13 novembre — Toussaint bénédictine

13 novembre — Toussaint bénédictine

13 novembre — Toussaint bénédictine

Annonce du Martyrologe Bénédictin

Fête de tous les Saints qui ont milité sous la Règle de Notre Saint Père Benoît, fête instituée par le Pape Paul V.

Du Prologue de Saint Benoît à sa Règle

Quant à ce qui manque en nous aux forces de la nature, prions le Seigneur d’ordonner à sa grâce de nous prêter son aide. Et si, désireux d’éviter les peines de l’enfer, nous voulons parvenir à la vie éternelle, tandis qu’il en est temps encore et que nous sommes en ce corps et que nous pouvons accomplir tout cela à la lumière de cette vie, courons et faisons, dès ce moment, ce qui nous profitera pour toute l’éternité.

Sermon

Extrait d’un sermon de Saint Bernard sur Saint Benoît

Vous avez entendu aujourd’hui même les promesses que le Seigneur fait dans son Évangile à ses apôtres, à qui il disait: « Vous serez assis sur des trônes et vous jugerez les douze tribus d’Israël (Mt 19, 28). » Vous avez là le repos, « vous serez assis », et l’honneur, « vous jugerez. » Mais Notre-Seigneur lui-même n’a pas voulu arriver à ce repos et à cet honneur sans passer par le travail et par les abaissements. S’il fut condamné à la mort la plus honteuse, mis à l’épreuve des tourments et rassasié d’opprobres, ce ne fut que pour couvrir de confusion son ennemi, et quiconque l’imite et le suit dans ses égarements. Voilà, esprit inique, voilà celui qui doit aller s’asseoir sur le trône de sa majesté, parce qu’il est semblable au Très-Haut et le Très-Haut est avec lui. C’est à quoi ont pensé les saints anges qui ne voulurent point partager l’apostasie du Malin qu’ils ont vu précipité, et nous ont laissé ainsi un exemple, afin que, de même qu’ils ont mieux aimé se tenir au rang des serviteurs, nous fissions de même de notre côté. Quiconque fuit le labeur et aspire aux honneurs doit donc savoir qu’il marche sur les pas de l’ange qui a aspiré à s’élever et à aller s’asseoir, et si la faute de cet esprit ne l’épouvante point, que du moins son châtiment l’effraie; car tout a tourné pour lui différemment de ce qu’il avait pensé, en sorte qu’il devint un objet de risée et qu’un feu éternel fut préparé pour le recevoir. C’est pour éviter ces malheurs que les saints anges ont semé pour nous la semence de la prudence, dont ils ont commencé de faire preuve eux-mêmes au moment où les autres sont tombés.

C’est aussi la semence que les apôtres ont répandue pour nous, lorsqu’ils s’attachèrent au Seigneur au moment où tant d’autres qui, préférant la sagesse de ce monde qui n’est que folie auprès de Dieu, et la prudence de la chair qui opère la mort et est ennemie de Dieu, s’éloignaient de lui, scandalisés de ce qu’ils lui entendaient dire, du sacrement de la chair et de son sang; ils ne continuèrent pas davantage à marcher à sa suite. Les disciples, au contraire, à la demande que leur fit le Seigneur pour savoir s’ils voulaient, eux aussi, le quitter, répondirent: « Seigneur à qui irons-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle (Io 6, 69). » Mes frères, il faut que nous imitions cette prudence, il y en a beaucoup encore qui marchent dans la société de Jésus jusqu’à ce que vienne le moment pour eux de manger sa chair et boire son sang, c’est-à-dire de prendre part à sa passion, car c’est ce que signifient ces paroles, c’est le sens même de ce sacrement, et qui alors se scandalisent aussi et retournent sur leurs pas, en disant : « C’est une parole dure à entendre (Ibid. 61). » Pour nous, partageons la prudence des apôtres et écrions-nous avec eux : « Seigneur, à qui irons-nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle. » Non, nous ne vous quitterons point; vous nous donnerez la vie. L’homme ne vit pas seulement de pain, mais encore de toute parole qui tombe de la bouche de Dieu (Dt 8, 3 et Mt 4, 4). Le monde n’est pas seul à avoir ses délices, il s’en trouve de plus grandes que les siennes dans vos paroles. C’est ce qui faisait dire au Prophète: « Que vos paroles semblent douces à mes lèvres ! elles le sont plus que ne le serait le rayon de miel (Ps 118, 103). » À qui donc pourrions-nous aller, Seigneur, puisque vous avez les paroles de la vie éternelle, c’est-à-dire, des paroles qui sont au dessus de toutes celles que le monde peut avoir ? Non-seulement, mes frères, il est la vie même, mais il en est aussi la promesse, il est l’attente des justes, il est leur joie, mais leur joie si grande que tout ce qu’on peut désirer ne lui pourrait être comparé. La prudence est donc la semence que les saints apôtres ont semée pour nous. Quant aux martyrs, il est clair que leur semence est une semence de force. Celle des confesseurs est la justice qu’ils n’ont cessé de poursuivre pendant toute leur vie ; car il y a la même différence entre les martyrs et les confesseurs qu’entre Pierre qui laisse tout, à la fois, et Abraham qui emploie les biens de ce monde à de bonnes œuvres. Les premiers ont, en effet, .vécu beaucoup de temps en quelques instants, et les seconds ont passé leur vie au milieu de longs martyres de toutes sortes. Pour ce qui est des vierges saintes, il est de toute évidence que leur semence est celle de la tempérance puisqu’elles ont su fouler la passion aux pieds.

