Depuis l’année 900 jusqu’à l’année 1000.
Presqu’au commencement de ce siècle deux excellents Apôtres de l’Ordre, saint Rimbert et saint Étienne, couronnèrent leur Apostolat par une mort glorieuse; le premier fut le véritable père des Danois, et le second avait aussi engendré en Jésus-Christ les peuples de la Suède, de la Gothie (Götaland) et Heltingie. Saint Otger et saint Adalvard eurent le même sort et la même gloire dans ces mêmes provinces. Les saints Adalgar et Viggar suivirent leurs beaux exemples, et eurent part à leurs couronnes. Saint Radboud Évêque d’Utrecht eut le même zèle, et travailla avec le même succès dans la Frise. Les Goths et les Danois, peuples farouches, ayant encore abandonné la Religion Chrétienne, saint Unni Évêque de Brême les ramena à Jésus-Christ par la force de ses prédications. Saint Guibert animé d’une ferveur toute divine alla au devant de l’armée des Hongrois, et par son admirable éloquence en convertit les principaux Chefs. La corruption s’était glissée dans la Flandre, et en avait dérèglé les mœurs et la discipline Ecclésiastique; mais saint Gérard la rétablit par l’efficacité de ses discours et par la sainteté de sa vie. Dans ce même siècle toute la Bohême reçut la foi du Fils de Dieu par le ministère de nos Religieux. Et pour finir ici ce court et glorieux Catalogue de nos Apôtres, en supprimant un nombre bien plus grand ; il faut ajouter que saint Adalbert a mérité par ses travaux et par son zèle le beau nom d’Apôtre des Wendes (Sorabes).
En France, en Espagne et dans les Pays-Bas, on vit au commencement de ce siècle un très grand nombre de Moines, qui méritèrent par une mort glorieuse la couronne du martyre. Le Mont-Cassin déjà si glorieux par le séjour de notre saint Patriarche et par la vie pure de nos Pères, fut encore embelli en ce temps du sang de plusieurs de ses enfants répandu pour la gloire de Dieu. Saint Berthaire donna aussi sa vie pour soutenir la foi de Jésus-Christ, et le fameux Jean Scot, après avoir éclairé son Collège par ses savantes leçons, le rendit illustre par son glorieux martyre. Quelle gloire pour le Monastère de Jumièges d’avoir enrichi le Paradis de neuf cent Martyrs, qui donnèrent leur vie pour la Foi Chrétienne dans un seul jour ? S. Foulques et saint Grimbald méritèrent en même temps la vie éternelle par une glorieuse mort. Le sang de nos Religieux répandu en Sicile pour la foi de Jésus-Christ rendit toute cette île glorieuse et féconde en sainteté. L’Allemagne fut aussi arrosée et embellie du même sang. Enfin saint Venceslas Duc de Bohême mérita par une belle mort une couronne plus brillante, que celle de tous les Rois de la terre.
Nous avons parlé du grand Hincmar Archevêque de Reims à la fin du siècle précèdent, et il embellit encore celui-ci par sa doctrine et par son zèle pour la Foi Catholique. Saint Sanson montra durant ce siècle la force de son esprit et de sa grâce en combattant les impiété des Sarrazins et les rêveries de Mahomet. La France se vit aussi avec plaisir délivrée de la tyrannie des Normands par le zèle et par le courage de saint Foulques. Le Pape Jean XI répara avec avantage toutes les pertes de l’Église par trois Conciles qu’il célébra. Notre admirable Rather eut un zèle ardent pour la vérité, qui lui mérita la gloire d’être nommé la terreur des Princes et le fléau des hérétiques. Ce fut ce grand homme qui s’opposa avec un courage invincible aux erreurs des Antropomorphites et des Sacramentaires. L’Italie troublée par les dissensions reçut la paix et la tranquillité par le zèle et par les négociations de saint Odon. Ce fut dans ce même siècle que nos Pères découvrirent plusieurs hérésies, et qu’ils les combattirent heureusement. Saint Adalric accorda les différends des Princes et arrêta la fureur des armées sur le point de donner combat. Adalbert, excellent Solitaire, après mille travaux, planta la foi de Jésus-Christ dans la Russie. Enfin ce furent en ce temps que tant de savants Moines, qui veillaient sans cesse sur la Maison de Dieu, découvrirent les erreurs qui se glissaient de toutes parts contre la vérité du Sacrement de l’Eucharistie ; ils s’y opposèrent quand ils les eurent découvertes, les combattirent glorieusement, et soutinrent la présence réelle du Corps et du Sang de Jésus-Christ dans cet adorable mystère.
