13 novembre — Toussaint bénédictine

13 novembre — Toussaint bénédictine

13 novembre — Toussaint bénédictine

Annonce du Martyrologe Bénédictin

Fête de tous les Saints qui ont milité sous la Règle de Notre Saint Père Benoît, fête instituée par le Pape Paul V.

Du Prologue de Saint Benoît à sa Règle

Quant à ce qui manque en nous aux forces de la nature, prions le Seigneur d’ordonner à sa grâce de nous prêter son aide. Et si, désireux d’éviter les peines de l’enfer, nous voulons parvenir à la vie éternelle, tandis qu’il en est temps encore et que nous sommes en ce corps et que nous pouvons accomplir tout cela à la lumière de cette vie, courons et faisons, dès ce moment, ce qui nous profitera pour toute l’éternité.

Sermon

Extrait d’un sermon de Saint Bernard sur Saint Benoît

Vous avez entendu aujourd’hui même les promesses que le Seigneur fait dans son Évangile à ses apôtres, à qui il disait: « Vous serez assis sur des trônes et vous jugerez les douze tribus d’Israël (Mt 19, 28). » Vous avez là le repos, « vous serez assis », et l’honneur, « vous jugerez. » Mais Notre-Seigneur lui-même n’a pas voulu arriver à ce repos et à cet honneur sans passer par le travail et par les abaissements. S’il fut condamné à la mort la plus honteuse, mis à l’épreuve des tourments et rassasié d’opprobres, ce ne fut que pour couvrir de confusion son ennemi, et quiconque l’imite et le suit dans ses égarements. Voilà, esprit inique, voilà celui qui doit aller s’asseoir sur le trône de sa majesté, parce qu’il est semblable au Très-Haut et le Très-Haut est avec lui. C’est à quoi ont pensé les saints anges qui ne voulurent point partager l’apostasie du Malin qu’ils ont vu précipité, et nous ont laissé ainsi un exemple, afin que, de même qu’ils ont mieux aimé se tenir au rang des serviteurs, nous fissions de même de notre côté. Quiconque fuit le labeur et aspire aux honneurs doit donc savoir qu’il marche sur les pas de l’ange qui a aspiré à s’élever et à aller s’asseoir, et si la faute de cet esprit ne l’épouvante point, que du moins son châtiment l’effraie; car tout a tourné pour lui différemment de ce qu’il avait pensé, en sorte qu’il devint un objet de risée et qu’un feu éternel fut préparé pour le recevoir. C’est pour éviter ces malheurs que les saints anges ont semé pour nous la semence de la prudence, dont ils ont commencé de faire preuve eux-mêmes au moment où les autres sont tombés.

C’est aussi la semence que les apôtres ont répandue pour nous, lorsqu’ils s’attachèrent au Seigneur au moment où tant d’autres qui, préférant la sagesse de ce monde qui n’est que folie auprès de Dieu, et la prudence de la chair qui opère la mort et est ennemie de Dieu, s’éloignaient de lui, scandalisés de ce qu’ils lui entendaient dire, du sacrement de la chair et de son sang; ils ne continuèrent pas davantage à marcher à sa suite. Les disciples, au contraire, à la demande que leur fit le Seigneur pour savoir s’ils voulaient, eux aussi, le quitter, répondirent: « Seigneur à qui irons-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle (Io 6, 69). » Mes frères, il faut que nous imitions cette prudence, il y en a beaucoup encore qui marchent dans la société de Jésus jusqu’à ce que vienne le moment pour eux de manger sa chair et boire son sang, c’est-à-dire de prendre part à sa passion, car c’est ce que signifient ces paroles, c’est le sens même de ce sacrement, et qui alors se scandalisent aussi et retournent sur leurs pas, en disant : « C’est une parole dure à entendre (Ibid. 61). » Pour nous, partageons la prudence des apôtres et écrions-nous avec eux : « Seigneur, à qui irons-nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle. » Non, nous ne vous quitterons point; vous nous donnerez la vie. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais encore de toute parole qui tombe de la bouche de Dieu (Dt 8, 3 et Mt 4, 4). Le monde n’est pas seul à avoir ses délices, il s’en trouve de plus grandes que les siennes dans vos paroles. C’est ce qui faisait dire au Prophète: « Que vos paroles semblent douces à mes lèvres ! elles le sont plus que ne le serait le rayon de miel (Ps 118, 103). » À qui donc pourrions-nous aller, Seigneur, puisque vous avez les paroles de la vie éternelle, c’est-à-dire, des paroles qui sont au dessus de toutes celles que le monde peut avoir ? Non-seulement, mes frères, il est la vie même, mais il en est aussi la promesse, il est l’attente des justes, il est leur joie, mais leur joie si grande que tout ce qu’on peut désirer ne lui pourrait être comparé. La prudence est donc la semence que les saints apôtres ont semée pour nous. Quant aux martyrs, il est clair que leur semence est une semence de force. Celle des confesseurs est la justice qu’ils n’ont cessé de poursuivre pendant toute leur vie ; car il y a la même différence entre les martyrs et les confesseurs qu’entre Pierre qui laisse tout, à la fois, et Abraham qui emploie les biens de ce monde à de bonnes œuvres. Les premiers ont, en effet, .vécu beaucoup de temps en quelques instants, et les seconds ont passé leur vie au milieu de longs martyres de toutes sortes. Pour ce qui est des vierges saintes, il est de toute évidence que leur semence est celle de la tempérance puisqu’elles ont su fouler la passion aux pieds.

Par sa doctrine Saint Benoît nous instruit et dirige nos pas dans les sentiers de la paix, et par la justice de sa vie, il nous donne des forces et du courage, et nous anime d’autant plus à faire ce qu’il nous a enseigné, que nous savons pertinemment qu’il ne nous a enseigné que ce qu’il a fait lui-même. Il n’est pas, en effet, d’exhortation si pleine de vie et d’efficacité que l’exemple, car celui qui fait ce qu’il conseille le rend facile à persuader, puisqu’il montre, par sa conduite, que ce qu’il conseille est praticable. Voilà donc comment la sainteté fortifie, la piété instruit, et la justice confirme. Quelle ne fut donc pas en effet la piété de cet homme, qui, non content d’être utile à ceux de son temps, se mit en peine de l’être aussi à ceux qui viendraient après lui? Non-seulement cet arbre a porté du fruit pour ceux qui vivaient alors, mais il en a produit qui dure et persévère jusqu’à nos jours. Il était, certes, bien aimé de Dieu et des hommes, celui dont la présence fut en bénédiction, comme nous voyons que le fut celle de bien des saints, qui, n’étaient aimés que de Dieu, parce qu’ils n’étaient connus que de lui, mais dont le souvenir, de plus, est encore en bénédiction maintenant. En effet, jusqu’à ce jour, par la triple confession de son amour de Dieu, il paît le troupeau du Seigneur de trois sortes de fruits à la fois. Il le paît par sa vie, par sa doctrine et par son intercession. Sans cesse aidés par elle, portez aussi des fruits à votre tour, mes très-chers frères, car c’est pour cela que vous avez été établis, c’est pour que vous alliez , et que vous produisiez du fruit (Io 15, 16). Mais d’où devez-vous sortir pour aller ? De vous mêmes, mes frères, selon ce mot de l’Écriture : « Détournez-vous de votre propre volonté (Eccl 18, 30). » Ne lisons-nous point aussi du Seigneur que « celui qui sème s’en alla semer » (Mt 13, 3)? Ainsi nous avons la semence, nous avons vu quels furent ses fruits; c’est à nous de l’imiter, mes frères, car il n’est venu que pour nous donner la forme, nous montrer la voie.

Dom Mège : Des religieux et des religieuses les plus illustres de l’Ordre de Saint Benoît #1

Les progrès de l’Ordre de saint Benoît, après la mort de son saint Patriarche furent merveilleux, comme les grandes actions de ses enfants. J’aurais du plaisir à les écrire; mais comment pourrait-on enfermer dans un abrégé ce que tant de Solitaires si illustres et si parfaits ont fait et ont souffert dans toutes les parties du monde pour la gloire de Dieu, pour l’établissement, pour la défense et pour l’ornement de l’Église durant tant de siècles ? L’Ordre de S. Benoît a tant fait et de si grandes choses durant près de douze cens ans, il a porté la foi de Jésus-Christ et la sainteté des mœurs en tant de nations différentes, avec tant de gloire et de succès; qu’il faudrait écrire l’histoire de toute la Religion Chrétienne, ou plutôt l’histoire de tout le monde, pour faire exactement celle de ce Saint Institut.

Je ne dois pourtant pas passer sous silence tant de merveilles et tant de grands progrès ; il faut que j’en fasse ici un léger crayon: car il est important que tous nos Solitaires conçoivent une idée véritable de cet admirable Corps dont ils sont les membres ; afin de s’animer par cette vue à ne rien faire et à ne rien souffrir, qui soit indigne d’une profession si sainte et si glorieuse.

C’est cet Ordre qu’un écrivain fort éloquent a comparé à un ruisseau fort petit dans sa source; mais qui s’est si bien enflé dans son cours, qu’il est devenu un grand fleuve, duquel tant d’autres sont sortis et ont pris de sa plénitude; à cette petite pierre détachée sans le secours d’aucune main humaine, qui a renversé l’empire du démon, et qui est devenue une haute montagne. Enfin il le compare à ce petit grain de l’Évangile, qui est devenu un grand arbre, et qui a étendu ses branches dans toutes les parties du monde, qui a couvert sous son ombre les Prélats, les Rois, les Princes et les peuples, qui a fait l’ornement de l’Église et la joie du Paradis.

Mon dessein est de faire ici un petit Catalogue de quelques-uns de nos plus illustres Solitaires de l’un et de l’autre sexe, il sera assez court pour ne pas ennuyer le lecteur, et assez long pour former dans son esprit une magnifique idée de la sainteté et de la gloire d’un père, qui a produit tant d’illustres enfants. Il pourra aussi animer nos Solitaires, qui leur ont succédé; et qui vivent dans les mêmes Maisons et sous la même Règle, à pratiquer les mêmes vertus, et à s’éloigner de ce qui peut ternir la gloire et la sainteté d’un Ordre si glorieux et si saint.

Mais je suis obligé d’avertir, qu’en faisant ce Catalogue de nos illustres, je ne donnerai point dans le sentiment de quelques écrivains, qui par un zèle excessif ont donné à l’Ordre de saint Benoît des Saints qui ne lui appartiennent pas, et qui le parent sans nécessité d’ornements empruntés; car il est assez riche, il se contente de ses propres biens. Mais je ne donnerai pas non plus dans le sentiment de quelques nouveaux savants, qui par une critique trop sévère, rejettent comme supposé tout ce qu’ils ne trouvent pas appuyé par des Auteurs du même temps ; et qui sur des conjectures trop légères condamnent la tradition, et font cent injustices à la vérité, qu’ils prétendent défendre.

J’ai des Historiens plus anciens, plus célèbres, plus équitables, et qui méritent bien mieux d’être crus que ces nouveaux auteurs ; car ils nous ont laissé ce qu’ils avaient reçu de leurs pères, et nous devons recevoir leur tradition avec respect, et la laisser à ceux qui viendront après nous comme un précieux héritage. La plus grande partie des vérités de fait ne s’établit que de cette manière; et si on demandait toujours des témoins du même temps, où en serions-nous ? Les traditions les plus saintes seraient ébranlées.

Les premiers écrivains de notre Ordre ont eu, sans doute, plus de connaissance de ce qui s’est passé dans les premiers siècles, que ceux qui en écrivent à présent ; parce qu’ils étaient bien plus proches de la source. Les faits ne s’éclaircissent pas par la suite des temps, cet éloignement les obscurcit. Les anciens Auteurs ont vu très-assurément les écrits et les originaux que nous voyons, et ils en ont vu plusieurs que nous n’avons pas vus, et que nous ne verrons jamais. Car tout le monde sait qu’il s’en est perdu un très grand nombre par le malheur des temps, par la fureur de la guerre, par le saccagement des villes, par le pillage des Monastères les plus illustres, et par l’incendie des bibliothèques les plus nombreuses et les plus riches.

On ne peut donc pas sans témérité soupçonner seulement tant de savants historiens d’avoir manqué de lumière ou de sincérité. Et vouloir les accuser d’en avoir voulu imposer à la postérité en écrivant contre leur conscience et la bonne foi, c’est une grande injustice; car si ces écrivains qui ont composé leur histoire il y a trois cents, deux cents, ou même depuis cent ans, n’avaient point trouvé dans aucun Auteur plus ancien, ni dans aucune pièce authentique ce qu’ils ont avancé ; s’ils ne l’avaient appris d’aucune tradition, on aurait droit de les traiter de fourbes et de menteurs. Mais s’ils ne l’ont écrit qu’après s’en être assurés sur de bons mémoires, ou sur des témoignages dignes de foi; pourquoi est-ce que les nouveaux savants s’éloignent de leur sentiment, et les blâment d’ignorance ou d’infidélité ? pourquoi donnent-ils à ces grands hommes tant de démentis ?

Une possession si ancienne et si paisible dans laquelle nous sommes de tant de personnes illustres, et de tant de Saints du sixième et du septième siècle est trop bien établie, pour nous être ravie si légèrement. Il faut des titres et des titres incontestables pour nous la disputer. Tous les arguments négatifs et toutes les conjectures du monde sont des preuves trop légères pour affaiblir notre droit ; il est reçu dans l’Ordre et même dans toute l’Église, il est même reconnu par les écrivains étrangers.