Par sa doctrine Saint Benoît nous instruit et dirige nos pas dans les sentiers de la paix, et par la justice de sa vie, il nous donne des forces et du courage, et nous anime d’autant plus à faire ce qu’il nous a enseigné, que nous savons pertinemment qu’il ne nous a enseigné que ce qu’il a fait lui-même. Il n’est pas, en effet, d’exhortation si pleine de vie et d’efficacité que l’exemple, car celui qui fait ce qu’il conseille le rend facile à persuader, puisqu’il montre, par sa conduite, que ce qu’il conseille est praticable. Voilà donc comment la sainteté fortifie, la piété instruit, et la justice confirme. Quelle ne fut donc pas en effet la piété de cet homme, qui, non content d’être utile à ceux de son temps, se mit en peine de l’être aussi à ceux qui viendraient après lui? Non-seulement cet arbre a porté du fruit pour ceux qui vivaient alors, mais il en a produit qui dure et persévère jusqu’à nos jours. Il était, certes, bien aimé de Dieu et des hommes, celui dont la présence fut en bénédiction, comme nous voyons que le fut celle de bien des saints, qui, n’étaient aimés que de Dieu, parce qu’ils n’étaient connus que de lui, mais dont le souvenir, de plus, est encore en bénédiction maintenant. En effet, jusqu’à ce jour, par la triple confession de son amour de Dieu, il paît le troupeau du Seigneur de trois sortes de fruits à la fois. Il le paît par sa vie, par sa doctrine et par son intercession. Sans cesse aidés par elle, portez aussi des fruits à votre tour, mes très-chers frères, car c’est pour cela que vous avez été établis, c’est pour que vous alliez , et que vous produisiez du fruit (Io 15, 16). Mais d’où devez-vous sortir pour aller ? De vous mêmes, mes frères, selon ce mot de l’Écriture : « Détournez-vous de votre propre volonté (Eccl 18, 30). » Ne lisons-nous point aussi du Seigneur que « celui qui sème s’en alla semer » (Mt 13, 3)? Ainsi nous avons la semence, nous avons vu quels furent ses fruits; c’est à nous de l’imiter, mes frères, car il n’est venu que pour nous donner la forme, nous montrer la voie.

Dom Mège : Des religieux et des religieuses les plus illustres de l’Ordre de Saint Benoît #1

Les progrès de l’Ordre de saint Benoît, après la mort de son saint Patriarche furent merveilleux, comme les grandes actions de ses enfants. J’aurais du plaisir à les écrire; mais comment pourrait-on enfermer dans un abrégé ce que tant de Solitaires si illustres et si parfaits ont fait et ont souffert dans toutes les parties du monde pour la gloire de Dieu, pour l’établissement, pour la défense et pour l’ornement de l’Église durant tant de siècles ? L’Ordre de S. Benoît a tant fait et de si grandes choses durant près de douze cens ans, il a porté la foi de Jésus-Christ et la sainteté des mœurs en tant de nations différentes, avec tant de gloire et de succès; qu’il faudrait écrire l’histoire de toute la Religion Chrétienne, ou plutôt l’histoire de tout le monde, pour faire exactement celle de ce Saint Institut.

Je ne dois pourtant pas passer sous silence tant de merveilles et tant de grands progrès ; il faut que j’en fasse ici un léger crayon: car il est important que tous nos Solitaires conçoivent une idée véritable de cet admirable Corps dont ils sont les membres ; afin de s’animer par cette vue à ne rien faire et à ne rien souffrir, qui soit indigne d’une profession si sainte et si glorieuse.

C’est cet Ordre qu’un écrivain fort éloquent a comparé à un ruisseau fort petit dans sa source; mais qui s’est si bien enflé dans son cours, qu’il est devenu un grand fleuve, duquel tant d’autres sont sortis et ont pris de sa plénitude; à cette petite pierre détachée sans le secours d’aucune main humaine, qui a renversé l’empire du démon, et qui est devenue une haute montagne. Enfin il le compare à ce petit grain de l’Évangile, qui est devenu un grand arbre, et qui a étendu ses branches dans toutes les parties du monde, qui a couvert sous son ombre les Prélats, les Rois, les Princes et les peuples, qui a fait l’ornement de l’Église et la joie du Paradis.

Mon dessein est de faire ici un petit Catalogue de quelques-uns de nos plus illustres Solitaires de l’un et de l’autre sexe, il sera assez court pour ne pas ennuyer le lecteur, et assez long pour former dans son esprit une magnifique idée de la sainteté et de la gloire d’un père, qui a produit tant d’illustres enfants. Il pourra aussi animer nos Solitaires, qui leur ont succédé; et qui vivent dans les mêmes Maisons et sous la même Règle, à pratiquer les mêmes vertus, et à s’éloigner de ce qui peut ternir la gloire et la sainteté d’un Ordre si glorieux et si saint.