Je ne sais pas s’il y a eu aucun siècle depuis la naissance du monde, qui ait été plus riche en grands hommes et en grands Saints que celui-ci. Et je sais que presque tous ont été Solitaires et enfants de Saint Benoît ; de cette multitude infinie en voici un petit nombre. Saint Sunderold Archevêque de Mayence, qui mourut glorieusement pour la défense de sa patrie. Le grand Otton son successeur à qui l’Allemagne et tout l’Empire ont tant d’obligation. Frédéric ce fameux Patriarche d’Aquilée, qui institua le premier la Fête de la Conception immaculée de la Mère de Dieu. Tutelon duquel l’Église a reçu ce qu’elle chante de plus beau. Hildebert qui couronna l’Empereur Othon, et qui l’aida par de sages conseils à gouverner l’Empire. Le célèbre saint Odon, Abbé de Cluny, qui par ses sages négociations fit la paix entre les Princes Chrétiens, et qui rétablir l’observance de la Règle de saint Benoît dans l’Italie et dans la France, où elle était fort affaiblie. Ce grand homme porta son zèle et sa réputation si loin, que plus de deux mille Monastères furent soumis à sa conduite dans toutes les parties du monde. Il ne faut pas oublier S. Dunstan, la lumière et la gloire de l’Angleterre, il fit plier sous sa fermeté les Grands, les Prélats, les Princes et les Rois. Il ne faut pas non plus oublier S. Ælphegle un illustre Prélat d’Angleterre, Arnauld Archevêque de Reims, et saint Mayeul Abbé si fameux par ses miracles et par sa sainteté. Saint Oswald le fléau des hérétiques et des pécheurs. Æthelwold le véritable père des pauvres. Eckard Précepteur du jeune Othon. Enfin il ne faut pas passer sous silence saint Romuald l’honneur de l’Église et la lumière du monde.
Ajoutons à tant de grands hommes, qui sont sortis de nos Cloîtres, qui ont servi l’Église et éclairé le monde ; un grand nombre de grands Seigneurs, de Princes généreux qui y sont entrés, après avoir méprisé leur grandeur et toute la douceur de cette vie, pour embrasser l’austérité de notre Règle. Je n’en rapporterai qu’un fort petit nombre d’un beaucoup plus grand que je laisserai, Il faut commencer par un Roi de Moravie nommé Svatopluk, qui peu après sa conversion conçut tant d’estime de nos Religieux, qui l’avaient instruit et converti avec tous ses Sujets, il eut tant d’amour pour notre Institut, qu’il quitta la pourpre, et sa couronne, pour se couvrir de notre habit, et passa le reste de sa vie dans un Monastère avec beaucoup d’austérité et de soumission. Une illustre Reine nommée Ethelswide et la Princesse sa sœur, suivirent cet admirable exemple. Le Monastère de Quedlinburg fut un Séminaire de Princesses, qui par une vie pure et régulière méritèrent la couronne du Paradis. Mathilde, fille de l’Empereur Henri fut la Fondatrice et la première Abbesse de cette illustre et sainte Maison. Æthelflæd, fille d’Alfred Roi d’Angleterre et la Princesse sa sœur abandonnèrent aussi le monde, et ce qu’il a de grand, pour faire profession de notre Règle. Constantin troisième Roi d’Écosse, et Hugues Roi d’Italie, se refugièrent dans notre Ordre pour assurer leur salut. Pour vaincre le monde et pour mériter la félicité éternelle, Gloire, épouse de Légion Roi d’Espagne, et la Princesse Elvire sa fille, changèrent le faste de la Cour avec l’humilité du Cloître. Willa Reine d’Italie femme de Berenger second passa une partie de sa vie sous le joug de la Règle de S. Benoît. Burchard neveu de Henri premier, désira notre habit avec ardeur, et le porta toute sa vie avec une grande sainteté. Mais ce siècle ne vit rien de plus grand et de plus beau, que l’exemple de deux Impératrices, qui après avoir généreusement foulé aux pieds la couronne et la pourpre impériale, vécurent dans notre Ordre avec une sainteté et une humilité qui les a rendues plus illustres et plus glorieuses, que tous les Empires du monde; la première est sainte Mathilde épouse de l’Empereur Henri premier et mère d’Othon, elle est connue dans l’Église par ses prophéties et par son admirable sainteté. La seconde est sainte Adelaïde femme d’Othon premier.
