, soit à l’aide d’une parole sortie de sa bouche créatrice » (Dt 8, 3). Au lieu de demander de la viande et des cailles, comme les Juifs dans le désert ; au lieu de céder, alors qu’il a faim, comme Adam céda autrefois, sans faim, par concupiscence et par ambition, Jésus s’en rapporte à Dieu. Celui qui a donné la manne aux Juifs peut comme autrefois nourrir l’homme non pas avec du pain seulement, mais par une disposition souveraine de sa Providence. Le Seigneur est donc aux mains de son Père ; les moyens extraordinaires ne comptent pas pour lui. Sa réponse est toute de foi, toute de confiance.

Un temps s’écoule. Le Seigneur, qui avait permis à Satan d’affliger Job dans son corps, lui donne congé de le transporter lui-même dans la ville sainte, à Jérusalem, et de le placer au faîte du temple, peut-être à l’endroit du portique d’Hérode, là où la masse du temple domine le torrent de Cédron. La seconde tentation a pour dessein perfide d’exagérer ce même sentiment de confiance par lequel le Seigneur a victorieusement repoussé le premier assaut. Le diable lui souffle une pensée, non de vaine gloire, — il n’y avait personne à les contempler, — mais de présomption. Et avec son ordinaire ténacité, comme pour piquer d’honneur celui à qui il s’adresse, il revient avec un accent de doute sur cette qualité de Fils de Dieu, au sujet de laquelle il voudrait un témoignage concluant. Repoussé une première fois par l’Écriture, le tentateur, qui sait l’Écriture, s’efforce d’incliner le Seigneur en invoquant à son tour la même autorité. « Si vous êtes le Fils de Dieu, dit-il, jetez-vous donc en bas ! Il n’y a nul danger d’ailleurs : n’est-il pas écrit (au Psaume 90) qu’il a confié à ses anges le soin de vous garder, de vous porter dans leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre ? ils vous éviteront toute meurtrissure. » De nouveau, le Seigneur se dérobe. Avec le même calme divin et la même mesure, il interprète virtuellement, par une autre autorité, l’autorité scripturaire alléguée : « Sans doute, les anges vous préserveront : si vous marchez, non si vous vous précipitez vous-même. La confiance doit être respectueuse ; nous n’avons pas à adresser à Dieu de mise en demeure impérative : vous ne mettrez point à l’épreuve la puissance du Seigneur votre Dieu » (Dt 6, 16).

Un autre temps s’écoule. Il faut nous souvenir, en face de cette triple tentation, que le monde se résume dans la concupiscence de la chair, dans la concupiscence des yeux, dans la superbe de la vie (1 Io 2, 16). Les réponses évasives du Seigneur semblent avoir rassuré son ennemi : « Ce n’est qu’un homme ordinaire. Il n’a pas consenti à montrer la réalité de son pouvoir : se récuser ainsi n’est pas naturel, quand on a vraiment le moyen de répondre victorieusement. Continuons. » Alors Satan transporte de nouveau Jésus sur une très haute montagne ; et en un clin d’œil, en un instant de durée, in momento temporis, il fait apparaître à ses yeux tous les royaumes du monde, avec leur splendeur. Il est au pouvoir du diable de créer cette vue panoramique. « Tout cela m’a été livré, dit le prince du monde : je le donne à qui je veux. Tout cela est vôtre, à une seule condition : tomber à genoux devant moi et m’adorer. » La proposition ne manque point d’impudence et de maladresse ; mais le diable n’est pas toujours habile, et souvent il brusque là où il faudrait ruser. Il avait d’ailleurs été gâté par la triste humanité : tout lui réussissait, depuis l’heure où il avait dit : « Vous serez comme des dieux ! » Et puis, cette royauté universelle, le rêve de tous les grands ambitieux ! Tenir le monde entier dans sa main, l’animer de sa pensée, le remuer par sa volonté : quel destin ! Celui qui est le superbe n’estime pas que l’homme puisse demeurer indifférent en face d’une telle perspective. Enfin, la tentation n’est peut-être pas si grossière qu’elle le paraît de prime abord ; il est possible que Jésus soit le Fils de Dieu, on espère qu’il se livrera enfin. Sans doute la question : Si Filius Dei es n’est plus posée explicitement ; il semble néanmoins que l’interrogation soit plus anxieuse que jamais. Qui sait si l’inquiétant jeûneur ne va pas répondre que tout est à lui, à lui seul, dès l’éternité ? Il se redressera alors de toute sa taille contre l’usurpateur, et Satan sera fixé.