Mais je suis obligé d’avertir, qu’en faisant ce Catalogue de nos illustres, je ne donnerai point dans le sentiment de quelques écrivains, qui par un zèle excessif ont donné à l’Ordre de saint Benoît des Saints qui ne lui appartiennent pas, et qui le parent sans nécessité d’ornements empruntés; car il est assez riche, il se contente de ses propres biens. Mais je ne donnerai pas non plus dans le sentiment de quelques nouveaux savants, qui par une critique trop sévère, rejettent comme supposé tout ce qu’ils ne trouvent pas appuyé par des Auteurs du même temps ; et qui sur des conjectures trop légères condamnent la tradition, et font cent injustices à la vérité, qu’ils prétendent défendre.

J’ai des Historiens plus anciens, plus célèbres, plus équitables, et qui méritent bien mieux d’être crus que ces nouveaux auteurs ; car ils nous ont laissé ce qu’ils avaient reçu de leurs pères, et nous devons recevoir leur tradition avec respect, et la laisser à ceux qui viendront après nous comme un précieux héritage. La plus grande partie des vérités de fait ne s’établit que de cette manière; et si on demandait toujours des témoins du même temps, où en serions-nous ? Les traditions les plus saintes seraient ébranlées.

Les premiers écrivains de notre Ordre ont eu, sans doute, plus de connaissance de ce qui s’est passé dans les premiers siècles, que ceux qui en écrivent à présent ; parce qu’ils étaient bien plus proches de la source. Les faits ne s’éclaircissent pas par la suite des temps, cet éloignement les obscurcit. Les anciens Auteurs ont vu très-assurément les écrits et les originaux que nous voyons, et ils en ont vu plusieurs que nous n’avons pas vus, et que nous ne verrons jamais. Car tout le monde sait qu’il s’en est perdu un très grand nombre par le malheur des temps, par la fureur de la guerre, par le saccagement des villes, par le pillage des Monastères les plus illustres, et par l’incendie des bibliothèques les plus nombreuses et les plus riches.

On ne peut donc pas sans témérité soupçonner seulement tant de savants historiens d’avoir manqué de lumière ou de sincérité. Et vouloir les accuser d’en avoir voulu imposer à la postérité en écrivant contre leur conscience et la bonne foi, c’est une grande injustice; car si ces écrivains qui ont composé leur histoire il y a trois cents, deux cents, ou même depuis cent ans, n’avaient point trouvé dans aucun Auteur plus ancien, ni dans aucune pièce authentique ce qu’ils ont avancé ; s’ils ne l’avaient appris d’aucune tradition, on aurait droit de les traiter de fourbes et de menteurs. Mais s’ils ne l’ont écrit qu’après s’en être assurés sur de bons mémoires, ou sur des témoignages dignes de foi; pourquoi est-ce que les nouveaux savants s’éloignent de leur sentiment, et les blâment d’ignorance ou d’infidélité ? pourquoi donnent-ils à ces grands hommes tant de démentis ?

Une possession si ancienne et si paisible dans laquelle nous sommes de tant de personnes illustres, et de tant de Saints du sixième et du septième siècle est trop bien établie, pour nous être ravie si légèrement. Il faut des titres et des titres incontestables pour nous la disputer. Tous les arguments négatifs et toutes les conjectures du monde sont des preuves trop légères pour affaiblir notre droit ; il est reçu dans l’Ordre et même dans toute l’Église, il est même reconnu par les écrivains étrangers.

[Certains saints de ces deux premiers siècles bénédictins ne sont pas au sens le plus strict « bénédictins ». En effet, à cette époque la plupart des monastères avaient leur propre règle de vie souvent composée de plusieurs règles écrites. La Règle de Saint Benoît va néanmoins s’imposer de plus en plus durant le 7ème siècle, notamment dans les monastères colombaniens semés à travers toute l’Europe.]

Les saints et les personnes illustres de l’Ordre de S. Benoît qui ont fleuri depuis l’année 480. jusqu’à l’année 580.

On ne doit marquer la naissance de l’Ordre de S. Benoît que presqu’à la fin du cinquième siècle de celle du Sauveur du monde. Et nous avons dit un mot de ses progrès jusqu’à la mort de son saint Patriarche. Nous avons dit aussi qu’en même temps notre Institut éclaira la France par les miracles et par la sainteté de saint Maur, et qu’il reçut aussi lui-même un éclat merveilleux dans ce grand Royaume. Car parmi un très-grand nombre de personnes de qualité qui abandonnèrent le monde et ce qu’il a de doux pour se donner à Dieu, Flore un des premiers Officiers de la Couronne et favori de son Prince, quitta tous ses avantages pour prendre notre habit. Ce fut encore en ce même temps qu’on bâtit en France et en Italie beaucoup de Monastères pour nos Religieux ; et que presque tous ceux qui étaient établis dans ces grandes provinces, quittèrent leurs Statuts et leurs manières de vivre, pour prendre la Règle de saint Benoît. Enfin ce fut durant ce premier siècle de notre Ordre et le sixième de Jésus-Christ, qu’un nombre infini de personnes de tous les âges, de tous les sexes et de toutes les conditions abandonnèrent le monde pour assurer leur salut en passant le reste de leur vie dans nos Monastères. Un des plus célèbres que je ne puis ne pas oublier, c’est le grand Cassiodore, lequel après avoir été Secrétaire d’état et pris tant de part au gouvernement de l’Empire sous trois divers Rois; après avoir été Consul et Sénateur, pour couronner sa vie par une heureuse fin, se soumit à la discipline de saint Benoît et fonda deux de nos Monastères : Hic primitus Consul, deinde Senator, ad postremum vero monachus extitit. Quelques Auteurs y ajoutent Denis le Petit, si célèbre pour le recueil qu’il a fait des Saints Canons. C’est tout ce que je dirai de ce premier siècle, qui a fourni assez de matière pour remplir plusieurs volumes. J’ai déjà parlé de la Mission de saint Placide et de nos premiers Martyrs.

