1er Dimanche de la Passion

Le mot de Dom Delatte
Le terme de notre vie surnaturelle, ce n’est pas nous, c’est Dieu.
Sermon

Il importait que le Christ souffrît

Le Christ, souverain prêtre (Hbr 9, 11-15) : commentaire de Dom Delatte

Le Christ se présente en son heure, avec ses droits, avec autorité. Il est le pontife des biens futurs ; futurs relativement au mosaïsme à qui il succède, futurs dans une mesure, puisqu’ils ne sont pas encore pleinement révélés. Surtout il est le pontife qui entre et qui fait entrer dans un sanctuaire plus grand et plus parfait, un Saint des Saints qui n’est pas construit de mains d’homme.

Mais à quel prix est-il entré, avec quelle rançon ? Le prêtre de l’ancienne loi entrait dans son tabernacle figuratif avec le sang des boucs et des génisses : c’était normal, il y avait proportion entre ces éléments, tous figuratifs : le prêtre, l’économie, le sanctuaire, et la rançon vitale qui y donnait entrée. Mais le Fils de Dieu entre dans le sanctuaire grâce à son sang versé ; c’est par un travail personnel qu’il nous a rachetés, et achetés à lui éternellement. Son expiation et notre rédemption sont chose acquise définitivement pour l’éternité.

En vérité, dit l’Apôtre, si le sang des boucs et des génisses (Lv 16), si la cendre de la vache rousse répandue sur la tête (Nm 19), purifie le coupable de ses souillures légales et extérieures, quelle ne sera pas l’efficacité de ce sacrifice du Christ ? La victime ici est intelligente, son sacrifice est volontaire ; mieux que cela, son sacrifice est spontané, la victime est sans tache, et si l’on veut comme principe de ce sacrifice auguste quelque chose qui soit au-dessus de la volonté humaine la plus parfaite, sachons encore que c’est sous l’influence de l’esprit de Dieu et dès le soir de la Cène que le sacrifice a été offert ; et non pas seulement, comme dans le mosaïsme, par déférence à une prescription rituelle. Combien de motifs réunis pour que le sang du Christ, véhicule de sa vie, purifie non pas seulement notre corps, mais notre âme elle-même, le centre de notre vie ; qu’il ruine en nous les œuvres de péché, qu’il expie, qu’il réconcilie, qu’il scelle et consacre l’alliance nouvelle ; et, une fois purifiés, une fois réconciliés, qu’il nous fasse adorer et servir Dieu par un culte digne de lui !

Car, dans la pensée de l’Apôtre, la fin de la vie c’est d’adorer Dieu. La pureté même de la conscience et la sainteté ont pour dessein dernier et pour terme le culte que nous rendons à Dieu. On n’est pas beau pour être beau et s’arrêter là. On n’est pas pur pour être pur et n’aller pas plus loin. Toute beauté surnaturelle est ordonnée finalement à l’adoration. C’est là ce que veut le Père céleste, des adorateurs en esprit et en vérité : et notre adoration croît devant Dieu avec notre beauté et notre dignité surnaturelle. Ainsi le terme de notre vie surnaturelle, ce n’est pas nous, c’est Dieu. C’est Dieu, qui en dernière analyse recueille le bénéfice de ce que nous devenons graduellement par sa grâce et sous sa main. Dieu, en nous, travaille pour lui : pour servir le Dieu vivant. C’est la pensée du Seigneur en saint Jean à laquelle nous faisions allusion il y a un instant. C’est la pensée de saint Zacharie, lorsque dans son cantique il rappelle à Dieu sa promesse : « Afin que, sans crainte, affranchis de la main de nos ennemis, nous Le servions, avec sainteté et justice devant Lui, tous les jours de notre (vie) ». Toute notre vie, celle de l’éternité et celle du temps, est liturgique et ordonnée vers Dieu. Si nous nous appliquons au silence, au calme, à la paix, à la pureté, à l’effacement de tout, ce n’est pas pour nous y complaire, pour nous livrer à je ne sais quel dilettantisme supérieur, mais pour mieux servir, pour mieux adorer, pour mieux aimer Dieu. La pureté n’est pas la fin de notre vie surnaturelle ; elle n’est qu’un moyen pour la fin de notre vie surnaturelle ; et l’une des tentations les plus perfides et les plus redoutables se rencontre précisément dans une certaine complaisance orgueilleuse où l’on se réjouit de soi, de la vertu acquise et de son propre achèvement. Pour éviter le vertige qui précipite, c’est toujours en haut qu’il faut regarder.