[Certains saints de ces deux premiers siècles bénédictins ne sont pas au sens le plus strict « bénédictins ». En effet, à cette époque la plupart des monastères avaient leur propre règle de vie souvent composée de plusieurs règles écrites. La Règle de Saint Benoît va néanmoins s’imposer de plus en plus durant le 7ème siècle, notamment dans les monastères colombaniens semés à travers toute l’Europe.]

Les saints et les personnes illustres de l’Ordre de S. Benoît qui ont fleuri depuis l’année 480. jusqu’à l’année 580.

On ne doit marquer la naissance de l’Ordre de S. Benoît que presqu’à la fin du cinquième siècle de celle du Sauveur du monde. Et nous avons dit un mot de ses progrès jusqu’à la mort de son saint Patriarche. Nous avons dit aussi qu’en même temps notre Institut éclaira la France par les miracles et par la sainteté de saint Maur, et qu’il reçut aussi lui-même un éclat merveilleux dans ce grand Royaume. Car parmi un très-grand nombre de personnes de qualité qui abandonnèrent le monde et ce qu’il a de doux pour se donner à Dieu, Flore un des premiers Officiers de la Couronne et favori de son Prince, quitta tous ses avantages pour prendre notre habit. Ce fut encore en ce même temps qu’on bâtit en France et en Italie beaucoup de Monastères pour nos Religieux ; et que presque tous ceux qui étaient établis dans ces grandes provinces, quittèrent leurs Statuts et leurs manières de vivre, pour prendre la Règle de saint Benoît. Enfin ce fut durant ce premier siècle de notre Ordre et le sixième de Jésus-Christ, qu’un nombre infini de personnes de tous les âges, de tous les sexes et de toutes les conditions abandonnèrent le monde pour assurer leur salut en passant le reste de leur vie dans nos Monastères. Un des plus célèbres que je ne puis ne pas oublier, c’est le grand Cassiodore, lequel après avoir été Secrétaire d’état et pris tant de part au gouvernement de l’Empire sous trois divers Rois; après avoir été Consul et Sénateur, pour couronner sa vie par une heureuse fin, se soumit à la discipline de saint Benoît et fonda deux de nos Monastères : Hic primitus Consul, deinde Senator, ad postremum vero monachus extitit. Quelques Auteurs y ajoutent Denis le Petit, si célèbre pour le recueil qu’il a fait des Saints Canons. C’est tout ce que je dirai de ce premier siècle, qui a fourni assez de matière pour remplir plusieurs volumes. J’ai déjà parlé de la Mission de saint Placide et de nos premiers Martyrs.

Depuis l’année 580 jusqu’à l’année 680.

Ce second siècle de notre Ordre fut encore plus glorieux et bien plus utile à l’Église. Celui qui occupait dans son commencement la Chaire de saint Pierre et qui gouvernait toute l’Église était Pelage II. Ce grand pontife assembla plusieurs Conciles pour pourvoir aux présents besoins de la Religion. Des écrivains dignes de foi le font disciple de saint Benoît et Religieux de son Ordre: aussi eut-il un grand zèle pour notre Institut, qu’il favorisa à Rome et partout ailleurs. Il l’étendit et en multiplia les Maisons ; car quoique de son temps et même du vivant de saint Benoît, il y eut dans Rome des Monastères de l’Ordre, où nos Religieux vivaient avec une sainteté admirable; on y en bâtit encore d’autres de son temps : même les principales Églises de cette grande Ville furent données durant ce siècle à nos Solitaires, par la libéralité des Souverains Pontifes, du consentement du clergé.

Mais saint Grégoire le Grand surpassa tous ses prédécesseurs dans l’amour qu’il avait pour un Ordre, qu’il avait lui-même embrassé, et dans le zèle qu’il témoigna à le favoriser. Avant qu’il fut élevé au Souverain Pontificat, il fit de son propre Palais un Monastère, il y mit nos Religieux, et après cela il y entra lui-même et y fit profession. Rome servit d’exemple aux autres villes d’Italie, et à toutes les provinces de l’Empire. Car on bâtit partout de nouveaux Monastères, et on réforma les anciens, en y établissant l’observance de la Règle de saint Benoît: et dans tous ces saints lieux un nombre infini de Prélats, d’Abbés, d’Abbesses et de Solitaires très parfaits de l’un et l’autre sexe ont éclairé le monde par leur sainteté, par leur doctrine, par leurs miracles et par leurs grandes actions. Le Père Mabillon en rapporte une partie, après cent autres écrivains.

Je n’entreprends pas de nommer ici tous les grands Prédicateurs, que l’Ordre a produits durant ce siècle. Ce sont eux qui ont renversé l’idolâtrie et planté la foi de Jésus-Christ dans tant de nations et de provinces, qui les reconnaissent et qui les honorent comme leurs véritables Apôtres. D’un si grand nombre je ne nommerai que saint Omer et saint Amand, par qui les restes de la Gentilité furent arrachées en France et dans les Pays-bas. L’Angleterre fut éclairée par la lumière de l’Évangile, que saint Augustin, Saint Laurent, Saint Mélice, Saint Wilfried, et Cuthbert y répandirent. Et plusieurs provinces d’Allemagne reçurent la véritable Religion par les prédications de Winefride et de Rupert. Il ne faut pas douter que ces grands hommes, ces Solitaires zélés n’aient planté la profession monastique dans ces États avec la foi de Jésus-Christ. Car la France, qui avait déjà reçu dès le sixième siècle la vie religieuse par le ministère de S. Maur, fut dans celui-ci toute remplie et toute enrichie de Monastères de notre Institut dans toutes ses provinces par le zèle des saints Colomban, Eustase, Amand, Agile, et Philibert. Saint Fructueux et saint Ildefonse éclairèrent l’Église d’Espagne et étendirent notre Institut dans ce Royaume.

Prières

Oratio

Concéde, quǽsumus, omnípotens Deus : ut ad meliórem vitam sanctórum Monachórum exémpla nos próvocent ; quátenus, quorum solémnia ágimus, étiam actus imitémur. Per Dóminum.

Oraison

Accordez-nous, nous vous en supplions, ô Dieu tout-puissant, que les exemples des Saints Moines nous excitent à une vie meilleure, en sorte que nous imitions aussi les œuvres de ceux dont nous célébrons la fête. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Prières de Dom Joseph Mège à Saint Benoît (1625-1691)

Pourquoi, Seigneur, avez-vous rendu Saint Benoît si admirable et si parfait ? Pourquoi l’avez-vous élevé au milieu de votre Église comme un astre brillant et comme un éclatant flambeau ? N’est-ce pas pour nous éclairer ? Et à quoi nous servira sa lumière, si vous ne nous donnez des yeux pour la voir et des forces pour faire le bien qu’il nous découvre ? Faites-nous donc, mon Dieu, cette faveur parfaite; et après nous avoir montré un modèle si accompli, faites que nous l’imitions parfaitement. Ainsi soit-il.

Esprit divin, Consolateur adorable, qui êtes la source infinie et féconde de toutes les grâces et de toutes les vertus, qui les possédez toutes dans votre indivisible unité, et qui les répandez et les partagez sans vous épuiser. C’est vous qui avez inspiré, et qui avez enrichi les Patriarches, les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Confesseurs, les Prélats et les Vierges. C’est de votre plénitude que les Solitaires de tous les siècles, de toutes les nations et de tous les Ordres ont tiré leur esprit. Et c’est vous adorable Esprit du Père et du Fils, qui avez donné à Saint Benoît, par un privilège unique, l’esprit de tous les justes. Faites-moi part de cet Esprit de sainteté afin que je puisse partager la gloire des bienheureux dans le Ciel. Ainsi soit-il.

Antienne

Ã. Exsúltet ómnium turba fidélium pro glória almi Patris Benedícti : læténtur præcípue catérvæ monachórum, celebrántes eius festa in terris, de cuius societáte Sancti congáudent in cælis.

Ã. Que toute l’assemblée des fidèles se réjouisse de la gloire accordée à notre auguste Père Benoît ; que les phalanges des moines surtout se livrent à la joie de célébrer sur terre la fête de celui que les saints sont heureux d’avoir pour compagnon dans le Ciel.

Antienne grégorienne “Exultet omnium”

Antienne Exultet omnium

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10 novembre — Saint Vanne et Saint Hydulphe

10 novembre — Saint Vanne et Saint Hydulphe

10 novembre — Saint Vanne et Saint Hydulphe

Le mot du Vénérable Dom Didier de la Cour à ses moines

Si j’avais quelque pouvoir sur vous, je vous défendrais, sous peine d’excommunication, de dire du bien de moi après ma mort ; car j’ai mené une vie fort commune aux yeux des hommes et très misérable devant Dieu. Un peu de gravité et de retenue, voilà tout ce que je puis avoir de bon.

Les Saints Vanne et Hydulphe sont réunis en une seule et même fête dans la Congrégation bénédictine de France. Celle-ci a en effet été approuvée en 1833 par le Pape Grégoire XVI en tant qu’héritière des anciennes Congrégations bénédictines présentes en France avant la Révolution, dont la Congrégation des Saints Vanne et Hydulphe.

Saints Bénédictins : Saint Vanne, évêque de Verdun

Saint Vanne (en latin : Vitonus, Videnus ou Victo) qui avait embrassé de bonne heure la vie monastique, fut élevé sur le siège épiscopal de Verdun vers l’an 498. La haute opinion qu’on avait conçue de sa sainteté fut confirmée par plusieurs miracles qu’il opéra. Il travailla vingt-six ans avec un zèle infatigable à la sanctification de son troupeau. Il mourut le 9 novembre vers l’an 525, épuisé de fatigues et d’austérités.

D’après Alban Butler, Vies des Pères, des Martyrs et des autres principaux Saints.

Saints Bénédictins : Saint Hydulphe, chorévêque de Trèves et Abbé

Saint Hydulphe, issu d’une des plus illustres familles de Bavière, naquit à Ratisbonne vers l’an 612. Il renonça dès sa jeunesse aux espérances flatteuses qu’il pouvait avoir dans le monde, et se consacra au service de Dieu en embrassant l’état ecclésiastique. Son exemple fut suivi par Erard, son frère, qui devint depuis évêque régionnaire à Ratisbonne et dans la Bavière. Ce dernier est honoré comme saint le 8 janvier. Il mourut à Ratisbonne, suivant l’ancien martyrologe de Moyenmoutier. Ce furent Hydulphe et Erard qui tinrent sur les fonts baptismaux la fille d’Adalric, duc d’Alsace, laquelle était aveugle; ils lui donnèrent le nom d’Odile, parce qu’elle avait reçu la grâce de la vue avec celle du baptême.

Saint Hydulphe ayant été fait chorévêque de Trêves (espèce de coadjuteur de l’évêque du lieu, s’occupant des zones rurales du diocèse) remplit tous les devoirs d’un pasteur zélé et vigilant. Vers l’an 665, il introduisit la règle de Saint-Benoît dans le monastère de Saint-Maximin, qui avait été fondé dans le 4ème siècle, et où sans doute on suivait les observances des moines de l’Orient. Il en augmenta considérablement les revenus, et y établit une régularité si parfaite que cette maison devint l’admiration de ce siècle. Cette abbaye était une des plus célèbres de l’Allemagne.

Après une trentaine d’années, il se démet de sa charge et arrive dans la vallée vosgienne du Rabodeau vers 670. Il bâtit sa hutte à mi-chemin d’Étival et de Senones, dans la forêt. La renommée du nouvel ermite attire bientôt une foule de disciples. Hydulphe décide alors la construction d’un monastère sur le lieu, qui devient « medianum monasterium ». Premier abbé de Moyenmoutier, il adopte la règle de saint Benoît comme mode de vie de la nouvelle communauté. Il y avait plus d’un quart de siècle que Saint Hydulphe était à Moyenmoutier aux prises avec une œuvre de cette ampleur, lorsqu’il sentit faiblir ses forces. Il se démit de sa charge, afin de retrouver au soir de sa vie ce calme auquel il avait aspiré en venant ici comme ermite. Il confia donc la dignité abbatiale à Leutbald, un de ses meilleurs disciples, et prit modestement sa place au milieu de ses frères. Mais ce dernier mourut si prématurément en 704 que les moines s’en émurent, et tout désemparés se tournèrent vers leur fondateur. Le pauvre abbé, dans son ardente foi, vit un signe de la Providence qui lui demandait à nouveau le sacrifice de sa volonté propre. Avec un tranquille courage, il reprit donc sa crosse, mais pour peu de temps, car le Seigneur le rappelait à lui le 11 juillet 707, au terme d’une courte maladie. On l’inhuma dans la chapelle Saint-Grégoire, auprès de ses trois fils de prédilection, Spinule, Jean et Bénigne, qui l’y avaient précédé de peu.

D’après Alban Butler, Vies des Pères, des Martyrs et des autres principaux Saints.

La Congrégation bénédictine de Saint Vanne (Dom Stephanus Hilpisch, Histoire du monachisme bénédictin)

Pendant les guerres de religion du 16ème siècle, les monastères français avaient souffert de nombreuses destructions et ravages. Beaucoup d’abbayes avaient été saccagées ou entièrement détruites, la plupart appauvries et sans ressources. Quand un monastère avait encore du bien, ses revenus étaient donnés en commende par le roi ; et les abbés commendataires négligeaient l’intérêt du monastère à tous points de vue. C’est au milieu de ces circonstances que le projet d’une réforme naquit dans l’âme du Cardinal Charles de Lorraine. Outre son évêché de Metz, le Cardinal possédait en commende quatre grandes abbayes, et avait la légation de Lorraine et de Barrois. Il se décida à agir dans le ressort de sa légation. À la même époque l’évêque de Verdun, Éric de Vaudemont, qui tenait en commende l’abbaye de Saint-Vanne dans sa ville épiscopale, travaillait lui aussi à une réforme. Un bref de Grégoire XV donna au Cardinal pouvoir de réunir les abbés et prieurs de sa légation, et de discuter avec eux la question d’une réforme dans l’esprit du concile de Trente. L’assemblée, comptant seulement quatre abbés et quatre prieurs, eut lieu le 5 juin 1595 à Saint-Mihiel et décida l’érection d’une Congrégation. Mais le moment de s’exécuter, le Cardinal découragé fit au Pape Clément VIII (1592-1605) la singulière proposition de supprimer les monastères bénédictins de sa légation. Le Pape Clément refusa résolument, et avisa le cardinal qu’il était envoyé pour sauver les malades, non pour les étrangler. La seule pensée de la suppression était déjà un crime.