Depuis l’année 580 jusqu’à l’année 680.

Ce second siècle de notre Ordre fut encore plus glorieux et bien plus utile à l’Église. Celui qui occupait dans son commencement la Chaire de saint Pierre et qui gouvernait toute l’Église était Pelage II. Ce grand pontife assembla plusieurs Conciles pour pourvoir aux présents besoins de la Religion. Des écrivains dignes de foi le font disciple de saint Benoît et Religieux de son Ordre: aussi eut-il un grand zèle pour notre Institut, qu’il favorisa à Rome et partout ailleurs. Il l’étendit et en multiplia les Maisons ; car quoique de son temps et même du vivant de saint Benoît, il y eut dans Rome des Monastères de l’Ordre, où nos Religieux vivaient avec une sainteté admirable; on y en bâtit encore d’autres de son temps : même les principales Églises de cette grande Ville furent données durant ce siècle à nos Solitaires, par la libéralité des Souverains Pontifes, du consentement du clergé.

Mais saint Grégoire le Grand surpassa tous ses prédécesseurs dans l’amour qu’il avait pour un Ordre, qu’il avait lui-même embrassé, et dans le zèle qu’il témoigna à le favoriser. Avant qu’il fut élevé au Souverain Pontificat, il fit de son propre Palais un Monastère, il y mit nos Religieux, et après cela il y entra lui-même et y fit profession. Rome servit d’exemple aux autres villes d’Italie, et à toutes les provinces de l’Empire. Car on bâtit partout de nouveaux Monastères, et on réforma les anciens, en y établissant l’observance de la Règle de saint Benoît: et dans tous ces saints lieux un nombre infini de Prélats, d’Abbés, d’Abbesses et de Solitaires très parfaits de l’un et l’autre sexe ont éclairé le monde par leur sainteté, par leur doctrine, par leurs miracles et par leurs grandes actions. Le Père Mabillon en rapporte une partie, après cent autres écrivains.

Je n’entreprends pas de nommer ici tous les grands Prédicateurs, que l’Ordre a produits durant ce siècle. Ce sont eux qui ont renversé l’idolâtrie et planté la foi de Jésus-Christ dans tant de nations et de provinces, qui les reconnaissent et qui les honorent comme leurs véritables Apôtres. D’un si grand nombre je ne nommerai que saint Omer et saint Amand, par qui les restes de la Gentilité furent arrachées en France et dans les Pays-bas. L’Angleterre fut éclairée par la lumière de l’Évangile, que saint Augustin, Saint Laurent, Saint Mélice, Saint Wilfried, et Cuthbert y répandirent. Et plusieurs provinces d’Allemagne reçurent la véritable Religion par les prédications de Winefride et de Rupert. Il ne faut pas douter que ces grands hommes, ces Solitaires zélés n’aient planté la profession monastique dans ces États avec la foi de Jésus-Christ. Car la France, qui avait déjà reçu dès le sixième siècle la vie religieuse par le ministère de S. Maur, fut dans celui-ci toute remplie et toute enrichie de Monastères de notre Institut dans toutes ses provinces par le zèle des saints Colomban, Eustase, Amand, Agile, et Philibert. Saint Fructueux et saint Ildefonse éclairèrent l’Église d’Espagne et étendirent notre Institut dans ce Royaume.

Prières

Oratio

Concéde, quǽsumus, omnípotens Deus : ut ad meliórem vitam sanctórum Monachórum exémpla nos próvocent ; quátenus, quorum solémnia ágimus, étiam actus imitémur. Per Dóminum.

Oraison

Accordez-nous, nous vous en supplions, ô Dieu tout-puissant, que les exemples des Saints Moines nous excitent à une vie meilleure, en sorte que nous imitions aussi les œuvres de ceux dont nous célébrons la fête. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Prières de Dom Joseph Mège à Saint Benoît (1625-1691)

Pourquoi, Seigneur, avez-vous rendu Saint Benoît si admirable et si parfait ? Pourquoi l’avez-vous élevé au milieu de votre Église comme un astre brillant et comme un éclatant flambeau ? N’est-ce pas pour nous éclairer ? Et à quoi nous servira sa lumière, si vous ne nous donnez des yeux pour la voir et des forces pour faire le bien qu’il nous découvre ? Faites-nous donc, mon Dieu, cette faveur parfaite; et après nous avoir montré un modèle si accompli, faites que nous l’imitions parfaitement. Ainsi soit-il.