Ainsi se dessinent la médiation sacerdotale et la prêtrise souveraine du Seigneur. Nous voyons bien maintenant en quoi consiste sa médiation. Nous embrassons mieux son sacrifice, et la plénitude d’efficacité qu’il implique. Nous tenons maintenant le fait nouveau qui a abrogé l’économie ancienne, pour lui substituer une dispensation de confiance et de tendresse : « vous avez reçu un Esprit d’adoption, en qui nous crions : Abba ! Père ! » (Rm 8, 15) Car c’est à raison de l’efficacité souveraine et spirituelle de son sang, que le Christ est le médiateur de la nouvelle économie : le sang des boucs et des génisses n’y pouvait rien ; le sang du Christ par son incomparable efficacité, inaugure une situation religieuse tout autre : il purifie, il réconcilie, il consacre l’alliance, il renouvelle l’homme dans la vie du Seigneur (Eph 2).

Il nous demeure ainsi trop démontré que l’Ancien Testament n’a pas conduit les hommes à l’union parfaite avec Dieu. Par les réserves mêmes et les détails de sa liturgie, la loi mosaïque, nous venons de le voir, a témoigné elle-même de son impuissance. Aussi voici venir une alliance nouvelle, où, moyennant un sacrifice et une mort volontaire, le péché est effacé, l’homme racheté de cette lourde servitude qui pesait sur lui dans l’ancienne loi ; où le Christ constitue aux mains des élus de Dieu les biens qui furent autrefois promis, mais non accordés à nos pères.

Jésus proclame sa divinité (Io 8, 47-59) : commentaire de Dom Delatte

Quis ex vobis arguet me de peccato ? Le Seigneur ne dédaigne pas de discuter encore, même avec des cœurs obstinés. Il vient de montrer de quel côté se trouvent la mort, et le mensonge, et le péché. Quel mal vous ai-je fait ? dit-il. Que pouvez-vous me reprocher ? Je vous apporte la vérité. D’où vient l’opposition qui vous raidit contre elle ? Si vous étiez de Dieu, vous reconnaîtriez la voix de Dieu, la parole et la pensée de Dieu. Mais vous n’entendez pas, parce que vous n’êtes point de Dieu, non plus que vous n’êtes fils d’Abraham.

Nous entrons dans une phase nouvelle : l’offensive violente de la part des Juifs ; ils ripostent ainsi à l’offensive du Seigneur (Io 8, 44), Le Seigneur les a excommuniés, et de Dieu, et d’Abraham : à leur tour, ils vont l’exclure de la fraternité juive. L’appréciation qu’ils portent était courante et commune parmi eux : N’avons-nous pas raison de dire que vous êtes un Samaritain, un homme souillé, semblable à ceux à qui vous avez porté l’évangile, enfin un possédé du démon ! C’est par un pacte avec Béelzébub que vous accomplissez les œuvres surprenantes de votre vie ; et c’est sous l’influence de l’esprit impur que vous parlez, — Le Seigneur écarte doucement l’injure. Il ne se défend pas d’être Samaritain, ni ne se justifie d’avoir porté aux Samaritains la vérité ; il repousse seulement le second reproche. Non, dit-il, je n’ai point de démon, je n’appartiens pas au diable. J’honore mon Père par l’absolue et continuelle docilité de ma vie. Mais vous, vous me déshonorez, et, en ma personne, celui qui m’a envoyé. Car lorsque je vous parle de mon honneur, ce n’est pas que je cherche une gloire qui soit pour moi : il est quelqu’un qui a souci de moi, qui me défend et jugera entre nous.