Le Cardinal appelle alors à l’aide l’abbaye Saint-Maximin de Trèves qui jouissait d’une bonne réputation. Il en reçu deux moines pour Saint-Vanne, et la moisson leva comme d’elle-même. Le prieur était Didier de la Cour, dépendant de l’évêque Éric de Verdun, abbé commendataire. En janvier 1600, sous l’inspiration du prieur, quatre novices et un profès se résolurent à une exacte observance de la règle : humble début. Mais dès 1601 Moyenmoutier recevait de Saint-Vanne des moines réformés, et les deux abbayes décidaient de se constituer en une Congrégation qui, en 1604, fut approuvée par Clément VIII sous le nom des Saint-Vanne et Hydulphe, patrons respectifs des deux abbayes. On adopta la formule de la Congrégation cassinienne. Un bref de Paul V recommanda en 1605 à tous les monastères de Lorraine de se rallier à la nouvelle réforme, et bientôt d’autres abbayes vinrent s’unir à la Congrégation. Jusqu’en 1670 celle-ci compris quarante-cinq abbayes dans les diocèses de Metz, Toul, Verdun, Bâle, Besançon (dont l’Abbaye Notre-Dame de Faverney, réformée en 1613), Châlons, Langres, Laon, Reims, Sens et Troyes, distribués en trois provinces. À la fin du 18ème siècle, elle comptait plus de 600 membres.

Au sommet de la Congrégation se tenait un président élu par le chapitre général pour un an. Le chapitre général était la plus haute autorité et se composait des supérieur de chaque maison et d’un délégué par convent. Comme la plupart des monastères étaient en commende, les supérieurs n’y avait que le titre de prieur, les autres étaient abbés à vie et élu par le convent. La Congrégation possédait sa maison d’études philosophiques et théologiques au Prieuré de Breuil (Commercy). Les études étaient florissantes. La Congrégation compta des noms célèbres qui méritent d’être cités auprès de ceux des mauristes : principalement Dom Calmet, grand exégète et historien de la Lorraine, abbé de Senones, l’un des premiers érudits de son temps ; puis Alliot et Petit-Didier, spécialisés dans l’étude de la Bible. Il fallut la Révolution pour supprimer la Congrégation.

La Congrégation Lorraine de Saint-Vanne exerça bientôt une influence salutaire sur les monastères français et trouva en France des appuis éminents, au premier rang desquels il faut placer le prieur du collège de Cluny à Paris, Laurent Bénard, et Dom Anselme Rolle de la Congrégation des Exemps. Le premier monastère français qui appela la réforme de Saint-Vanne fut l’abbaye de Saint-Augustin de Limoges. En 1614 Saint Germain-des-Prés demanda son agrégation. Bientôt suivirent Nouaillé près de Poitiers (1615), Saint-Faron de Meaux et Jumièges (1617). Ces abbayes entraient dans la congrégation Lorraine. Mais comme le gouvernement ne voyait pas d’un bon œil que les monastères du royaume s’unissent à une congrégation étrangère, il fut décidé au chapitre général de 1618 que les monastères français de l’Union se grouperaient en une congrégation spéciale. On compta pour débuter cinq monastères : Saint Augustin de Limoges, Saint-Julien de Nouaillé, Saint-Faron de Meaux, Jumièges, et les Blancs-Manteaux de Paris. Ce fut, à partir de 1618, la Congrégation « gallicana Parisiensis ». Dès 1621 la nouvelle fondation fut approuvée par Grégoire XV sous le nom de Congrégation de Saint-Maur.

Prières

Oratio

Omnípotens sempitérne Deus, qui per beátos pontífices Vitónum et Hydúlphum Ecclésiam tuam lætificásti, et órdinis monástici splendórem restituére dignátus es : fac nos opem eórum iúgiter experíri, et præmia cónsequi sempitérna. Per Dóminum.

Oraison

Dieu, tout-puissant et éternel qui par les bienheureux Pontifes Vanne et Hydulphe avez réjoui votre Église, et qui avez daigné restituer la splendeur de l’Ordre monastique : faites-nous ressentir continuellement les effets de leur aide et obtenir la récompense éternelle. Par Jésus-Christ, notre Seigneur.

Prière de Dom Claude Martin (1619-1696)

Ô Bonté infinie ! Que votre patience m’étonne et me confond ! Ô mon Dieu ! Elle m’étonne, parce que je vois que tous les hommes la fatiguent et que personne ne la soulage ; et elle me confond, parce que je lui suis à charge moi-même, par mes dérèglements, par mes infidélités, par mes péchés. Cet excès de bonté, ô mon Dieu, me porte à faire trois résolutions. La première, puisque tous les hommes exercent votre patience, de la soulager de tout mon possible, en menant avec le secours de votre grâce une vie toute pure, et – s’il est possible – toute angélique et toute céleste. La seconde, de me mettre entre Vous et les pécheurs, comme Abraham se mit entre vous et les villes impures de Sodome et de Gomorrhe, afin d’empêcher, par la prière et par le sacrifice, que leurs fautes ne montent jusqu’à vous et que votre colère ne descende jusqu’à eux. Et la troisième, de prendre votre patience pour la règle de la mienne, afin que, comme vous supportez mes fautes avec une douceur digne de votre infinie Bonté, je supporte aussi avec une parfaite soumission les peines et les privations que votre Providence m’envoie, et me fait ressentir dans le service que vous demandez de moi. Ainsi soit-il.

Antienne

Ã. Isti sunt duæ olívæ, et duo candelábra lucéntia ante Dóminum : habent potestátem cláudere cælum núbibus et aperíre portas eius, quia linguæ eórum claves cæli factæ sunt.

Ã. Ceux-ci sont deux oliviers et deux flambeaux qui brillent devant le Seigneur ; ils ont le pouvoir de fermer le ciel aux nuées, et d’ouvrir ses portes, parce que leurs langues sont devenues les clefs du ciel.

Antienne grégorienne “Isti sunt duae olivae”

Antienne Isti sunt duae olivae

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1er novembre — Toussaint

1er novembre — Toussaint

1er novembre — Toussaint

La Punchline de Saint Benoît

Ne pas vouloir être dit saint avant de l’être,
mais l’être d’abord, afin de l’être dit avec plus de vérité.

Les Béatitudes (Mt 5, 1-12) : commentaire de Dom Paul Delatte

À la vue des foules qui se pressent pour l’entendre, le Seigneur est descendu du sommet de la montagne où, selon saint Marc et saint Luc, il a choisi les Douze : il se trouve sur une vaste croupe ou une sorte de plateau ; les disciples sont tout près de lui, au premier plan. C’est vers eux qu’il lève les yeux, dit saint Luc, c’est à l’intelligence apostolique qu’il confie tout d’abord la vérité surnaturelle, avec charge de transmission et d’interprétation officielle ; c’est à eux que s’applique à la lettre un grand nombre des enseignements du Seigneur, surtout dans la rédaction de saint Luc : néanmoins, l’un et l’autre évangéliste laissent bien entendre que le Seigneur s’adresse à toute âme de bonne volonté. On nous dit d’abord à quelles conditions le Royaume de Dieu se réalise en nous et devient nôtre ; ce sera le portrait authentique du disciple de la Loi nouvelle. Chose remarquable : c’est de bonheur que l’on nous parle en premier lieu. Et c’est précisément ce que tous souhaitent uniquement : « Quel est l’homme qui veut la vie et désire des jours heureux ? » demande saint Benoît, avec le Psaume 33. Et chacun s’empresse de répondre, comme dans la règle monastique : « C’est moi ! » Dès lors, voici les dispositions intérieures qui nous feront entrer dans la région du vrai bonheur. Ne regardons pas à leur caractère très imprévu : les exigences du Royaume de Dieu bravent, il est vrai, la pensée commune, elles démentent les idées courantes ; mais qu’importe, pour ceux qui croient en Dieu.

« Bienheureux les pauvres. » C’est la richesse qui crée une différence extérieure entre les hommes. La vie, le manger, le boire, le vêtement et, comme conséquence, l’attitude générale d’un homme dans le monde, tout cela est défini par sa fortune. L’argent est principe de puissance et d’action universelle. Israël, comme toute société, était distribué en deux classes : les riches, les pauvres. Les premiers sont les heureux du siècle : ils portent beau, leur allure est fière et souveraine. Les pauvres, en style biblique, ce sont les humbles, les petits, les méprisés, les délaissés, les inaperçus, ceux qui ne font point figure. Souvent l’Ancien Testament s’est préoccupé d’eux et leur a promis l’assistance particulière de Dieu : Quia liberabit pauperem a potente, et pauperem cui non erat adiutor ; parcet pauperi et inopi, et animas pauperum salvas faciet (Ps 71, 12-13). Bienheureux les pauvres, dit à son tour le Seigneur, — les pauvres par l’esprit, précise saint Matthieu. Cela ne veut pas dire : heureux les pauvres d’esprit, c’est-à-dire les ignorants et les sots. S’agit-il des pauvres à qui l’esprit de Dieu a inspiré la pauvreté ? ou bien de ceux qui ont eu, comme le philosophe Cratès, assez d’esprit pour comprendre que la richesse est une servitude, et qui ont voué toute leur vie à la pauvreté volontaire ? Sans exclure aucune explication orthodoxe, nous croyons que le sens obvie et naturel est celui-ci : bienheureux ceux qui sont vraiment humbles. Dieu ne béatifie point la pauvreté matérielle : on n’est pas riche ou pauvre à son gré. Mais comme les formes extérieures de la pauvreté sont matière à contrefaçon, le Seigneur, afin de déjouer toute hypocrisie, dit : pauperes spiritu ; non les humbles de simulation et d’apparence, mais les humbles de réalité, de cœur, d’esprit. Bienheureux êtes-vous, pauvres, parce que le Royaume des cieux est à vous, il vous appartient dès maintenant. C’est à vous que vient le roi du ciel. Les humbles n’ont rien, ne désirent rien ; ils sont vraiment pauvres. Non, ils sont vraiment riches : « Comme n’ayant rien et cependant possédant tout », dira l’Apôtre (2 Cor 6, 10). Au cœur de chacun d’eux, la joie de l’éternité est constituée déjà. Et pour ceux qui écoutaient le Seigneur sur la montagne, le Royaume des cieux, c’était l’ensemble complexe et mystérieux des bénédictions qu’apportait au monde le règne messianique. Les humbles dans leur humilité possèdent un titre irrécusable à cet héritage du Christ, et les humbles seuls. Notre-Dame avait proclamé cette loi providentielle, dès la première heure de l’Incarnation : Deposuit potentes de sede et exaltavit humiles ; esurientes implevit bonis et divites dimisit inanes.

Saint Matthieu énumère huit béatitudes, saint Luc quatre seulement, les 1ère , 3ème , 4ème et 8ème de saint Matthieu. Il faut noter que ces béatitudes ne désignent pas différentes catégories de personnes, mais les conditions intérieures moyennant lesquelles chacun devient membre du nouveau Royaume. Au fond, ce n’est peut-être qu’une seule disposition psychologique, mais présentée dans chaque béatitude sous un angle spécial et sous une forme doucement progressive. — « Bienheureux les doux. » Les humbles n’ont pas de pouvoir ; leur condition chétive les expose à l’oppression. Que de fois l’Ancien Testament est-il obligé de recommander aux juges, trop facilement prévaricateurs, le respect des petits, de la veuve et de l’orphelin ! Lorsque le roi du royaume nouveau a été prédit par Isaïe, le prophète a dit de lui : « Il ne jugera point d’après ce qui tombe sous les regards, et il ne prononcera point d’après ce qui frappe les oreilles ; mais il jugera les petits avec équité et fera droit aux humbles de la terre » (Is 11, 3-4). Mais ici, le Seigneur va plus loin : par un solennel démenti aux coutumes du siècle, il proclame le bonheur des doux et des humbles, ainsi que leur récompense spéciale : « Ils posséderont la terre ». Le Psaume 36 avait dit déjà : « Ceux qui espèrent dans le Seigneur auront la terre en partage… Les doux posséderont la terre et goûteront une abondance de paix… Les justes posséderont la terre et y habiteront à jamais ».

Comment ceux qui sont doux posséderont-ils la terre? Nous avons lu quelque part qu’ils posséderont et la terre qui les porte, et la terre qu’ils portent, et la terre qu’ils espèrent, terram quam terunt, terram quam gerunt, terram quam sperant. Alors que, habituellement, ce sont les forts et les violents qui emportent tout, désormais c’est aux doux que sera soumis le monde. Il y a une contagion de la douceur qui dompte même les bêtes féroces : on dit que les lions respectent les enfants. C’est vers les doux qu’ira même la richesse de ce monde. Et nous ne pouvons nous empêcher de songer à cette puissance terrienne de l’ordre monastique, que les siècles avaient constituée lentement en faveur des humbles et des pauvres volontaires : comme si toute richesse, même matérielle, tendait de son propre poids à retourner vers Dieu. — Les doux seront maîtres chez eux, maîtres de leur corps : terram quam gerunt. Leur douceur conjurera les secousses, les révoltes, les retours offensifs de la sensibilité : elle éliminera tout ce que le péché a laissé en nous de malade ou d’impur. Il existe une affinité singulière et comme une sorte de parenté entre la douceur et la pureté. Aussi l’Église nous fait-elle chanter : Virgo singularis, Inter omnes mitis. Nos culpis solutos Mites fac et castos. (Hymne Ave Maris Stella).