Esprit divin, Consolateur adorable, qui êtes la source infinie et féconde de toutes les grâces et de toutes les vertus, qui les possédez toutes dans votre indivisible unité, et qui les répandez et les partagez sans vous épuiser. C’est vous qui avez inspiré, et qui avez enrichi les Patriarches, les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Confesseurs, les Prélats et les Vierges. C’est de votre plénitude que les Solitaires de tous les siècles, de toutes les nations et de tous les Ordres ont tiré leur esprit. Et c’est vous adorable Esprit du Père et du Fils, qui avez donné à Saint Benoît, par un privilège unique, l’esprit de tous les justes. Faites-moi part de cet Esprit de sainteté afin que je puisse partager la gloire des bienheureux dans le Ciel. Ainsi soit-il.

Antienne

Ã. Exsúltet ómnium turba fidélium pro glória almi Patris Benedícti : læténtur præcípue catérvæ monachórum, celebrántes eius festa in terris, de cuius societáte Sancti congáudent in cælis.

Ã. Que toute l’assemblée des fidèles se réjouisse de la gloire accordée à notre auguste Père Benoît ; que les phalanges des moines surtout se livrent à la joie de célébrer sur terre la fête de celui que les saints sont heureux d’avoir pour compagnon dans le Ciel.

Antienne grégorienne “Exultet omnium”

Antienne Exultet omnium

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1er novembre — Toussaint

1er novembre — Toussaint

1er novembre — Toussaint

La Punchline de Saint Benoît

Ne pas vouloir être dit saint avant de l’être,
mais l’être d’abord, afin de l’être dit avec plus de vérité.

Les Béatitudes (Mt 5, 1-12) : commentaire de Dom Paul Delatte

À la vue des foules qui se pressent pour l’entendre, le Seigneur est descendu du sommet de la montagne où, selon saint Marc et saint Luc, il a choisi les Douze : il se trouve sur une vaste croupe ou une sorte de plateau ; les disciples sont tout près de lui, au premier plan. C’est vers eux qu’il lève les yeux, dit saint Luc, c’est à l’intelligence apostolique qu’il confie tout d’abord la vérité surnaturelle, avec charge de transmission et d’interprétation officielle ; c’est à eux que s’applique à la lettre un grand nombre des enseignements du Seigneur, surtout dans la rédaction de saint Luc : néanmoins, l’un et l’autre évangéliste laissent bien entendre que le Seigneur s’adresse à toute âme de bonne volonté. On nous dit d’abord à quelles conditions le Royaume de Dieu se réalise en nous et devient nôtre ; ce sera le portrait authentique du disciple de la Loi nouvelle. Chose remarquable : c’est de bonheur que l’on nous parle en premier lieu. Et c’est précisément ce que tous souhaitent uniquement : « Quel est l’homme qui veut la vie et désire des jours heureux ? » demande saint Benoît, avec le Psaume 33. Et chacun s’empresse de répondre, comme dans la règle monastique : « C’est moi ! » Dès lors, voici les dispositions intérieures qui nous feront entrer dans la région du vrai bonheur. Ne regardons pas à leur caractère très imprévu : les exigences du Royaume de Dieu bravent, il est vrai, la pensée commune, elles démentent les idées courantes ; mais qu’importe, pour ceux qui croient en Dieu.

« Bienheureux les pauvres. » C’est la richesse qui crée une différence extérieure entre les hommes. La vie, le manger, le boire, le vêtement et, comme conséquence, l’attitude générale d’un homme dans le monde, tout cela est défini par sa fortune. L’argent est principe de puissance et d’action universelle. Israël, comme toute société, était distribué en deux classes : les riches, les pauvres. Les premiers sont les heureux du siècle : ils portent beau, leur allure est fière et souveraine. Les pauvres, en style biblique, ce sont les humbles, les petits, les méprisés, les délaissés, les inaperçus, ceux qui ne font point figure. Souvent l’Ancien Testament s’est préoccupé d’eux et leur a promis l’assistance particulière de Dieu : Quia liberabit pauperem a potente, et pauperem cui non erat adiutor ; parcet pauperi et inopi, et animas pauperum salvas faciet (Ps 71, 12-13). Bienheureux les pauvres, dit à son tour le Seigneur, — les pauvres par l’esprit, précise saint Matthieu. Cela ne veut pas dire : heureux les pauvres d’esprit, c’est-à-dire les ignorants et les sots. S’agit-il des pauvres à qui l’esprit de Dieu a inspiré la pauvreté ? ou bien de ceux qui ont eu, comme le philosophe Cratès, assez d’esprit pour comprendre que la richesse est une servitude, et qui ont voué toute leur vie à la pauvreté volontaire ? Sans exclure aucune explication orthodoxe, nous croyons que le sens obvie et naturel est celui-ci : bienheureux ceux qui sont vraiment humbles. Dieu ne béatifie point la pauvreté matérielle : on n’est pas riche ou pauvre à son gré. Mais comme les formes extérieures de la pauvreté sont matière à contrefaçon, le Seigneur, afin de déjouer toute hypocrisie, dit : pauperes spiritu ; non les humbles de simulation et d’apparence, mais les humbles de réalité, de cœur, d’esprit. Bienheureux êtes-vous, pauvres, parce que le Royaume des cieux est à vous, il vous appartient dès maintenant. C’est à vous que vient le roi du ciel. Les humbles n’ont rien, ne désirent rien ; ils sont vraiment pauvres. Non, ils sont vraiment riches : « Comme n’ayant rien et cependant possédant tout », dira l’Apôtre (2 Cor 6, 10). Au cœur de chacun d’eux, la joie de l’éternité est constituée déjà. Et pour ceux qui écoutaient le Seigneur sur la montagne, le Royaume des cieux, c’était l’ensemble complexe et mystérieux des bénédictions qu’apportait au monde le règne messianique. Les humbles dans leur humilité possèdent un titre irrécusable à cet héritage du Christ, et les humbles seuls. Notre-Dame avait proclamé cette loi providentielle, dès la première heure de l’Incarnation : Deposuit potentes de sede et exaltavit humiles ; esurientes implevit bonis et divites dimisit inanes.

