Samedi de la 4ème semaine de Carême
Plus vous avez de lumières touchant le bien, plus vous serez rigoureusement puni, si vous n’en vivez plus saintement.
Jésus est la lumière du monde (Io 8, 12-20) : commentaire de Dom Delatte
Nous sommes au lendemain de la fête des Tabernacles. Ne semble-t-il pas que le Seigneur ait voulu, dans son enseignement, fournir le commentaire de tout ce que cette fête contenait de voilé et de mystérieux ? Le peuple de Dieu, après l’Incarnation, est encore en marche vers la terre promise Au cours du chemin, le Fils de Dieu nous est tout ce dont nous avons besoin : il est notre nourriture (Io 6), il est l’eau miraculeuse qui jaillit du rocher (Io 7). La manne, c’est lui ; la pierre, c’est lui encore (1 Cor 10, 4) ; l’eau vive, c’est lui qui la procure, et en celui qui l’a reçue, elle devient une source qui jaillit jusqu’à la vie éternelle. Pourtant, il était un symbole que le Seigneur ne s’était pas appliqué encore. Un enfant sachant l’histoire sainte aurait pu dire : « Oui , Seigneur ; mais , dans le désert. Dieu était le guide de son peuple. L’Ange de Dieu était à la tête de tout Israël. Il y avait une colonne de feu et de fumée : de feu, la nuit ; de fumée, le jour ; et selon qu’elle s’ébranlait ou s’arrêtait, le peuple de Dieu ou la suivait ou suspendait sa marche… » La fête des Tabernacles comportait, dans son programme, des illuminations, des processions aux flambeaux. Le Seigneur va montrer qu’il ne manque rien pour que soit parfaite la correspondance entre la réalité et la figure.
« Je suis la lumière du monde ». Ce n’est pas la colonne de feu et de fumée qui est la lumière du monde ; elle n’était que le guide d’un petit peuple, durant les quarante années de sa vie errante. Même alors, elle n’était encore qu’un symbole de l’Ange de Dieu, du Verbe de Dieu, s’essayant dès lors à vivre au milieu des hommes. Mais la lumière vraie et sans ombre, la lumière du monde et de tous, la lumière qui s’adresse à l’âme, la lumière qui marche devant vous et qui est en vous, c’est moi, dit le Seigneur. Celui qui me suit, qui se tient près de moi, marchant avec moi et de mon pas, celui-là ne chemine plus dans les ténèbres. Il est en possession de la vraie lumière (Io 1, 9).
« Je suis la lumière du monde » : jamais homme, si ce n’est le Seigneur, n’a osé parler ainsi de lui-même. Une telle plénitude d’affirmation trahit la souveraine autorité de Dieu. Mais les pharisiens, évincés naguère par l’exception que leur a opposée le Sauveur, se préparent à lui répondre sur le même ton et par le même procédé : à une fin de non-recevoir, ils opposent une fin de non-recevoir. C’est un axiome de droit que nul n’est témoin ni juge dans sa propre cause. Quelle créance, dès lors, mérite l’affirmation de Jésus en faveur de l’autorité infinie et universelle qu’il s’arroge ? Il se rend témoignage à lui-même : son témoignage n’est pas acceptable. — Si les pharisiens avaient voulu, peut-être auraient-ils trouvé dans la doctrine même de Jésus réponse à leur difficulté. Le Seigneur se disait la lumière du monde ; or, la condition de la lumière, c’est précisément de n’avoir pas besoin de témoignage autre qu’elle-même. C’est elle qui fait voir, et c’est par là même qu’elle se démontre : le témoignage de la lumière suffit à la lumière. Même dans l’ordre des relations humaines, il est des hommes que l’on croit sur parole, et le Seigneur, sans aucun doute, était de ceux-là. Néanmoins, il consent à discuter avec les Juifs. Moi, dit-il, alors même que je porte témoignage à mon sujet, mon attestation mérite créance. J’échappe aux lois ordinaires, simplement parce que je suis le Fils de Dieu, sachant seul d’où je viens et où je vais. Cela, je le sais seul, et nul autre que moi ne peut enseigner aux hommes qui je suis.
« Mais cependant, pouvaient objecter les pharisiens, votre témoignage court risque d’être faussé par l’amour-propre et une estime irrégulière de vous-même ? » Non, dit le Seigneur, j’ai conscience exacte de ce que je suis. Je ne juge personne selon la chair, selon les apparences, et ce n’est pas selon la chair que je parle de moi. Vous autres, là où vous voyez une forme humaine, vous déclarez : il n’y a qu’une forme humaine. Vous affirmez ce que vous voyez, vous niez ce que vos yeux n’aperçoivent pas. Je ne suis pas exposé à cette infirmité. Alors que je prononce sur moi-même et sur tous autres, mon jugement, fondé sur une pleine connaissance, est exact. Le Fils de Dieu est la règle et la vérité. L’homme de droiture peut se tromper, mais la vérité ne saurait jamais se séparer d’elle-même. — « Mais enfin, vous êtes seul ! » Non, cette unité du témoin n’est point telle que vous pensez. Lorsque je prononce, mon jugement est vrai, parce que je ne suis pas seul : il y a toujours, dans ma parole, et moi et celui qui m’a envoyé. Or, dans votre Loi, il est écrit que le témoignage de deux hommes fait autorité, qu’il est recevable en justice (Dt 19, 15) ; vous avez sur moi le double témoignage et du Fils et du Père qui l’a envoyé : est ce que l’attestation de deux personnes divines serait moins sûre que celle de deux personnes humaines ? — On voit que le Seigneur répond à toutes les difficultés élevées contre lui par l’affirmation réitérée de sa filiation.