Et pourtant il semble que le sens véritable et rigoureux de l’expression « posséder la terre », qui revient souvent dans la Bible, soit celui de l’entrée dans la vraie terre promise, dans le royaume messianique, du temps et de l’éternité. Les doux ont un droit réel à cet héritage ; aussi le texte original signifie-t-il : posséder par droit d’héritage. Remarquons en passant la forme symbolique et imprécise sous laquelle sont exprimés les biens éternels, et combien le ton et l’expression sont adaptés à des Juifs, appropriés aussi à corriger dans leur esprit toutes les limitations, tous les préjugés que leur avait inspirés l’éducation des scribes. Le Seigneur réforme sans bruit les idées courantes ; il habitue le peuple à une conception plus exacte du caractère et du rôle du Messie.

La troisième béatitude poursuit la pensée des deux premières. Les pauvres, les petits, les méprisés, n’ont point de part aux joies d’ici-bas. Mais, dira quelqu’un, pourquoi cette expression « ceux qui pleurent »? Nous pourrions observer d’abord que les langues sémitiques manquent souvent de nuances : elles procèdent par voie d’affirmations nettes, un peu crues, laissant au lecteur intelligent le soin de prendre les mots selon leur acception convenable. En voici deux exemples. Dieu dit par Malachie (1, 2-3), et sa parole a été citée par l’Apôtre (Rm 9, 13) : « J’ai aimé Jacob, mais j’ai haï Esaü ». Ce n’est pas que le Seigneur ait réellement détesté Esaü, mais on veut dire qu’il a eu de la prédilection pour Jacob et qu’il a aimé Esaü moins que son frère. De même, dans la Genèse (43, 34), il est rapporté que les frères de Joseph, avec Benjamin, lors de leur second voyage en Égypte, furent reçus à la table de Joseph : biberuntque et inebriati sunt cum eo ; ce qui, entendu matériellement et à la lettre, signifierait : ils burent et s’enivrèrent avec lui ! Ceux qui pleurent ne sont pas seulement ceux qui versent des larmes, mais au sens premier et littéral, ceux-là mêmes dont nous ont parlé les deux premières béatitudes, ceux qui, conscients de leur petitesse et de leur pauvreté, sont en proie à l’anxiété ; l’inquiétude, le souci du pain quotidien les suivent habituellement. Leur part de bonheur est petite. On ne leur voit jamais cette joie épanouie et large des heureux de la terre. Dans la pensée du Seigneur, ceux qui pleurent, ce sont tous les hommes, riches ou pauvres, que les mondains regardent comme privés de la joie, ou comme ennemis de la joie, à raison même de la gravité de leur vie et de leur morale austère. Et nous entendrons plus tard le Seigneur répéter aux siens : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous serez dans l’affliction et les larmes, tandis que le monde se réjouira ; vous connaîtrez la tristesse, mais cette tristesse se changera en joie » (Io 16, 20).

Ils seront consolés, Dieu leur réserve une compensation digne de sa tendresse. Aussi bien, les aspérités mêmes de leur vie les guident; elles leur sont une invitation à placer ailleurs qu’ici-bas le centre de gravité de leur âme. Il est naturel de se retirer d’une région reconnue inhabitable. Détachés du monde, ils deviennent ainsi libres d’aller vers Dieu et de s’attacher à lui. Et ils sont heureux déjà : Quasi tristes, semper autem gaudentes (2 Cor 6, 10). Ce sont même, au fond, les seuls vraiment heureux : et leur physionomie extérieure en témoigne. On voit maintenant pourquoi nous avons cru devoir atténuer ou plutôt élargir la signification de cette expression : ceux qui pleurent. De même qu’il ne s’agit ici que d’humilité vraie et intérieure, de pauvreté spirituelle, il n’est aussi question que d’une tristesse dont l’origine est surnaturelle. Ainsi nous avons réservé une place, dans cette béatitude, à ceux qui n’ont et ne désirent aucune satisfaction mondaine, et de qui pourtant la vie n’est que joie profonde : eux aussi pleurent parfois, mais c’est de trop de bonheur.

« Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice ». Comprenons d’abord ce que c’est que justice. Volontiers, nous rappellerions que la vie, selon des philosophes, a pour condition première une adaptation, une sorte de coordination harmonieuse du vivant avec certaines conditions données. Plus cette adaptation est étendue et parfaite, plus la vie est puissante. Lorsqu’il y a, pour un germe vivant, accord entre ce qu’il est et les circonstances d’humidité, de chaleur, de climat, du sol où il a été jeté, c’est alors que sa vie se développe en entier. Il est en état de justice, d’ajustement exact. Transportons ce concept dans l’ordre de choses qui nous occupe. La justice a toujours été considérée en Judée comme une équation entre la vie de l’homme et la volonté de Dieu, telle que celle-ci avait été formulée aux jours de l’Alliance. La justice prêchée par le Seigneur sera encore adaptation et équation entre notre volonté et la volonté divine. Il ne s’agira plus d’une conformité extérieure et rituelle, d’une justice de façade ou de minuties, mais bien d’une adhésion intime, d’un acte vital et profond. Aussi ne pourra-t-on jamais s’applaudir, comme le pharisien, du résultat acquis, et s’y reposer. Cette justice devient la nourriture et le breuvage de notre être moral. Et de même que dans l’ordre naturel notre vie ne se maintient et ne se développe qu’à la condition que nous mangions souvient et, nous assure la biologie, toujours ; de même l’âme du chrétien aime la justice comme on aime les aliments qui nous font vivre. « Ma nourriture, a dit le Seigneur lui-même, est d’accomplir la volonté de celui qui m’a envoyé ». La quatrième béatitude vise donc les âmes uniquement désireuses de conformité à la volonté de Dieu ; non contentes d’éliminer toute œuvre et toute disposition en désaccord avec lui, elles cherchent la loyauté, la vérité absolue de la vie, l’unité de pensée, de vouloir et d’action avec Celui qui les meut intérieurement. « Car ils seront rassasiés ». L’avidité des mondains ne sera jamais comblée ; il ne leur restera de leurs fausses joies qu’amertume et dégoût, regret et remords ; mais ceux qui ont faim et soif de justice, d’union étroite avec le Seigneur, ceux-là seront rassasiés, au delà de tout ce qu’ils peuvent pressentir. Dieu n’attendra même pas l’éternité pour donner à leur cœur plus d’allégresse qu’il n’en peut contenir. La béatitude est accordée déjà au désir.

Nous arrivons au milieu des béatitudes. Il semble bien que les quatre premières de la série sont unies ensemble comme des degrés successifs, et qu’elles ont un caractère commun d’élimination, d’affranchissement. Elles applaudissent à l’évanouissement de ce qui fait le bonheur selon le monde, et la quatrième paraît avoir consommé la séparation d’avec toutes les joies inférieures pour attacher l’âme à un seul désir, à la faim et à la soif du Royaume de Dieu. On dirait que dans l’intervalle de la quatrième à la cinquième, il s’est passé un fait qui assure un caractère positif aux béatitudes suivantes, et que l’âme puise dans un trésor secret tout le bien qu’elle va réaliser désormais. L’égoïsme est éliminé. Maintenant l’âme est en parenté avec toute misère. Elle prélève sans fin sur sa richesse débordante pour faire des heureux autour d’elle. « Bienheureux les miséricordieux ». Nous devons prendre le mot miséricorde dans toute l’étendue de son acception. C’est la compassion affectueuse, la bienveillance qui s’incline vers toute souffrance et tout chagrin. C’est aussi la charité active qui s’emploie à adoucir, à aider, à calmer par l’aumône sprituelle ou. matérielle la détresse que nous trouvons autour de nous. C’est surtout la disposition au pardon, l’oubli facile de toutes les injures ; oubli d’autant plus aisé que rien ne saurait atteindre l’âme chrétienne lorsqu’elle se tient fixée dans son centre. Nul ne peut nous nuire vraiment, parce que nul ne peut toucher à Dieu, ni toucher à notre âme, ni toucher au lien qui existe entre elle et Dieu. Il n’y a jamais motif à rancune ni à un souvenir amer. Nous n’avons pas d’ennemis. Au fond, notre seul ennemi, c’est nous-même, lorsque nous nous éloignons du Seigneur.

La sixième béatitude est celle des cœurs purs. Nous devons bien l’entendre. Trop souvent, elle est limitée à l’exclusion des fautes grossières. Il est clair pourtant, qu’il ne suffit pas, pour voir Dieu, d’avoir retranché de soi toute tendance impure ; on dit même, et avec raison, que le Seigneur déteste l’orgueil plus encore que l’impureté. Les béatitudes sont à double fin : elles démentent et les préjugés mondains et les préjugés des Juifs. Ce n’est plus de pureté extérieure et légale, dit le Seigneur à ces derniers, qu’il est question aujourd’hui. Il ne s’agit plus d’appliquer scrupuleusement les formules familières aux scribes : « Ne prenez pas ceci, ne goûtez pas cela ! » (Col 2, 21). Il est vraiment trop simple de se laver les mains, de se purifier le corps entier par des ablutions multiples, de faire passer dans l’eau les plats, les coupes et toute la vaisselle (Mt 15, 1-20 ; 23, 23-28). Désormais, l’absence des souillures légales (emundatio carnis, Hbr 9, 13) doit faire place à la pureté intérieure et morale. Il s’agit de préparer en nous le sanctuaire du Dieu vivant.

Mais encore, en quoi consiste cette pureté? Un métal est pur lorsqu’il y a chez lui absence d’alliage, élimination des scories, évanouissement de tout ce qui n’appartient pas à son unité et à sa parfaite simplicité. De même, la pureté morale est la disparition de tout compromis avec ce qui est dangereux, égoïste ou personnel. C’est l’adieu donné à ce qui n’est pas la substance de notre vie spirituelle, à tout ce qui ne se réclame pas de la foi, de l’espérance, de la charité. C’est la sainte et jalouse virginité de l’âme, se traduisant dans notre activité tout entière et jusque dans la sensibilité. Il faut s’arrêter devant cette béatitude : elle est incomparablement aimable. Est-ce qu’elle ne résume pas toutes les autres? C’est la béatitude de la délicatesse, et, répétons-le, de la virginité. Elle est très étroitement liée à la mortification des sens, et en particulier de la vue. La plus rapide, la plus inoffensive des expériences, croit-on, mais aussi la plus périlleuse, se trouve dans le regard. Bienheureux ceux qui ne regardent rien, qui ont immolé toute curiosité, et qui ont perdu souci de voir ou d’être vus ; ceux qui réservent leur regard pour la beauté du Seigneur lorsqu’elle se manifestera. Ils en jouissent déjà ; les cœurs purs, et eux seuls, font dès ici-bas connaissance avec Dieu.

Rappelons-nous que les quatre dernières béatitudes ont un caractère de plénitude et de rejaillissement. Cela est manifeste pour la septième. Le Seigneur a béatifié déjà la douceur et la miséricorde ; mais les pacifiques ajoutent quelque chose à toutes les conditions reconnues jusqu’ici. Ce ne sont pas seulement des paisibles et des compatissants ; ce sont des hommes qui font la paix, qui sèment la paix autour d’eux : Homines divites in virtute, pulchritudinis studium habentes, pacificantes in domibus suis (Eccl 44, 6). Grâce à Dieu, le bien, autant au moins que le mal, a son influence, et tout homme est une force d’orientaion. Le Royaume des cieux nous est révélé comme un séjour de paix avec Dieu, de paix avec le prochain, de paix avec soi : tranquillité dans l’ordre et subordination à Dieu. Le roi de cet empire nouveau est un roi pacifique ; il n’a apporté la guerre et le glaive que contre les éléments de désordre et de division. Mais les pacifiques ne seront pas seulement citoyens de ce royaume, l’évangile ne dit même plus d’une façon voilée, comme pour les doux, qu’ils posséderont en héritage la terre promise ; il les appelle les fils de Dieu : filii Dei vocabuntur. Non seulement on leur donnera le nom de fils, mais ils seront en réalité tout ce que ce nom signifie (1 Io 3, 1). Non seulement ils seront tels, mais ce sera visible aux yeux de tous. Il y aura dans toute leur vie, même extérieure, quelque chose de souple, d’aisé, de docile, qui leur viendra de l’influence et de la motion secrète de l’Esprit du Père et du Fils : Quicumque enim Spiritu Dei aguntur, ii sunt filii Dei (Rm 8, 14). Nous reconnaissons la relation que soutient la béatitude des pacifiques avec la plénitude de la vie surnaturelle.