Saint Matthieu énumère huit béatitudes, saint Luc quatre seulement, les 1ère , 3ème , 4ème et 8ème de saint Matthieu. Il faut noter que ces béatitudes ne désignent pas différentes catégories de personnes, mais les conditions intérieures moyennant lesquelles chacun devient membre du nouveau Royaume. Au fond, ce n’est peut-être qu’une seule disposition psychologique, mais présentée dans chaque béatitude sous un angle spécial et sous une forme doucement progressive. — « Bienheureux les doux. » Les humbles n’ont pas de pouvoir ; leur condition chétive les expose à l’oppression. Que de fois l’Ancien Testament est-il obligé de recommander aux juges, trop facilement prévaricateurs, le respect des petits, de la veuve et de l’orphelin ! Lorsque le roi du royaume nouveau a été prédit par Isaïe, le prophète a dit de lui : « Il ne jugera point d’après ce qui tombe sous les regards, et il ne prononcera point d’après ce qui frappe les oreilles ; mais il jugera les petits avec équité et fera droit aux humbles de la terre » (Is 11, 3-4). Mais ici, le Seigneur va plus loin : par un solennel démenti aux coutumes du siècle, il proclame le bonheur des doux et des humbles, ainsi que leur récompense spéciale : « Ils posséderont la terre ». Le Psaume 36 avait dit déjà : « Ceux qui espèrent dans le Seigneur auront la terre en partage… Les doux posséderont la terre et goûteront une abondance de paix… Les justes posséderont la terre et y habiteront à jamais ».

Comment ceux qui sont doux posséderont-ils la terre? Nous avons lu quelque part qu’ils posséderont et la terre qui les porte, et la terre qu’ils portent, et la terre qu’ils espèrent, terram quam terunt, terram quam gerunt, terram quam sperant. Alors que, habituellement, ce sont les forts et les violents qui emportent tout, désormais c’est aux doux que sera soumis le monde. Il y a une contagion de la douceur qui dompte même les bêtes féroces : on dit que les lions respectent les enfants. C’est vers les doux qu’ira même la richesse de ce monde. Et nous ne pouvons nous empêcher de songer à cette puissance terrienne de l’ordre monastique, que les siècles avaient constituée lentement en faveur des humbles et des pauvres volontaires : comme si toute richesse, même matérielle, tendait de son propre poids à retourner vers Dieu. — Les doux seront maîtres chez eux, maîtres de leur corps : terram quam gerunt. Leur douceur conjurera les secousses, les révoltes, les retours offensifs de la sensibilité : elle éliminera tout ce que le péché a laissé en nous de malade ou d’impur. Il existe une affinité singulière et comme une sorte de parenté entre la douceur et la pureté. Aussi l’Église nous fait-elle chanter : Virgo singularis, Inter omnes mitis. Nos culpis solutos Mites fac et castos. (Hymne Ave Maris Stella).

Et pourtant il semble que le sens véritable et rigoureux de l’expression « posséder la terre », qui revient souvent dans la Bible, soit celui de l’entrée dans la vraie terre promise, dans le royaume messianique, du temps et de l’éternité. Les doux ont un droit réel à cet héritage ; aussi le texte original signifie-t-il : posséder par droit d’héritage. Remarquons en passant la forme symbolique et imprécise sous laquelle sont exprimés les biens éternels, et combien le ton et l’expression sont adaptés à des Juifs, appropriés aussi à corriger dans leur esprit toutes les limitations, tous les préjugés que leur avait inspirés l’éducation des scribes. Le Seigneur réforme sans bruit les idées courantes ; il habitue le peuple à une conception plus exacte du caractère et du rôle du Messie.