Après tant de grands Princes et de saintes Princesses, qui ont embelli nos Monastères et édifié le monde durant ce siècle; il faut nommer une partie de ceux qui l’ont éclairé par leur doctrine. Je commence par saint Neotus qui rétablit dans son premier éclat l’Université d’Oxford la plus célèbre d’Angleterre, que nos Moines avaient fondée, et qui avait perdu une partie de son lustre à la fin du siècle passé. Foulques Archevêque de Reims rétablit aussi et éclaira l’Université de cette Ville. Et nos Confrères composèrent en ce temps et transcrivirent tant de Livres, que dans la seule Bibliothèque du Monastère de Novalle on en compta six mille et six cents Volumes. Il n’y en avait pas moins dans la plupart de nos grands Monastères. C’est une obligation que l’Église et tous les savants ont à tant de saints et doctes Solitaires, qui ont composé, qui ont transcrit et qui ont conservé ces riches trésors à la postérité. En ce même temps parut le grand Osfride si habile dans les Lettres saintes et profanes, à qui l’Allemagne a tant d’obligation. Reginon vivait aussi durant ce siècle, ce grand homme, qui ramassa avec une si grande érudition ce qu’il y a de plus beau dans les écrits des Saints Pères et dans les Décrets des Conciles touchant la discipline de l’Église. Rudgar composa aussi le Livre des Décrets avec un travail extrême pour lui; mais avec une utilité infinie pour l’Église. Ce grand homme avait gouverné l’Église de Trêves avec beaucoup de prudence et de sainteté. Nos plus célèbres Abbayes n’étaient pas seulement durant ce siècle, des écoles de toutes les vertus, elles étaient encore des Universités, où l’on enseignait toutes les sciences et tous les arts. En voici quelques-unes des plus connues les Monastères de Fulda, de Saint-Gall, d’Auge, de Mayence, de Corvey, de Prüm, de Milan et de Saint-Denis, de Trêves, de Reims, d’Auxerre, de Fleuri et de Visbourg. Je ne parle pas des autres Universités, qui ont produit en ce temps et dans les siècles suivants, un nombre sans nombre de Solitaires très savants et très saints. Nous n’eussions rien su de l’histoire des Saxons ni des belles actions du grand Othon si Widukind Moine de Corvey en Saxe ne les eut écrites et laissées à la postérité ; et si Flodoard ne nous eut laissé son excellente Chronique, nous eussions été privés de la connaissance de quantité de choses remarquables de l’antiquité ; et l’on peut voir par là que nos Moines n’ont pas été des fardeaux inutiles à la terre et à l’État; puisque leur Solitude a été si utile à toute la République Chrétienne, et que de leurs cellules ils ont veillé pour découvrir les ennemis de l’Église, et qu’ils ont soutenu la foi et la piété.