La huitième béatitude semble plus inattendue que les autres. Des hommes qui se retirent du monde, diminuent d’autant les âpretés de la concurrence terrestre et renoncent à toute rivalité, des hommes de miséricorde et de paix, qui ne font que du bien, comment pourraient-ils avoir quelque chose à craindre ? Ils n’entrent en conflit avec personne, ils sont inoffensifs : pourquoi les poursuirait-on? On les aimera, sans doute ; tout au plus les négligera-t-on : mais quel motif pourrait-on avoir de les haïr ? Et pourtant l’histoire nous a appris que les hommes supportent difficilement un esprit qui n’est pas le leur et surtout des principes supérieurs à leurs principes. Alors il y aura des persécutions, endurées « pour la justice », à raison du seul attachement de plusieurs à Dieu et à sa volonté. La haine du bien et de Dieu peut sembler inexplicable, mais elle sera ; il y aura des gens qui ne seront poursuivis et molestés que pour leur vertu, à cause de celui qu’ils représentent et qu’ils servent. Les prétextes ne manqueront jamais, d’ailleurs, aux persécuteurs ; et ce sera au nom de la justice elle-même ou de la loi que les justes auront à souffrir : « L’heure vient, dira plus tard le Seigneur, où quiconque vous fera mourir s’imaginera offrir un sacrifice à Dieu » (Io 16, 2).

Mais comment expliquer la béatitude attribuée aux persécutés? C’est que la souffrance n’est qu’une étape d’un instant ; c’est que la promesse divine est telle qu’elle efface toute crainte : « Il n’y a nulle proportion entre les souffrances du temps présent et la gloire future qui sera manifestée en nous » (Rm 8, 18). Mais la huitième béatitude a une autre acception encore. Remarquons qu’elle est conçue, au point de vue de sa récompense, absolument comme la première ; dans l’un et l’autre cas, il est dit : « Car le Royaume des cieux est pour eux ». Il n’y a de bonheur qu’à s’attacher à Dieu ; et nous devons considérer comme une bonne fortune tout ce qui nous porte vers lui. Déjà, les trois premières béatitudes avaient été pour nous comme une mise en demeure de désirer la justice et de nous tourner vers la source de l’unique vraie joie. Or, voici qu’au terme des béatitudes positives, nous rencontrons une précaution divine de même nature. Dieu est tellement jaloux de nous garder près de lui qu’il sème l’amertume sur tout ce que notre pauvre cœur pourrait chercher hors de lui. Il crée autour de nous la haie épineuse des persécutions, afin que nulle tentation ne nous vienne de nous appuyer et de nous reposer sur les choses créées. C’est une coalition universelle contre nous. Mais tout, même l’ennemi, devient ainsi l’auxiliaire de Dieu. « La crainte et l’épouvante ont fondu sur moi, chantait le Psalmiste, et les ténèbres m’ont enveloppé. Alors j’ai dit : Qui me donnera des ailes comme à la colombe, afin que je m’envole et m’établisse dans la paix ! » (Ps 54, 6-7).

Les paroles qui suivent, en saint Matthieu, ne sont pas une nouvelle béatitude, mais le développement de la dernière, avec un dessein de transition, avec un souci d’application personnelle aux apôtres. Ce même développement constitue la quatrième béatitude chez saint Luc. Le Seigneur a jugé bon d’insister, à raison de l’excellence de cette béatitude, parce qu’elle est la plus assurée, et aussi la moins tolérable. Vous serez heureux, vous êtes heureux, lorsque la haine des hommes s’acharne contre vous, lorsqu’ils vous maudissent et vous persécutent, lorsqu’ils vous excommunient, lorsqu’ils sèment contre vous toutes sortes d’imputations mensongères, qu’ils rejettent votre nom comme infâme. Supportez tout cela à, cause de moi, à cause de votre appartenance au Fils de l’homme. On vous traite comme on m’a traité. Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; pourquoi vous étonner de partager mon sort? (cf. Io 15, 18 ; 16, 4). Au lieu de vous étonner, ce jour-là, vous tressaillerez de joie (Act 5, 41) : parce que votre récompense sera grande dans les cieux. Il s’agit tout à la fois et du royaume définitif de l’éternité, et du royaume tel qu’il se trouve déjà réalisé sur terre. « Je surabonde de joie dans toutes les tribulations », disait quelqu’un qui avait compris cette doctrine et enduré la persécution (2 Cor ; Rm 5, 3-5 ; 8, 35-39 ; etc.). La souffrance du disciple est comme le supplément et l’achèvement de celle du Maître (Col 1, 24).

Aussi bien, la loi est universelle : successeurs des prophètes, vous aurez le sort des prophètes. La gloire et le bonheur de la créature, c’est d’être à Dieu à ce point que Dieu puisse user d’elle souverainement et, sans crainte de contestation ni de révolte ni même de surprise, porter jusqu’à l’extrême toutes les exigences de son pouvoir absolu. Or, les apôtres succédaient aux prophètes, ils héritaient de leurs fonctions ; ils devaient achever cette œuvre d’élargissement qui avait été la mission des prophètes et réaliser ce qu’ils avaient promis. Ils entraient ainsi en participation de la condition des prophètes, devant Dieu et devant les hommes. La rivalité est fatale entre le bien et le mal ; l’humanité est à l’image de l’homme ; la lutte intime du bien et du mal en chacun se traduira dans la vie sociale. Comme les pères ont persécuté les prophètes, les enfants persécuteront les héritiers des prophètes. Le Seigneur parle de toutes ces choses avec tranquillité, avec une sorte de négligence, comme s’il disait : ce n’est rien, ne sortez pas, pour si peu, de votre paix et de votre joie. Et il s’adresse aux apôtres, sans doute, mais en même temps à tout chrétien. La loi est pour tous la même : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ Jésus auront à souffrir persécution » (2 Tm 3, 12).

Dans saint Luc, quatre malédictions répondent aux béatitudes (cf. Is 55, 13-16). Elles signalent les conditions morales qui excluent du Royaume des cieux. Bienheureux les pauvres, les affamés, les persécutés ; mais malheur à vous, les riches, car vous avez votre consolation. Vous vous suffisez ; Dieu vous est devenu inutile ; votre argent est votre pourvoyeur et votre providence (Iac 5, 1-6). Malheur à vous qui êtes rassasiés et repus (Is 5, 22) ; car vous connaîtrez la faim. Malheur à vous qui riez maintenant, car vous gémirez et verserez des larmes. Malheur, lorsque tous les hommes diront du bien de vous : car c’est ainsi qu’agissaient vos pères à l’égard des faux prophètes. — Et ainsi, les malédictions, comme les béatitudes, s’achèvent par la prophétie de l’attitude hostile que prendra le monde dans le conflit maintenant ouvert au sujet du Royaume de Dieu.

Prières

Oratio

Omnípotens sempitérne Deus, qui nos ómnium Sanctórum tuórum mérita sub una tribuísti celebritáte venerári : quæsumus ; ut desiderátam nobis tuæ propitiatiónis abundántiam, multiplicátis intercessóribus, largiáris. Per Dóminum.

Oraison

Dieu tout-puissant et éternel, qui nous avez accordé de célébrer dans une même solennité les mérites de tous vos Saints ; faites, nous vous en prions, que nos intercesseurs étant multipliés, une abondante effusion de vos miséricordes, objet de nos désirs, nous vienne de votre munificence.

Prière de Saint Jean Chrysostome (345-407)

Ô mon âme, viens et contemple ; un spectacle bien plus imposant t’appelle ; viens contempler une assemblée qui se compose de bienheureux, de qui la magnificence des vêtements l’emporte sur tout l’éclat du soleil. Ce qui le forme, ce sont les anges, les archanges, les trônes, les dominations, les principautés et les puissances. De là, élève-toi jusqu’au Monarque de cet empire, et contemple si tu peux cette ravissante Majesté. Voilà les félicités qui t’attendent. Et parce qu’il t’en coûterait quelque effort d‘un moment, tu renoncerais à sa possession ? Ah ! Fallût-il mourir mille fois à chaque journée, pour le bonheur de contempler Jésus-Christ dans sa gloire, d’être au nombre des Saints ; non, les maux les plus cruels, mille morts ne sont rien.

Ô mon Dieu, si à la vue de votre Transfiguration, Pierre s’écrie : « Seigneur, nous sommes bien ici » ; si la grossière image de la gloire future absorbe toutes les pensées de l’Apôtre, si elle le pénètre des plus vives impressions de joie et de félicité, que sera-ce de la réalité même ? Que sera-ce quand vos tabernacles, s’ouvrant tout entiers, vous découvriront à nos regards ; non plus à nos hommages, mais à notre amour et à nos embrassements ; non plus à travers les voiles de l’énigme, mais tel que vous êtes, et face à face ? Faites-moi donc la grâce, ô mon Dieu, de vous aimer sur la terre avec tant d’ardeur, que je mérite un jour de jouir, avec les bienheureux, du bonheur de vous voir et de vous posséder dans votre immortel triomphe. Ainsi soit-il.

Antienne

Ã.Angeli, Archángeli, Throni et Dominatiónes, Principátus et Potestátes, Virtútes cælórum, Cherubin atque Seraphim, Patriárchæ et Prophétæ, sancti legis Doctóres, Apóstoli omnes, Christi Mártyres atque Confessóres, Vírgines Dómini, Anachorétæ, Sanctíque omnes, intercédite pro nobis.

Ã. Anges, Archanges, Trônes et Dominations, Principautés et Puissances, Vertus, Chérubins et Séraphins, Patriarches et Prophètes, saints Docteurs de la loi, tous les Apôtres, Martyrs du Christ et Confesseurs, Vierges du Seigneur, Anachorètes, et tous les Saints, intercédez pour nous.

Antienne grégorienne “Angeli, Archangeli”

Antienne Angeli, Archangeli (Toussaint)

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8 décembre — Immaculée Conception de Marie

8 décembre — Immaculée Conception de Marie

8 décembre — Immaculée Conception de Marie

La Punchline de Saint Anselme

Dieu est le Père des choses créées ; Marie est la mère des choses recréées.

Sermon

Extraits de la Bulle « Ineffabilis Deus » du Pape Pie IX (8 décembre 1954)

Marie fut toujours sans aucune tache.

Dieu ineffable, dont les voies sont miséricorde et vérité, dont la volonté est toute‑puissante, dont la sagesse atteint d’une extrémité jusqu’à l’autre avec une force souveraine et dispose tout avec une merveilleuse douceur, avait prévu de toute éternité la déplorable ruine en laquelle la transgression d’Adam devait entraîner tout le genre humain ; et dans les profonds secrets d’un dessein caché à tous les siècles, il avait résolu d’accomplir, dans un mystère encore plus profond, par l’incarnation du Verbe, le premier ouvrage de sa bonté, afin que l’homme, qui avait été poussé au péché par la malice et la ruse du démon, ne pérît pas, contrairement au dessein miséricordieux de son Créateur, et que la chute de notre nature, dans le premier Adam, fût réparée avec avantage dans le second. Il destina donc, dès le commencement et avant tous les siècles, à son Fils unique, la Mère de laquelle, s’étant incarné, il naîtrait, dans la bienheureuse plénitude des temps ; il la choisit, il lui marqua sa place dans l’ordre de ses desseins ; il l’aima par‑dessus toutes les créatures, d’un tel amour de prédilection, qu’il mit en elle, d’une manière singulière, toutes ses plus grandes complaisances. C’est pourquoi, puisant dans les trésors de sa divinité, il la combla, bien plus que tous les esprits angéliques, bien plus que tous les saints, de l’abondance de toutes les grâces célestes, et l’enrichit avec une profusion merveilleuse, afin qu’elle fût toujours sans aucune tache, entièrement exempte de l’esclavage du péché, toute belle, toute parfaite et dans une telle plénitude d’innocence et de sainteté qu’on ne peut, au‑dessous de Dieu, en concevoir une plus grande, et que nulle autre pensée que celle de Dieu même ne peut en mesurer la grandeur.

Raison de ce privilège : la maternité divine.

Et certes, il convenait bien qu’il en fût ainsi, il convenait qu’elle resplendît toujours de l’éclat de la sainteté la plus parfaite, qu’elle fût entièrement préservée, même de la tache du péché originel, et qu’elle remportât ainsi le plus complet triomphe sur l’ancien serpent, cette Mère si vénérable, elle à qui Dieu le Père avait résolu de donner son Fils unique, Celui qu’il engendre de son propre sein, qui lui est égal en toutes choses et qu’il aime comme lui‑même, et de le lui donner de telle manière qu’il fût naturellement un même unique et commun Fils de Dieu et de la Vierge ; elle que le Fils de Dieu lui‑même avait choisie pour en faire substantiellement sa Mère ; elle enfin, dans le sein de laquelle le Saint‑Esprit avait voulu que, par son opération divine, fût conçu et naquît Celui dont il procède lui-même.

L’Immaculée Conception est une vérité révélée.

Cette innocence originelle de l’auguste Vierge, si parfaitement en rapport avec son admirable sainteté et avec sa dignité suréminente de Mère de Dieu, l’Église catholique qui, toujours enseignée par l’Esprit‑Saint, est la colonne et le fondement de la vérité, l’a toujours possédée comme une doctrine reçue de Dieu même et renfermée dans le dépôt de la révélation céleste. Aussi, par l’exposition de toutes les preuves qui la démontrent, comme par les faits les plus illustres, elle n’a jamais cessé de la développer, de la proposer, de la favoriser chaque jour davantage. C’est cette doctrine, déjà si florissante dès les temps les plus anciens, et si profondément enracinée dans l’esprit des fidèles, et propagée d’une manière si merveilleuse dans tout le monde catholique par les soins et le zèle des saints évêques, sur laquelle l’Église elle‑même a manifesté son sentiment d’une manière si significative, lorsqu’elle n’a point hésité à proposer au culte et à la vénération publique des fidèles la Conception de la Vierge. Par ce fait éclatant, elle montrait bien que la Conception de la Vierge devait être honorée comme une Conception admirable, singulièrement privilégiée, différente de celle des autres hommes, tout à fait à part et tout à fait sainte puisque l’Église ne célèbre de fêtes qu’en l’honneur de ce qui est saint. C’est pour la même raison, qu’empruntant les termes mêmes dans lesquels les divines Écritures parlent de la Sagesse incréée et représentent son origine éternelle, elle a continué de les employer dans les offices ecclésiastiques et dans la liturgie sacrée, et de les appliquer aux commencements mêmes de la Vierge ; commencements mystérieux, que Dieu avait prévus et arrêtés dans un seul et même décret, avec l’Incarnation de la Sagesse divine.