La troisième béatitude poursuit la pensée des deux premières. Les pauvres, les petits, les méprisés, n’ont point de part aux joies d’ici-bas. Mais, dira quelqu’un, pourquoi cette expression « ceux qui pleurent »? Nous pourrions observer d’abord que les langues sémitiques manquent souvent de nuances : elles procèdent par voie d’affirmations nettes, un peu crues, laissant au lecteur intelligent le soin de prendre les mots selon leur acception convenable. En voici deux exemples. Dieu dit par Malachie (1, 2-3), et sa parole a été citée par l’Apôtre (Rm 9, 13) : « J’ai aimé Jacob, mais j’ai haï Esaü ». Ce n’est pas que le Seigneur ait réellement détesté Esaü, mais on veut dire qu’il a eu de la prédilection pour Jacob et qu’il a aimé Esaü moins que son frère. De même, dans la Genèse (43, 34), il est rapporté que les frères de Joseph, avec Benjamin, lors de leur second voyage en Égypte, furent reçus à la table de Joseph : biberuntque et inebriati sunt cum eo ; ce qui, entendu matériellement et à la lettre, signifierait : ils burent et s’enivrèrent avec lui ! Ceux qui pleurent ne sont pas seulement ceux qui versent des larmes, mais au sens premier et littéral, ceux-là mêmes dont nous ont parlé les deux premières béatitudes, ceux qui, conscients de leur petitesse et de leur pauvreté, sont en proie à l’anxiété ; l’inquiétude, le souci du pain quotidien les suivent habituellement. Leur part de bonheur est petite. On ne leur voit jamais cette joie épanouie et large des heureux de la terre. Dans la pensée du Seigneur, ceux qui pleurent, ce sont tous les hommes, riches ou pauvres, que les mondains regardent comme privés de la joie, ou comme ennemis de la joie, à raison même de la gravité de leur vie et de leur morale austère. Et nous entendrons plus tard le Seigneur répéter aux siens : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous serez dans l’affliction et les larmes, tandis que le monde se réjouira ; vous connaîtrez la tristesse, mais cette tristesse se changera en joie » (Io 16, 20).

Ils seront consolés, Dieu leur réserve une compensation digne de sa tendresse. Aussi bien, les aspérités mêmes de leur vie les guident; elles leur sont une invitation à placer ailleurs qu’ici-bas le centre de gravité de leur âme. Il est naturel de se retirer d’une région reconnue inhabitable. Détachés du monde, ils deviennent ainsi libres d’aller vers Dieu et de s’attacher à lui. Et ils sont heureux déjà : Quasi tristes, semper autem gaudentes (2 Cor 6, 10). Ce sont même, au fond, les seuls vraiment heureux : et leur physionomie extérieure en témoigne. On voit maintenant pourquoi nous avons cru devoir atténuer ou plutôt élargir la signification de cette expression : ceux qui pleurent. De même qu’il ne s’agit ici que d’humilité vraie et intérieure, de pauvreté spirituelle, il n’est aussi question que d’une tristesse dont l’origine est surnaturelle. Ainsi nous avons réservé une place, dans cette béatitude, à ceux qui n’ont et ne désirent aucune satisfaction mondaine, et de qui pourtant la vie n’est que joie profonde : eux aussi pleurent parfois, mais c’est de trop de bonheur.

« Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice ». Comprenons d’abord ce que c’est que justice. Volontiers, nous rappellerions que la vie, selon des philosophes, a pour condition première une adaptation, une sorte de coordination harmonieuse du vivant avec certaines conditions données. Plus cette adaptation est étendue et parfaite, plus la vie est puissante. Lorsqu’il y a, pour un germe vivant, accord entre ce qu’il est et les circonstances d’humidité, de chaleur, de climat, du sol où il a été jeté, c’est alors que sa vie se développe en entier. Il est en état de justice, d’ajustement exact. Transportons ce concept dans l’ordre de choses qui nous occupe. La justice a toujours été considérée en Judée comme une équation entre la vie de l’homme et la volonté de Dieu, telle que celle-ci avait été formulée aux jours de l’Alliance. La justice prêchée par le Seigneur sera encore adaptation et équation entre notre volonté et la volonté divine. Il ne s’agira plus d’une conformité extérieure et rituelle, d’une justice de façade ou de minuties, mais bien d’une adhésion intime, d’un acte vital et profond. Aussi ne pourra-t-on jamais s’applaudir, comme le pharisien, du résultat acquis, et s’y reposer. Cette justice devient la nourriture et le breuvage de notre être moral. Et de même que dans l’ordre naturel notre vie ne se maintient et ne se développe qu’à la condition que nous mangions souvient et, nous assure la biologie, toujours ; de même l’âme du chrétien aime la justice comme on aime les aliments qui nous font vivre. « Ma nourriture, a dit le Seigneur lui-même, est d’accomplir la volonté de celui qui m’a envoyé ». La quatrième béatitude vise donc les âmes uniquement désireuses de conformité à la volonté de Dieu ; non contentes d’éliminer toute œuvre et toute disposition en désaccord avec lui, elles cherchent la loyauté, la vérité absolue de la vie, l’unité de pensée, de vouloir et d’action avec Celui qui les meut intérieurement. « Car ils seront rassasiés ». L’avidité des mondains ne sera jamais comblée ; il ne leur restera de leurs fausses joies qu’amertume et dégoût, regret et remords ; mais ceux qui ont faim et soif de justice, d’union étroite avec le Seigneur, ceux-là seront rassasiés, au delà de tout ce qu’ils peuvent pressentir. Dieu n’attendra même pas l’éternité pour donner à leur cœur plus d’allégresse qu’il n’en peut contenir. La béatitude est accordée déjà au désir.