Il semble ensuite que le Seigneur, devant une telle obstination, se désintéresse un instant des Juifs et revienne à ceux qui ont commencé à croire en lui, à qui il disait : Si vous demeurez dans ma parole… (Io 8, 31). Leur ayant promis la liberté, il leur promet maintenant la vie, une vie sans fin. Il emploie la formule solennelle qui, sur ses lèvres, équivaut à un serment. « En vérité, en vérité, je vous le dis : si quelqu’un garde ma parole, elle le défendra contre la mort, et à jamais. » La parole du Seigneur en nous, ce n’est pas simplement une parole déposée dans un coin de La mémoire, d’où elle n’exerce sur la vie aucune action réelle : c’est la parole vivante et efficace ; c’est la règle, la loi, l’influence divine, sans laquelle il n’existe pas pour nous de vraie liberté. Il nous faut la garder comme on veille sur un trésor, sur un bien dont on ne veut pas perdre une parcelle. Alors, nous ne connaîtrons point la mort, puisque Dieu même sera avec nous et en nous.

C’est bien, disent les Juifs, en face de cette affirmation, aussitôt interrompue que prononcée. Maintenant nous tenons la preuve que vous agissez et que vous parlez comme un fanatique, sous l’influence du démon. Le monde a connu de grands amis de Dieu : Abraham, les prophètes. Dieu ne les a pas garantis contre la mort, encore qu’ils fussent ses familiers et ses élus. Et vous venez de dire : Si quelqu’un garde ma parole, il ne mourra jamais. Vous seriez alors plus grand qu’Abraham, qui n’a pas échappé à la mort ? plus grand que les prophètes qui, à leur tour, en ont subi la loi ? Eux aussi, cependant, ont écouté la voix de Dieu : ce qui ne leur a point conféré l’immortalité. Et non seulement la mort vous épargnerait personnellement, mais vous accorderiez le même privilège à tous vos disciples ! Qui êtes-vous donc ? Prétendez-vous être plus grand que notre père Abraham, que les prophètes, que Dieu même, puisqu’il a laissé mourir ses amis ? — C’est, à propos de la mort, la même méprise qu’au sujet de la liberté.

Le Seigneur trouve d’abord, dans la question même de ses ennemis, l’occasion de renouveler l’assertion de son origine divine. À Dieu ne plaise que je me glorifie, ni que je m’élève moi-même ! La gloire que je me décernerais ne serait rien. Je suis Fils de Dieu, et n’ai d’autre gloire que celle qui me vient de lui ; en poursuivre une autre serait renoncer à cette gloire essentielle. C’est à mon Père qu’il appartient de me donner de la gloire. Mon Père est celui que vous appelez votre Dieu et dont vous vous glorifiez d’être le peuple, encore que vous ne le connaissiez pas. Je le connais, moi, et si je niais le connaître, si je me dérobais à sa pensée, si j’étais infidèle à la mission qui vient de lui, je serais semblable à vous, un menteur. Car le mensonge profond et premier, c’est d’être en désaccord avec Dieu et de se dérober à lui. Mais je connais mon Père et je garde sa parole.

Ayant ainsi écarté toute idée de vaine gloire et d’estime personnelle, le Seigneur donne satisfaction à la question des Juifs ; il omet les prophètes, dont la cause est d’ailleurs liée à celle d’Abraham, et se borne à la seule comparaison établie entre lui et le père des croyants. Même alors, il ne se dit pas formellement supérieur à Abraham ; la question de taille respective n’est pas abordée : ainsi, l’humilité garde ses droits et la divinité n’y perd rien. Abraham, que vous appelez votre père et de qui vous vous réclamez, a tressailli d’espérance à la pensée de voir mon jour, le jour de mon avènement sur terre. C’est à dater de ce jour-là, en effet, que dans son fils et selon les promesses réitérées de Dieu, toutes les nations de la terre ont été bénies, comme en germe. Et, dans les limbes, grâce à une manifestation spéciale, Abraham a contemplé le jour du Seigneur, et il a tressailli dans la joie de son avènement.