L’enseignement ordinaire de l’Église sur l’Immaculée Conception.

Mais encore que toutes ces choses connues, pratiquées en tous lieux par les fidèles, témoignent assez quel zèle l’Église romaine, qui est la Mère et la Maîtresse de toutes les Églises, a montré pour cette doctrine de l’Immaculée Conception de la Vierge ; toutefois, il est digne et très convenable de rappeler en détail les grands actes de cette Église, à cause de la prééminence et de l’autorité souveraine dont elle jouit justement, et parce qu’elle est le centre de la vérité et de l’unité catholique, et celle en qui seule a été garanti inviolable le dépôt de la religion, et celle dont il faut que toutes les autres Églises reçoivent la tradition de la foi.

Or, cette sainte Église romaine n’a rien eu de plus à cœur que de professer, de soutenir, de propager et de défendre, par tous les moyens les plus persuasifs, le culte et la doctrine de l’Immaculée Conception : c’est ce que prouvent et attestent de la manière la plus évidente et la plus claire tant d’actes importants des Pontifes romains, Nos prédécesseurs, auxquels, dans la personne du Prince des apôtres, Notre‑Seigneur Jésus‑Christ lui‑même a divinement confié la charge et la puissance suprême de paître les agneaux et les brebis, de confirmer leurs frères, de régir et de gouverner l’Église universelle.

L’enseignement ordinaire de l’Église par le culte liturgique.

Nos prédécesseurs, en effet, se sont fait une gloire d’instituer de leur autorité apostolique la fête de la Conception dans l’Église romaine, et d’en relever l’importance et la dignité par un office propre et par une messe propre où la prérogative de la Vierge et son exemption de la tache héréditaire étaient affirmées avec une clarté manifeste. Quant au culte déjà institué, ils faisaient tous leurs efforts pour le répandre et le propager, soit en accordant des indulgences, soit en concédant aux villes, aux provinces, aux royaumes, la faculté de se choisir pour protectrice la Mère de Dieu, sous le titre de l’Immaculée Conception ; soit en approuvant les Confréries, les Congrégations et les Instituts religieux établis en l’honneur de l’Immaculée Conception ; soit en décernant des louanges à la piété de ceux qui auraient élevé, sous le titre de l’Immaculée Conception, des monastères, des hospices, des autels, des temples, ou qui s’engageraient par le lien sacré du serment à soutenir avec énergie la doctrine de la Conception Immaculée de la Mère de Dieu. En outre, ils ont, avec la plus grande joie, ordonné que la fête de la Conception serait célébrée dans toute l’Église avec la même solennité que la fête de la Nativité ; de plus, que cette même fête de la Conception serait faite par l’Église universelle, avec une octave, et religieusement observée par tous les fidèles comme une fête de précepte, et que chaque année une chapelle pontificale serait tenue, dans notre basilique patriarcale libérienne, le jour consacré à la Conception de la Vierge.

L’enseignement doctrinal de l’Église.

Mais comme les choses du culte sont étroitement liées avec son objet, et que l’un ne peut avoir de consistance et de durée si l’autre est vague et mal défini, pour cette raison, les Pontifes romains Nos Prédécesseurs, en même temps qu’ils faisaient tous leurs efforts pour accroître le culte de la Conception, se sont attachés, avec le plus grand soin, à en faire connaître l’objet et à en bien inculquer et préciser la doctrine. Ils ont, en effet, enseigné clairement et manifestement que c’était la Conception de la Vierge dont on célébrait la fête, et ils ont proscrit comme fausse et tout à fait éloignée de la pensée de l’Église, l’opinion de ceux qui croyaient et qui affirmaient que ce n’était pas la Conception, mais la Sanctification de la Sainte Vierge que l’Église honorait. Ils n’ont pas cru devoir garder plus de ménagements avec ceux qui, pour ébranler la doctrine de l’Immaculée Conception de la Vierge, imaginaient une distinction entre le premier et le second instant de la Conception, prétendaient qu’à la vérité c’était bien la Conception qu’on célébrait, mais pas le premier moment de la Conception. Nos Prédécesseurs, en effet, ont cru qu’il était de leur devoir de soutenir et défendre de toutes leurs forces, tant la fête de la Conception de la Vierge bienheureuse, que le premier instant de sa Conception comme étant le véritable objet de ce culte. De là ces paroles d’une autorité tout à fait décisive, par lesquelles Alexandre VII (Constitution Sollicitudo omnium ecclesiarum du 8 décembre 1661), l’un de Nos Prédécesseurs, a déclaré la véritable pensée de l’Église : « C’est assurément, dit‑il, une ancienne croyance que celle des pieux fidèles qui pensent que l’âme de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, dans le premier instant où elle a été créée et unie à son corps, a été, par un privilège et une grâce spéciale de Dieu, préservée et mise à l’abri de la tache du péché originel, et qui, dans ce sentiment, honorent et célèbrent solennellement la fête de sa Conception. »

Mais surtout Nos Prédécesseurs ont toujours, et par un dessein suivi, travaillé avec zèle et de toutes leurs forces à soutenir, à défendre et à maintenir la doctrine de l’Immaculée Conception de la Mère de Dieu. En effet, non seulement ils n’ont jamais souffert que cette doctrine fût l’objet d’un blâme ou d’une censure quelconque ; mais ils sont allés beaucoup plus loin. Par des déclarations positives et réitérées, ils ont enseigné que la doctrine par laquelle nous professons la Conception Immaculée de la Vierge était tout à fait d’accord avec le culte de l’Église, et qu’on la considérait à bon droit comme telle ; que c’était l’ancienne doctrine, presque universelle et si considérable, que l’Église romaine s’était chargée elle‑même de la favoriser et de la défendre ; enfin, qu’elle était tout à fait digne d’avoir place dans la liturgie sacrée et dans les prières les plus solennelles. Non contents de cela, afin que la doctrine de la Conception Immaculée de la Vierge demeurât à l’abri de toute atteinte, ils ont sévèrement interdit de soutenir publiquement ou en particulier l’opinion contraire à cette doctrine, et ils ont voulu que, frappée pour ainsi dire de tant de coups, elle succombât pour ne plus se relever. Enfin, pour que ces déclarations répétées et positives ne fussent pas vaines, ils y ont ajouté une sanction.

La tradition des Anciens et des Pères.

Cette doctrine de l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge a toujours existé dans l’Église ; l’Église, par la très grave autorité de son sentiment, par son enseignement, par son zèle, sa science et son admirable sagesse, l’a de plus en plus mise en lumière, déclarée, confirmée et propagée d’une manière merveilleuse chez tous les peuples et chez toutes les nations du monde catholique ; mais, de tout temps, elle l’a possédée comme une doctrine reçue des Anciens et des Pères, et revêtue des caractères d’une doctrine révélée. Les plus illustres monuments de l’Église d’Orient et de l’Église d’Occident, les plus vénérables par leur antiquité, en sont le témoignage irrécusable. Toujours attentive à garder et à défendre les dogmes dont elle a reçu le dépôt, l’Église de Jésus‑Christ n’y change jamais rien, n’en retranche jamais rien, n’y ajoute jamais rien; mais portant un regard fidèle, discret et sage sur les enseignements anciens, elle recueille tout ce que l’antiquité y a mis, tout ce que la foi des Pères y a semé. Elle s’applique à le polir, à en perfectionner la formule de manière que ces anciens dogmes de la céleste doctrine reçoivent l’évidence, la lumière, la distinction, tout en gardant leur plénitude, leur intégrité, leur caractère propre, en un mot, de façon qu’ils se développent sans changer de nature, et qu’ils demeurent toujours dans la même vérité, dans le même sens, dans la même pensée.

L’antithèse de la première et de la seconde Ève.

Les Pères ont exprimé, aussi unanimement qu’éloquemment, que la très glorieuse Vierge, Celle en qui le Tout‑Puissant a fait de grandes choses, a été comblée d’une telle effusion de tous les dons célestes, d’une telle plénitude de grâces, d’un tel éclat de sainteté, qu’elle a été comme le miracle ineffable de Dieu, ou plutôt le chef‑d’œuvre de tous les miracles ; qu’elle a été la digne Mère de Dieu, qu’elle s’est approchée de Dieu même autant qu’il est permis à la nature créée, et qu’ainsi elle est au‑dessus de toutes les louanges, aussi bien de celles des anges, que de celles des hommes. C’est aussi pour cela, qu’afin d’établir l’innocence et la justice originelle de la Mère de Dieu, non seulement ils l’ont très souvent comparée avec Eve encore vierge, encore innocente, encore exempte de corruption, avant qu’elle eût été trompée par le piège mortel de l’astucieux serpent, mais, avec une admirable variété de pensées et de paroles, ils la lui ont même unanimement préférée. Eve, en effet, pour avoir misérablement obéi au serpent, perdit l’innocence originelle et devint son esclave ; mais la Vierge Bienheureuse, croissant toujours dans la grâce originelle, ne prêta jamais l’oreille au serpent, et ébranla profondément sa puissance et sa force par la vertu qu’elle avait reçue de Dieu.

Tout cela est plus clair que le jour ; cependant, comme si ce n’était point assez, les Pères ont, en propres termes et d’une manière expresse, déclaré que, lorsqu’il s’agit de péché, il ne doit pas en aucune façon être question de la Sainte Vierge Marie parce qu’elle a reçu plus de grâce, afin qu’en elle le péché fût absolument vaincu et de toutes parts. Ils ont encore professé que la Très glorieuse Vierge avait été la réparatrice de ses ancêtres et qu’elle avait vivifié sa postérité ; que le Très-Haut l’avait choisie et se l’était réservée dès le commencement des siècles ; que Dieu l’avait prédite et annoncée quand il dit au serpent : « Je mettrai l’inimitié entre toi et la femme » (Gn 3, 15), et que, sans aucun doute, elle a écrasé la tête venimeuse de ce même serpent ; et pour cette raison, ils ont affirmé que la même Vierge Bienheureuse avait été, par la grâce, exempte de toute tache du péché, libre de toute contagion et du corps, et de l’âme, et de l’intelligence ; qu’elle avait toujours conversé avec Dieu ; qu’unie avec Lui par une alliance éternelle, elle n’avait jamais été dans les ténèbres, mais toujours dans la lumière, et par conséquent qu’elle avait été une demeure tout à fait digne du Christ, non à cause de la beauté de son corps, mais à cause de sa grâce originelle.

Définition dogmatique de l’Immaculée Conception.

En conséquence, après avoir offert sans relâche, dans l’humilité et le jeûne, Nos propres prières et les prières publiques de l’Église à Dieu le Père par son Fils, afin qu’il daignât, par la vertu de l’Esprit-Saint, diriger et confirmer Notre esprit ; après avoir imploré le secours de toute la cour céleste et invoqué avec gémissements l’Esprit consolateur, et ainsi, par sa divine inspiration, pour l’honneur de la Sainte et Indivisible Trinité, pour la gloire et l’ornement de la Vierge Mère de Dieu, pour l’exaltation de la foi catholique et l’accroissement de la religion chrétienne ; par l’autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des Bienheureux apôtres Pierre et Paul et la Nôtre,

Nous déclarons, Nous prononçons et définissons que la doctrine qui enseigne que la Bienheureuse Vierge Marie, dans le premier instant de sa Conception, a été, par une grâce et un privilège spécial du Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute tache du péché originel, est révélée de Dieu, et par conséquent qu’elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles.

C’est pourquoi, si quelques-uns avaient la présomption, ce qu’à Dieu ne plaise, de penser contrairement à Notre définition, qu’ils apprennent et qu’ils sachent que condamnés par leur propre jugement ils ont fait naufrage dans la foi et cessé d’être dans l’unité de l’Église ; et que, de plus, ils encourent par le fait même les peines de droit, s’ils osent exprimer ce qu’ils pensent de vive voix ou par écrit, ou de toute autre manière extérieure que ce soit.

Résultats espérés.

En vérité, Notre bouche est pleine de joie et Notre langue est dans l’allégresse ; et Nous rendons et rendrons toujours les plus humbles et les plus profondes actions de grâces à Notre-Seigneur de ce que, par une faveur singulière, il Nous a accordé, sans mérite de Notre part, d’offrir et de décerner cet honneur, cette gloire et cette louange à sa Très Sainte Mère. Nous avons la plus ferme espérance et la confiance la plus assurée que la Vierge Bienheureuse qui, toute belle et tout immaculée, a écrasé la tête venimeuse du cruel serpent et apporté le salut du monde ; qui est la louange des prophètes et des apôtres, l’honneur des martyrs, la joie et la couronne de tous les saints, le refuge le plus assuré de tous ceux qui sont en péril, le secours le plus fidèle, la médiatrice la plus puissante de l’univers entier auprès de son Fils unique pour la réconciliation ; la gloire la plus belle, l’ornement le plus éclatant, le plus solide appui de la sainte Église ; qui a toujours détruit toutes les hérésies, arraché les peuples et les nations fidèles à toutes les plus grandes calamités, et Nous-même délivré de tant de périls menaçants, voudra bien faire en sorte, par sa protection toute-puissante, que la Sainte Mère l’Église catholique, toutes les difficultés étant écartées, toutes les erreurs vaincues, soit de jour en jour plus forte, plus florissante chez toutes les nations et dans tous les lieux ; qu’elle règne d’une mer à l’autre et depuis les rives du fleuve jusqu’aux extrémités du monde ; qu’elle jouisse d’une paix entière, d’une parfaite tranquillité et liberté ; que les coupables obtiennent leur pardon les malades leur guérison, les faibles de cœur la force, les affligés la consolation, ceux qui sont en danger le secours ; que tous ceux qui sont dans l’erreur, délivrés des ténèbres qui couvrent leur esprit, rentrent dans le chemin de la vérité et de la justice, et qu’il n’y ait plus qu’un seul bercail et qu’un seul pasteur.