Mais le Seigneur demeure impénétrable. Il se borne, cette fois encore, à écarter la pointe et à exclure la condition mise par le diable à ses offres de service ; mention n’est même pas faite de l’enjeu. « Retire-toi, Satan, dit Jésus. Car il est écrit : C’est le Seigneur votre Dieu que vous adorerez et c’est lui seul que vous servirez. » Pour la troisième fois, c’est avec une parole de l’Écriture Sainte, empruntée encore au Deutéronome (6, 13), que le diable est confondu. Et après avoir épuisé toutes ses ressources de tentateur, consummata omni tentatione, il se retira d’auprès de Jésus, — pour un temps, ajoute saint Luc, et jusqu’à, opportunité nouvelle ; à l’heure de la Passion, tout l’enfer donnera un suprême assaut : Hæc est hora vestra, et potestas tenebrarum (Lc 22, 53). Venit princeps mundi huius, et in me non habet quidquam (Io 14, 30). Satan disparu, les bons anges s’empressent autour du Seigneur et l’aident à réparer ses forces.

Prières

Oratio

Deus, qui Ecclésiam tuam ánnua quadragesimáli observatióne puríficas : præsta famíliæ tuæ ; ut, quod a te obtinére abstinéndo nítitur, hoc bonis opéribus exsequátur. Per Dóminum.

Oraison

Ô Dieu, qui purifiez chaque année votre Église par l’observation du Carême, faites que votre famille poursuive par ses bonnes œuvres le bien qu’elle s’efforce d’obtenir au moyen de l’abstinence.

Prière du Missel mozarabe

Il est juste et équitable que nous vous rendions grâces, Dieu tout-puissant et éternel, par Jésus-Christ votre Fils notre Seigneur, qui par le jeûne a obtenu sur le diable un glorieux triomphe, et a enseigné à ses soldats, par son exemple, l’art de combattre. Étant Dieu et le Seigneur de tous, il jeûna quarante jours et quarante nuits, afin de montrer que, vrai Dieu, il avait pris la véritable nature de l’homme, et de réparer par l’abstinence ce qu’Adam avait perdu par la nourriture. Le diable vient donc attaquer le fils de la Vierge ; il ignore qu’il a affaire au Fils unique de Dieu. Dans sa ruse consommée, il espère séduire le second Adam par les artifices qui lui ont servi à renverser le premier, mais il est impuissant ; pas une de ses séductions ne réussit à tromper un si redoutable adversaire. Jésus jeûne quarante jours et quarante nuits ; et ensuite il éprouve la faim, lui qui durant quarante années nourrit d’un pain céleste une multitude innombrable. C’est lui qui, fort de sa propre puissance, a combattu le diable, prince des ténèbres, et qui l’ayant terrassé, a remporté avec honneur le trophée de la victoire jusque dans les cieux.

Prière médiévale (10ème siècle)

Ô Dieu qui êtes présent au dedans et au dehors, au-dessus et au-dessous de toutes les créatures ; ô Dieu qui êtes une seule Puissance, une seule Éternité, une seule Majesté, présent partout et partout tout-puissant, puissé-je, par votre grâce, me rappeler sans cesse votre présence et me bien pénétrer de cette pensée que rien ne me peut arriver de malheureux, si ce n’est par votre volonté, Seigneur, ou par votre permission. Dans cette persuasion, je ne craindrai plus aucun péril, ni les périls de la nudité, de la soif et de la faim ; mon Dieu, Dominateur éternel de toutes choses, du Royaume visible et de l’invisible Royaume. Je ne craindrai plus que vous, je n’adorerai plus que vous, et sur­tout je n’aimerai plus que vous. C’est ce que je vous demande par l’intercession des saints Anges, des Archanges, de tous les esprits célestes et de tous les saints qu’en ce moment même je convoque à chanter vos louanges et que j’appelle à mon secours. Ainsi soit-il.

Antienne

Ã. Ecce nunc tempus acceptábile, ecce dies salútis : in his ergo diébus exhibeámus nos sicut Dei minístros in multa patiéntia, in vigíliis, in ieiúniis, et in caritáte non ficta.

Ã. Voici maintenant le temps favorable, voici le jour du salut : en ces jours, montrons-nous comme ministres de Dieu, en grande patience, dans les veilles, dans les jeûnes, et dans une charité non feinte.

Antienne grégorienne “Ecce nunc tempus acceptabile"

Antienne Ecce nunc tempus acceptabile

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