Le Seigneur a donc vu et a été vu ; il s’est donc montré au patriarche et a été le témoin de sa joie, ce qui explique l’objection du verset 57. Rien, dans cette assurance donnée par Jésus, qui ne fût d’accord avec ce qu’il avait dit de lui-même : mais comment une âme juive eut-elle pu supporter la pensée d’une telle subordination : Abraham, leur père, attendant Jésus, désirant contempler le jour de sa venue ! « Comment ! s’écrient-ils, vous n’avez pas encore cinquante ans, et vous avez vu Abraham ! »

Avec une solennité tranquille, Jésus répond : « Avant qu’Abraham ne reçût la vie, je suis. » C’est l’affirmation de sa préexistence éternelle et de sa divinité. Mais l’incrédulité des Juifs n’y voit qu’un blasphème. Le temple était en construction depuis quarante-six ans ; certaines portions demeuraient sans doute à l’état de chantier, encombrées de pierres et de matériaux. Aussitôt, les Juifs se mettent en devoir de lapider le blasphémateur, dans le temple même ; la fureur leur fait oublier toute loi : nul ne pouvait être frappé de mort à l’intérieur de la ville sainte, à plus forte raison dans le temple. Mais parce que l’heure n’est pas venue, le Seigneur se dérobe, comme jadis à Nazareth, et sort du temple.

Prières

Oratio

Quæsumus, omnípotens Deus, familiam tuam propítius réspice : ut, te largiénte, regátur in córpore ; et, te servánte, custodiátur in mente. Per Dóminum.

Oraison

Nous vous en prions, Dieu tout-puissant, regardez vos enfants dans votre miséricorde ; accordez-leur votre grâce pour qu’ils soient gouvernés en leur corps, et veillez sur eux pour qu’ils soient gardés en leur âme.

Oraison tirée du Bréviaire Mozarabe par Dom Guéranger

Le cours du temps, ô Christ Fils de Dieu, nous a ramené les fêtes commémoratives de votre Passion. Nous commençons d’un cœur pieux à vous rendre les devoirs qui vous appartiennent, en ce temps où vous avez souffert pour nous les insultes de vos persécuteurs et enduré sur la croix les coups de vos ennemis ; nous vous en supplions, ne vous éloignez pas de nous. Aux approches de votre tribulation, personne n’était là pour vous secourir ; soyez, au contraire, notre seul soutien par le mérite de votre Passion. Ne nous livrez pas à nos ennemis pour nous perdre ; mais recevez vos serviteurs pour les sauver. Par votre puissante vertu, repoussez ces superbes qui nous calomnient, c’est-à-dire les ennemis de nos âmes ; car vous êtes, dans votre humanité, le divin flambeau placé sur le chandelier de la croix. Enflammez-nous des feux qui sont les vôtres, afin que nous ignorions ceux du châtiment. Faites part des mérites de votre Passion à ceux que vous voyez en célébrer les prémices d’un cœur pieux ; par le bienfait de votre lumière, daignez dissiper les ténèbres de nos erreurs.

Antiennes

Ã. Iudicásti, Dómine, causam ánimæ meæ, defénsor vitæ meæ, Dómine Deus meus.

Ã. Vous avez jugé, Seigneur, la cause de mon âme, défenseur de ma vie, ô Seigneur mon Dieu.

Antienne grégorienne “Iudicasti Domine”

Ã. Pópule meus, quid feci tibi, aut quid moléstus fui ? Respónde mihi.​

Ã. Mon peuple, que t’ai-je fait, ou en quoi t’ai-je molesté ? réponds-moi.

Antienne grégorienne “Popule meus”

Ã. Numquid rédditur pro bono malum, quia fodérunt fóveam ánimæ meæ ?

Ã. Est-ce qu’on rend le mal pour le bien, puisqu’ils ont creusé une fosse pour mon âme ?

Antienne grégorienne “Numquid redditur”

Antiennes Iudicasti etc

Ã. Vulpes fóveas habent et volúcres cæli nidos Fílius autem hóminis non habet ubi caput suum reclínet.

Ã. Les renards ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête.

Antienne grégorienne “Vulpes foveas”

Antienne Vulpes foveas

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