Que les enfants de l’Église catholique, Nos Fils bien-aimés, entendent nos paroles, et qu’animés chaque jour d’une piété, d’une vénération, d’un amour plus ardents, ils continuent d’honorer, d’invoquer, de prier la Bienheureuse Mère de Dieu, la Vierge Marie, conçue sans la tache originelle ; et que, dans tous leurs périls, dans leurs angoisses, dans leurs nécessités, dans leurs doutes et dans leurs craintes, ils se réfugient avec une entière confiance auprès de cette très douce Mère de miséricorde et de grâce. Car il ne faut jamais craindre, il ne faut jamais désespérer, sous la conduite, sous les auspices, sous le patronage, sous la protection de Celle qui a pour nous un cœur de Mère, et qui, traitant elle-même l’affaire de notre salut, étend sa sollicitude sur tout le genre humain ; qui, établie par le Seigneur Reine du ciel et de la terre, et élevée au-dessus de tous les chœurs des anges et de tous les rangs des  saints, se tient à la droite de son Fils unique, Notre-Seigneur Jésus-Christ, intercède efficacement par toute la puissance des prières maternelles, et trouve ce qu’elle cherche, et son intercession ne peut être sans effet.

Promulgation.

Enfin, pour que cette définition dogmatique par Nous prononcée touchant l’Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, soit portée à la connaissance de l’Église universelle, Nous avons voulu la consigner dans nos présentes Lettres apostoliques, en perpétuelle mémoire de la chose, ordonnant que les copies manuscrites qui seront faites desdites Lettres, ou même les exemplaires qui en seront imprimés, contresignés par un notaire public, et munis du sceau d’une personne constituée en dignité ecclésiastique, fassent foi auprès de tous, de la même manière absolument que le feraient les présentes Lettres elles-mêmes, si elles étaient exhibées ou produites.

Qu’il ne soit donc permis à qui que ce soit de contredire, par une audacieuse témérité, ce texte écrit de Notre déclaration, décision et définition ou bien d’y porter atteinte et de s’y opposer. Que si quelqu’un avait la hardiesse de l’entreprendre, qu’il sache qu’il encourrait le courroux du Dieu Tout-Puissant et de ses apôtres Pierre et Paul.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, l’année mil huit cent cinquante quatrième de l’Incarnation de Notre Seigneur, le sixième jour avant les ides de décembre de l’an 1854, de Notre pontificat le neuvième.

Prières

Oratio

Deus, qui per immaculátam Vírginis Conceptiónem dignum Fílio tuo habitáculum præparásti : quæsumus ; ut, qui ex morte eiúsdem Filii tui prævísa eam ab omni labe præservásti, nos quoque mundos eius intercessióne ad te perveníre concédas. Per eúndem Dóminum.

Oraison

Ô Dieu, qui, par l’Immaculée Conception de la Vierge, avez préparé à votre Fils une demeure digne de lui, nous vous en supplions, vous qui, en prévision de la mort de ce même Fils, l’avez préservée de toute tache, accordez-nous, par son intercession, d’être purifiés et de parvenir jusqu’à vous.

Prière de Dom Prosper Guéranger (1805-1875)

Ô Marie ! Que votre douce lumière réjouit délicieusement nos yeux fatigués ! De génération en génération, les hommes se succédaient sur la terre ; ils regardaient le ciel avec inquiétude, espérant à chaque instant voir poindre à l’horizon l’astre qui devait les arracher à l’horreur des ténèbres ; mais la mort avait fermé leurs yeux, avant qu’ils eussent pu seulement entrevoir l’objet de leurs désirs. Il nous était réservé de voir votre lever radieux, ô brillante Etoile du matin ! Vous dont les rayons bénis se réfléchissent sur les ondes de la mer, et lui apportent le calme après une nuit d’orages ! Oh ! Préparez nos yeux à contempler l’éclat vainqueur du divin Soleil qui marche à votre suite. Préparez nos cœurs ; car c’est à nos cœurs qu’il veut se révéler. Mais, pour mériter de le voir, il est nécessaire que nos cœurs soient purs ; purifiez-les, ô vous, l’Immaculée, la très pure ! Entre toutes les fêtes que l’Église a consacrées à votre honneur, la divine Sagesse a voulu que celle de votre Conception sans tache se célébrât dans ces jours de l’Avent, afin que les enfants de l’Église, songeant avec quelle divine jalousie le Seigneur a pris soin d’éloigner de vous tout contact du péché, par honneur pour Celui dont vous deviez être la Mère, ils se préparassent eux-mêmes à le recevoir par le renoncement absolu à tout ce qui est péché et affection au péché. Aidez-nous, ô Marie, à opérer ce grand changement. Détruisez en nous, par votre Conception Immaculée, les racines de la cupidité, éteignez les flammes de la volupté, abaissez les hauteurs de la superbe. Souvenez-vous que Dieu ne vous a choisie pour son habitation, qu’afin de venir ensuite faire sa demeure en chacun de nous. Ainsi soit-il.

Prière d’Eadmer de Canterbury (vers 1060-1124)

Ô vous, bienheureuse entre toutes les femmes ! Car Dieu a voulu faire de vous sa mère, et parce qu’il l’a voulu, il l’a fait. Que dis-je ? Il a fait de vous sa mère, lui le créateur, le maître et le souverain de toutes choses, lui l’auteur et le seigneur de tous les êtres non seulement intelligibles mais de ceux qui dépassent toute intelligence. Il vous a faite, ô Notre Dame, sa mère unique et par là il vous a constituée en même temps la maîtresse et l’impératrice de l’univers. Vous êtes donc devenue la souveraine et la reine des cieux, des terres et des mers, de tous les éléments et de tout ce qu’ils contiennent, et c’est pour être tout cela qu’il vous formait par l’opération du Saint-Esprit dans le sein de votre mère dès le premier instant de votre conception. Il en est ainsi, ô bonne Dame, et nous nous réjouissons qu’il en soit ainsi.

Prière de Saint Anselme de Canterbury (1033-1109)

Ô Vierge d’un mérite incomparable et qui n’avez jamais eu de modèle, Vierge sans seconde, Vierge Mère, le seigneur s’est lui-même fait le gardien de la virginité de votre corps et de la virginité de votre âme, afin de pouvoir dignement revêtir en votre sein cette chair qui est le prix de notre rédemption. Je vous en supplie, ô très Miséricordieuse, et grâce à qui, après Dieu, le monde tout entier a été sauvé, intercédez pour moi qui suis tout couvert de la boue du péché et souillé de toutes les iniquités, afin que Dieu accorde à cette âme toute misérable l’amour de la pureté et la passion de la chasteté. Malheureux que je suis, j’ai perdu la grâce de l’innocence et celle de la sainteté ; j’ai violé en moi-même la majesté du temple de Dieu. Mais que fais-je ? Ne voilà-t-il pas que je raconte mes impuretés à la plus immaculée de toutes les oreilles. J’ai horreur de moi, ô ma Dame. Ma conscience m’accuse. Je sens, comme Adam, ma nudité mauvaise. Je me vois mourir. À qui donc irai-je montrer la blessure de mon âme, exposer ma douleur, dire mes larmes ? Et comment pourrai-je recouvrer la santé s’il ne m’est plus permis d’entrer dans ce lieu de repos de la miséricorde éternelle ? Dame, ayez pitié de moi ; ayez pitié de ce citoyen de votre royaume qui s’est banni lui-même de votre domaine céleste, et qui, après un long exil, après de longs soupirs, après de cruelles déceptions et des tortures sans nombre, revient enfin à sa consolatrice et à sa Mère.

Je me rappelle ici, et ce souvenir m’est bien doux, que pour encourager tous les pécheurs à s’adresser à votre incomparable patronage, vous avez bien voulu révéler votre nom délicieusement mémorable à un de vos serviteurs qui allait mourir. Comme il était dans les affres de l’agonie, vous lui êtes apparue : « me reconnais-tu ? » et il vous a répondu tout tremblant : « non, Dame, je ne vous reconnais point ». Alors avec quelle bonté, avec quelle tendresse, avec quelle familiarité, vous lui avez dit : « je suis la Mère de miséricorde ». Non, non, il n’y a personne qui puisse recevoir la confidence de nos misères, de nos calamités et de nos larmes ; il n’y a que vous, ô Marie, qui êtes vraiment, qui êtes indubitablement la Mère de miséricorde. Mère sainte, Mère unique, Mère immaculée, Mère d’amour, Mère de pardon, Mère de bonté, ouvrez votre cœur si aimant, et accueillez dans ce cœur le malheureux qui est mort en son péché. Et ce malheureux, c’est moi.

Voici l’enfant prodigue qui revient : il est nu, il a les pieds broyés, il arrive d’un lieu horrible, il sort d’une obscurité immonde et infecte. Et il soupire et il crie, et il appelle sa Mère : car il se souvient que vous l’avez bien des fois couvert quand il était nu, réchauffé quand il avait froid, et excusé auprès de son père. Quel père et comme il est bon ! Quelle Mère et comme elle est douce ! Reconnaissez donc en nous ces enfants que votre fils unique, Jésus, n’a pas rougi d’appeler ses frères. Vous avez senti le glaive percer votre cœur à la vue de votre Fils très innocent qu’on avait mis en croix : comment ne pourriez vous pas pleurer sur vos fils adoptifs, qui, comme moi, sont morts dans leur péché ? Comment pourriez-vous, à leur vue, contenir vos sanglots et vos gémissements maternels ? Nous sommes entrainés par l’ennemi, arrachés à notre patrie et jetés en captivité. Et il n’y a personne pour nous délivrer, personne pour nous racheter, personne enfin qui se lève un matin et consente à se faire caution pour nous !

Levez-vous, ô Vierge ; levez-vous, Miséricordieuse. Entrez dans le sanctuaire céleste où Dieu écoute les prières, et restez là, vos mains étendues, vos mains qui sont immaculées, devant cet autel d’or où se fera la réconciliation de Dieu et de l’homme. Et vous nous obtiendrez aisément tout ce que nous osons demander par votre intercession. Et les crimes qui nous remplissent de crainte seront, grâce à vous, pardonnés. Est-ce qu’il pourrait vous laisser longtemps à ses pieds, priant pour nous, celui que, douce Mère, vous avez si souvent consolé, alors qu’il était un petit enfant vagissant. Et qui mériterait d’apaiser la colère de ce juge, si ce n’est celle qui a mérité d’être sa Mère ? N’hésitez donc pas, ô ma Dame.

Ce Dieu que vous allez prier, c’est mon salut et ma gloire, c’est aussi ma chair, c’est notre tête à tous. Il nous connait ; il connait bien son œuvre. Honneur des Vierges, souveraine des nations, reine des anges, fontaine des jardins fermés, virginité sans tâches, ô Marie, tendez la main à un malheureux qui se voit perdu. Il n’a pas l’audace d’espérer encore la robe des anges. Mais, du moins, qu’il reçoive de vous une robe nuptiale, pour s’asseoir au banquet du ciel, ne fût-ce qu’à la dernière place. Enfin, si je ne mérite point, et par là même que je ne mérite pas de m’approcher plus près de ces chœurs odorants et fleuris qui chantent votre gloire là-haut, faites du moins que, de loin, de bien loin, je mérite de voir et d’entendre ces processions et ces concerts du paradis, et tout ce qu’il y aura dans le ciel de joie, de triomphe et de gloire quand nous vous verrons suivre l’agneau partout où il va.

Vierge d’un mérite incomparable, Vierge souverainement et perpétuellement virginale, la seule des Vierges qui ait été Mère, me voici arrivé à la fin de cette prière, de cette misérable supplication. Et je n’ai à vous demander qu’une seule chose au nom de votre Fils : c’est le souvenir perpétuel, le souvenir toujours présent de votre nom si suave. Que ce soit la nourriture très douce de mon âme. Que ce nom soit présent dans tous mes périls, dans toutes mes angoisses, et qu’il soit le principe de toutes mes joies. Si j’obtiens ce don de Dieu et de vous, je ne crains plus l’éternelle mort. Votre protection et votre grâce ne me quitteront plus jamais. Et quand bien même, je serais plongé au fond de l’enfer, vous m’y viendriez chercher, vous m’en arracheriez et me rendriez victorieusement à votre Fils qui m’a racheté et lavé de son sang, à ce Jésus-Christ, notre Seigneur, qui vit et règne éternellement Dieu avec le Père et le Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

Antienne

Ã. Alma Redemptoris Mater quæ pervia caeli Porta manes, et stella maris succurre cadenti suggere qui curat populum, tu quæ genuisti, natura mirante, tuum sanctum Genitorem ; Virgo prius, tu posterius Gabrihelis ab ore sumens illud ave, peccatorum miserere.
Ã. Sainte Mère du Rédempteur, Porte du ciel toujours ouverte, Étoile de la mer, venez au secours de ceux qui chancellent, soyez leur soutien, vous qui prenez soin du peuple. Vous avez enfanté, devant la nature émerveillée, Celui qui vous a créée. Vierge avant, vous l’êtes encore après, en ayant reçu cet « ave » de la bouche de Gabriel : ayez pitié de nous, pécheurs.