Mais les Juifs ne se rendent pas encore. Un témoin doit être vu, entendu : sans cela il est loisible à n’importe qui d’en appeler au témoignage de n’importe qui. On nous parle de deux témoignages : mais où est le second témoin ? Votre Père, où est-il ? Quelle autorité peut constituer pour vous un témoin absent et invisible ? — Une fois de plus, le Seigneur élude le sarcasme latent de la question, et se borne à répondre : Vous ne me connaissez pas. Ce n’est pas connaître un homme que de constater sa présence corporelle, apercevoir ses traits, le distinguer d’avec les autres hommes par des indices extérieurs ; on ne connaît quelqu’un que lorsque l’on sait ce qu’il est réellement et intérieurement. Or vous ne connaissez ni moi ni mon Père ; celui pourtant que vous appelez votre Dieu, vous ne pourriez le connaître que par moi. Il n’y a de vraie manifestation du Père que dans et par le Fils. — Ces paroles furent prononcées observe l’évangéliste, au cours de l’enseignement que Jésus donnait aux foules, dans la galerie du Trésor, située à l’angle du parvis des femmes. Le Seigneur parle en public, dans un endroit fréquenté, près de la demeure des prêtres ; mais, non plus que les jours précédents, personne ne se saisit de lui, parce que son heure n’était pas venue encore.
Oratio
Fiat, Dómine, quæsumus, per grátiam tuam fructuósus nostræ devotiónis afféctus : quia tunc nobis próderunt suscépta ieiúnia, si tuæ sint plácita pietáti. Per Dóminum nostrum.
Oraison
Nous vous en supplions, Seigneur, que le sentiment de notre dévotion devienne fructueux par votre grâce ; parce que les jeûnes que nous avons entrepris nous seront utiles lorsqu’ils seront agréables à votre bonté.
Oratio
Deus, qui sperántibus in te miseréri pótius éligis quam irasci : da nobis digne flere mala, quæ fécimus ; ut tuæ consolatiónis grátiam inveníre mereámur. Per Dóminum.
Oraison
Ô Dieu, qui préférez avoir pitié de ceux qui espèrent en vous, plutôt que de vous irriter ; donnez-nous de pleurer comme il convient le mal que nous avons commis, en sorte que nous méritions la grâce d’être consolés par vous.
Prière de Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582)
Ô Seigneur, comme il est vrai que vous possédez les paroles de vie (Io 6, 68), celles où tous les mortels trouveraient ce à quoi ils aspirent pourvu qu’ils consentent à le chercher. Mais quoi d’étonnant, ô mon Dieu, nous oublions vos paroles ! Vous êtes Tout-Puissant, vos œuvres sont incompréhensibles. Faites donc, Seigneur, que vos paroles, jamais ne quittent ma pensée. Vous avez dit : « Venez à moi, vous tous qui souffrez et pliez sous le fardeau, et je vous consolerai » (Mt 11, 28). Que voulons-nous de plus, Seigneur ? Que demandons-nous ? Que cherchons-nous ? Pourquoi ceux du monde se perdent-ils, sinon parce qu’ils sont en quête de bonheur ? Ô mon Dieu ! Qu’est-ce que cela signifie, Seigneur ? Quelle pitié ! Quel profond aveuglement ! Chercher le bonheur là où il est impossible de le trouver ! Ayez pitié, Seigneur, de vos créatures, considérez que nous ne nous comprenons pas nous-mêmes, que nous ne savons pas ce que nous désirons et n’arrivons pas à trouver ce que nous demandons. Seigneur, la lumière nous est plus nécessaire à nous qu’à l’aveugle qui l’était de naissance : lui désirait voir la lumière, mais ne le pouvait pas. Actuellement, Seigneur, on ne peut pas voir clair. Quel mal incurable que celui-ci ! C’est le moment, Seigneur, de faire éclater votre puissance, le moment de manifester votre miséricorde. C’est une très grande chose que je vous demande, ô vrai Dieu, mon Dieu : d’aimer qui ne vous aime pas, d’ouvrir à qui ne vous appelle pas. Vous avez dit, ô mon Seigneur, que vous êtes venu chercher les pécheurs (Mt 9, 13) : les voilà, Seigneur, les vrais pécheurs. Ne considérez pas notre aveuglement, ô mon Dieu, mais plutôt tout le sang que votre Fils a répandu pour nous. Que votre miséricorde resplendisse sur notre croissante malice ; rappelez-vous, Seigneur, que nous sommes votre ouvrage. Que votre bonté et votre miséricorde viennent à notre aide. Ainsi soit-il.
Ã. Ego sum lux mundi : qui séquitur me, non ambulábit in ténebris : sed habébit lumen vitæ, dicit Dóminus.
Ã. Je suis la lumière du monde : celui qui me suit, ne marchera pas dans les ténèbres : mais il aura la lumière de la vie, dit le Seigneur.
Antienne grégorienne “Ego sum lux mundi”
Ã. C’est moi qui rends témoignage de moi-même : mais il rend aussi témoignage de moi, mon Père qui m’a envoyé.