Antienne grégorienne “Alma Redemptoris Mater”

Antienne Alma Redemptoris Mater

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21 novembre — Présentation de la Bse Vierge Marie

21 novembre — Présentation de la Bse Vierge Marie

21 novembre — Présentation de la Bse Vierge Marie

La Punchline de Saint Bernard

Que le nom de Marie ne quitte pas tes lèvres,
Qu’il ne quitte pas ton cœur
Et, pour obtenir la faveur de ses prières,
N’oublie pas les exemples de sa vie.

La Présentation de la Vierge Marie au Temple par Dom Pius Parsch

« C’est aujourd’hui la préface des complaisances de Dieu (l’« eudoxie » du Gloria des anges) et l’annonce de la Rédemption du genre humain ; dans le temple de Dieu la Vierge est vraiment présentée et le Christ annoncé à tous. Disons-lui nous aussi à haute voix : Salut, instrument de la Rédemption divine ! » (Contakion des Grecs)

L’objet de la fête ne figure pas dans la Sainte Écriture, mais dans les apocryphes, spécialement dans ce que l’on nomme le protévangile de Jacques. Après que la future naissance de Marie lui eut été annoncée par un ange, sainte Anne aurait fait vœu de consacrer l’enfant au Seigneur. C’est pourquoi on la porta, après sa naissance, dans une sainte maison où avaient seules accès les vierges d’Israël. Puis, à l’âge de trois ans, elle fut conduite au Temple. Elle y fut élevée comme une colombe et recevait la nourriture de la main d’un ange. Telle est la légende. — La fête fut célébrée en Orient dès le VIIIe siècle et elle y avait même le caractère de solennité chômée. La fête est désignée en Orient sous la dénomination suivante : L’entrée de la Mère de Dieu au Temple. Elle fut introduite dans l’Église Romaine par un envoyé du roi de Chypre qui séjourna à la cour des papes à Avignon (1371). Sixte IV la rendit obligatoire pour l’Église universelle en 1472. Pie V supprima la fête, mais elle fut rétablie quelques années plus tard.

La Messe est du commun (Salve sancta). L’Oraison propre demande pour nous la grâce « d’être présentés aussi un jour dans le temple de la gloire de Dieu ». Nous voyons comment la liturgie rapporte tout à notre transfiguration et à notre sanctification (une pensée du temps). Aujourd’hui nous voulons célébrer l’Offertoire de la messe en union avec Marie s’offrant au Temple. Quel entier abandon de la part de Marie et quelles complaisances de la part de Dieu dans cette offrande de la Mère de Dieu !

La prière des Heures. — Saint Ambroise nous trace un beau portrait de la vie cachée de Marie : « Quelles innombrables vertus brillent dans la Vierge incomparable ! Sanctuaire de la pureté, étendard de la foi, soumission de la piété ! Vierge à la maison, elle s’empresse comme associée au service divin, comme mère au Temple. Ô combien de vierges elle accueille par ces mots : « Voici celle qui a gardé dans une pureté immaculée le berceau de mon Fils, la chambre nuptiale. » À quoi bon rappeler avec quelle modération elle prenait sa nourriture, avec quelle abondance elle pratiquait ses devoirs (religieux) ? Cette abondance a dépassé les forces de la nature, cette modération a presque fait défaut aux besoins de la nature. Ici pas d’interruption, là des jours de jeûne successifs. Et, si le désir de refaire ses forces se présentait, la nourriture, ordinairement la première venue, servait plutôt à empêcher la mort qu’à procurer un plaisir. En Marie la recherche du sommeil n’en précédait jamais le besoin. Et, encore, l’âme continuait-elle de veiller pendant que le corps se reposait : en dormant elle pensait à ce qu’elle avait lu ou bien, interrompant le sommeil, elle continuait la lecture, ou bien elle exécutait les résolutions prises ou bien elle en prenait de nouvelles. »

La Vierge Marie, Maison de la Sagesse divine : Sermon de Saint Bernard

« La Sagesse s’est bâtie une maison, elle a taillé sept colonnes » (Prv 9, 1).

Comme le mot sagesse se prend en plusieurs sens, il faut rechercher qu’elle est la sagesse qui s’est bâtie une maison. En effet, il y a la sagesse de la chair qui est ennemie de Dieu. (Rm 8, 7), et la sagesse de ce monde qui n’est que folie aux yeux de Dieu (1 Cor 3, 19). L’une et l’autre, selon. l’apôtre saint Jacques, font la sagesse de la terre, « la sagesse animale, diabolique » (Iac 3, 15). C’est suivant cette sagesse que sont sages ceux qui ne le sont que pour faire le mal, et qui ne savent pas faire le bien; mais ils sont accusés et condamnés dans leur sagesse, selon ce mot de l’Écriture : « Je saisirai les sages dans leurs ruses, je perdrai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants » (1 Cor 1, 19). Il me semble qu’on peut parfaitement et proprement appliquer à ces sages cette parole de Salomon : « Il est encore un mal que j’ai vu sous le soleil, c’est l’homme qui est sage à ses yeux. » Ni la sagesse de la chair, ni celle du monde n’édifie, loin de là, elle détruit plutôt la maison où elle habite. Il y a donc une autre sagesse qui vient d’en haut; elle est avant tout prodigue, puis elle est pacifique. Cette Sagesse c’est le Christ, la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu, dont l’Apôtre a dit : « Il nous a été donné pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption » (1 Cor 1, 30).

Ainsi cette Sagesse qui était la sagesse de Dieu, et qui était Dieu, venant à nous du sein du Père, s’est édifié une demeure, je veux parler de la Vierge Marie sa mère, et dans cette demeure il a taillé sept colonnes. Qu’est-ce à dire, il a taillé dans cette maison sept colonnes, si ce n’est qu’il l’a préparée par la foi et par les œuvres à être une demeure digne de lui? Le nombre trois est le nombre de la foi à cause de la sainte Trinité, et le nombre quatre est celui des mœurs à cause des quatre vertus principales. Je dis donc que la sainte Trinité s’est trouvée dans la bienheureuse Marie, et s’y est trouvée par la présence de sa majesté, bien qu’elle n’ait reçu que le Fils quand il s’est uni la nature humaine : et j’en ai pour garant le témoignage même du messager céleste qui lui découvrit en ces termes le secret de ce mystère : « Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous » : et un peu après : « Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre » (Lc 1, 28). Ainsi vous avez le Seigneur, vous avez la vertu du Très-Haut et vous avez le Saint-Esprit : en d’autres termes, vous avez le Père, le Fils et le Saint-Esprit. D’ailleurs le Père ne va point sans le Fils, non plus que le Fils sans le Père, de même que le Saint-Esprit, qui procède des deux, ne va ni sans l’un ni sans l’autre, s’il faut en croire ces paroles du Fils : « Je suis dans le Père et le Père est en moi. » Et ailleurs : « Quant à mon Père qui demeure en moi, c’est lui qui fait tout » (Io 14, 10). Il est clair que la foi de la sainte Trinité se trouvait dans le cœur de la Vierge.

Mais eut-elle aussi les quatre autres colonnes, je veux dire les quatre vertus principales? Le sujet mérite que nous nous en assurions. Voyons donc d’abord si elle eut la vertu de force. Comment cette vertu lui aurait-elle fait défaut quand, rejetant les pompes du siècle et méprisant les voluptés de la chair, elle conçut le projet de vivre pour Dieu seul dans sa virginité? Si je ne me trompe, la Vierge est la femme dont Salomon parle en ces termes : « Qui trouvera une femme forte? Elle est plus précieuse que ce qu’on va chercher au bout du monde » (Prv 31, 10). Telle fut sa force, en effet, qu’elle écrasa la tête du serpent à qui le Seigneur avait dit : « Je mettrai des inimitiés entre la femme et toi, entre sa race et la tienne; elle t’écrasera la tête » (Gn 3, 15). Pour ce qui est de la tempérance, de la prudence et de la justice, on voit plus clair que le jour, au langage de l’Ange, et à sa réponse à elle, qu’elle possédait ces vertus. En effet, à ce salut si profond de l’Ange : « je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous », au lieu de s’élever dans sa pensée, en s’entendant bénir pour ce privilège unique de la grâce, elle garde le silence, et se demande intérieurement ce que pouvait être ce salut extraordinaire. N’est-ce point la tempérance qui la fait agir en cette circonstance? Puis, lorsque l’Ange l’instruit des mystères du ciel, elle s’informe de lui avec soin de la manière dont elle pourrait concevoir et enfanter un fils, puisqu’elle ne connaissait point d’homme; évidemment, dans ces questions, éclate sa prudence. Quant à sa justice, elle la prouve lorsqu’elle se déclare la servante du Seigneur. En effet, on trouve la preuve que la confession est le propre des justes dans ces paroles du Psalmiste : « Ainsi les justes confesseront votre nom, et ceux qui ont le cœur droit demeureront en votre présence » (Ps 139, 14). Ailleurs, on lit encore à propos des justes : « Et vous direz, en confessant ses louanges : « les œuvres du Seigneur sont souverainement bonnes »  » (Sir 39, 21).

Ainsi la bienheureuse Vierge Marie s’est montrée forte dans ses desseins, tempérante dans son silence, prudente dans ses questions et juste dans sa confession. C’est sur ces quatre colonnes des mœurs et sur les trois de la foi dont j’ai parlé plus haut, que la sagesse céleste s’est élevée en elle une demeure; elle remplit si bien son cœur que, de la plénitude de son âme, sa chair fut fécondée et que toute Vierge qu’elle fût, elle enfanta, par une grâce singulière, cette même Sagesse qui s’était revêtue de notre chair, et qu’elle avait commencé par concevoir auparavant dans son âme pleine de pureté. Et nous aussi, si nous voulons devenir la demeure de cette même Sagesse, il faut que nous lui élevions également en nous une demeure qui repose sur les sept mêmes colonnes, c’est-à-dire que nous nous préparions à la recevoir par la foi et les mœurs. Or, dans les vertus morales je crois que la justice toute seule peut suffire, mais à condition qu’elle se trouve entourée et soutenue par les autres vertus. Aussi, pour ne point nous trouver induits en erreur par l’ignorance, il faut que la prudence marche devant ses pas, que la tempérance et la force marchent à ses côtés, la soutiennent et l’empêchent de tomber soit à droite, soit à gauche.

Prières

Oratio

Deus, qui beátam Maríam semper Vírginem, Spíritus Sancti habitáculum, hodiérna die in templo præsentári voluísti : præsta, quæsumus ; ut, eius intercessióne, in templo glóriæ tuæ præsentári mereámur. Per Dóminum . . . in unitáte eiúsdem.

Oraison

Ô Dieu, qui avez voulu qu’en ce jour, la bienheureuse Marie toujours Vierge, en qui résidait l’Esprit-Saint, vous fût présentée au temple ; faites que, grâce à son intercession, nous méritions de vous être présentés dans le temple de votre gloire. Par Jésus-Christ, notre Seigneur.

Prières de Sainte Mechtilde de Hackeborn

Je vous salue au nom de la toute-puissance du Père, je vous salue au nom de la sagesse du Fils, je vous salue au nom de la bonté du Saint-Esprit, ô très douce Marie, lumière du ciel et de la terre.
Pleine de grâce, et votre plénitude découle sur tous ceux qui vous aiment.
Le Seigneur est avec vous, Fils unique du Père, Fils unique de votre cœur virginal, votre ami et très doux Epoux.
Vous êtes bénie entre toutes les femmes, car vous avez mis en fuite la malédiction et attiré l’éternelle bénédiction.
Le fruit de vos entrailles est béni, lui le Créateur et le Seigneur de l’univers, qui bénit et sanctifie tout, qui unifie et enrichit toutes choses.

Je vous salue, ô Vierge très illustre, en cette douce rosée qui, du cœur de la très sainte Trinité, se répandit en vous dès l’éternité, à cause de votre bienheureuse prédestination !
Je vous salue, ô Vierge très sainte, en cette douce rosée qui, du cœur de la très sainte Trinité, s’est écoulée en vous durant votre vie très heureuse.
Je vous salue, ô Vierge très noble, en cette douce rosée qui, de la très bienheureuse Trinité, s’est écoulée en vous par la doctrine et la prédication de votre très doux Fils.
Je vous salue, ô Vierge très aimante, en cette douce rosée qui, de la sacrée Trinité, s’est écoulée en vous durant la très amère Passion et la mort de votre Fils.
Je vous salue, ô Vierge très vénérée, en cette douce rosée qui, du cœur de la très sainte Trinité, s’est écoulée en vous. Je vous salue, dans cette joie et cette gloire dont vous jouissez maintenant et dont vous jouirez à jamais, vous qui avez été choisie de préférence à toutes les créatures du ciel et de la terre, avant que le monde fût créé. Ainsi soit-il.

Antiennes

Ã. Dignare me laudare te, Virgo sacrata; da mihi virtutem contra hostes tuos.

Ã. Rendez-moi digne de vous louer, Vierge sainte; donnez-moi la force contre vos ennemis.

Antienne grégorienne “Dignare me"

Antienne Dignare me

Ã. Ave spes nostra, Dei Genitrix intacta ave, illud ave per angelum accipies, ave concipies patris splendorem. Benedicta ave, casta, sanctissima virgo, sola innupta, te glorificat omnis creatura, Matrem luminis.

Ã. Salut, ô notre espérance ! Mère intacte de Dieu, salut ! Vous recevrez ce salut de l’Ange. Salut ! Vous concevrez la Splendeur du Père. Salut, ô bénie, ô chaste, ô très Sainte Vierge, seule intacte. Que toute créature vous glorifie, Mère de la Lumière.

Antienne grégorienne “Ave spes nostra"

Antienne Ave spes nostra

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