Nous arrivons au milieu des béatitudes. Il semble bien que les quatre premières de la série sont unies ensemble comme des degrés successifs, et qu’elles ont un caractère commun d’élimination, d’affranchissement. Elles applaudissent à l’évanouissement de ce qui fait le bonheur selon le monde, et la quatrième paraît avoir consommé la séparation d’avec toutes les joies inférieures pour attacher l’âme à un seul désir, à la faim et à la soif du Royaume de Dieu. On dirait que dans l’intervalle de la quatrième à la cinquième, il s’est passé un fait qui assure un caractère positif aux béatitudes suivantes, et que l’âme puise dans un trésor secret tout le bien qu’elle va réaliser désormais. L’égoïsme est éliminé. Maintenant l’âme est en parenté avec toute misère. Elle prélève sans fin sur sa richesse débordante pour faire des heureux autour d’elle. « Bienheureux les miséricordieux ». Nous devons prendre le mot miséricorde dans toute l’étendue de son acception. C’est la compassion affectueuse, la bienveillance qui s’incline vers toute souffrance et tout chagrin. C’est aussi la charité active qui s’emploie à adoucir, à aider, à calmer par l’aumône sprituelle ou. matérielle la détresse que nous trouvons autour de nous. C’est surtout la disposition au pardon, l’oubli facile de toutes les injures ; oubli d’autant plus aisé que rien ne saurait atteindre l’âme chrétienne lorsqu’elle se tient fixée dans son centre. Nul ne peut nous nuire vraiment, parce que nul ne peut toucher à Dieu, ni toucher à notre âme, ni toucher au lien qui existe entre elle et Dieu. Il n’y a jamais motif à rancune ni à un souvenir amer. Nous n’avons pas d’ennemis. Au fond, notre seul ennemi, c’est nous-même, lorsque nous nous éloignons du Seigneur.

La sixième béatitude est celle des cœurs purs. Nous devons bien l’entendre. Trop souvent, elle est limitée à l’exclusion des fautes grossières. Il est clair pourtant, qu’il ne suffit pas, pour voir Dieu, d’avoir retranché de soi toute tendance impure ; on dit même, et avec raison, que le Seigneur déteste l’orgueil plus encore que l’impureté. Les béatitudes sont à double fin : elles démentent et les préjugés mondains et les préjugés des Juifs. Ce n’est plus de pureté extérieure et légale, dit le Seigneur à ces derniers, qu’il est question aujourd’hui. Il ne s’agit plus d’appliquer scrupuleusement les formules familières aux scribes : « Ne prenez pas ceci, ne goûtez pas cela ! » (Col 2, 21). Il est vraiment trop simple de se laver les mains, de se purifier le corps entier par des ablutions multiples, de faire passer dans l’eau les plats, les coupes et toute la vaisselle (Mt 15, 1-20 ; 23, 23-28). Désormais, l’absence des souillures légales (emundatio carnis, Hbr 9, 13) doit faire place à la pureté intérieure et morale. Il s’agit de préparer en nous le sanctuaire du Dieu vivant.

Mais encore, en quoi consiste cette pureté? Un métal est pur lorsqu’il y a chez lui absence d’alliage, élimination des scories, évanouissement de tout ce qui n’appartient pas à son unité et à sa parfaite simplicité. De même, la pureté morale est la disparition de tout compromis avec ce qui est dangereux, égoïste ou personnel. C’est l’adieu donné à ce qui n’est pas la substance de notre vie spirituelle, à tout ce qui ne se réclame pas de la foi, de l’espérance, de la charité. C’est la sainte et jalouse virginité de l’âme, se traduisant dans notre activité tout entière et jusque dans la sensibilité. Il faut s’arrêter devant cette béatitude : elle est incomparablement aimable. Est-ce qu’elle ne résume pas toutes les autres? C’est la béatitude de la délicatesse, et, répétons-le, de la virginité. Elle est très étroitement liée à la mortification des sens, et en particulier de la vue. La plus rapide, la plus inoffensive des expériences, croit-on, mais aussi la plus périlleuse, se trouve dans le regard. Bienheureux ceux qui ne regardent rien, qui ont immolé toute curiosité, et qui ont perdu souci de voir ou d’être vus ; ceux qui réservent leur regard pour la beauté du Seigneur lorsqu’elle se manifestera. Ils en jouissent déjà ; les cœurs purs, et eux seuls, font dès ici-bas connaissance avec Dieu.

Rappelons-nous que les quatre dernières béatitudes ont un caractère de plénitude et de rejaillissement. Cela est manifeste pour la septième. Le Seigneur a béatifié déjà la douceur et la miséricorde ; mais les pacifiques ajoutent quelque chose à toutes les conditions reconnues jusqu’ici. Ce ne sont pas seulement des paisibles et des compatissants ; ce sont des hommes qui font la paix, qui sèment la paix autour d’eux : Homines divites in virtute, pulchritudinis studium habentes, pacificantes in domibus suis (Eccl 44, 6). Grâce à Dieu, le bien, autant au moins que le mal, a son influence, et tout homme est une force d’orientaion. Le Royaume des cieux nous est révélé comme un séjour de paix avec Dieu, de paix avec le prochain, de paix avec soi : tranquillité dans l’ordre et subordination à Dieu. Le roi de cet empire nouveau est un roi pacifique ; il n’a apporté la guerre et le glaive que contre les éléments de désordre et de division. Mais les pacifiques ne seront pas seulement citoyens de ce royaume, l’évangile ne dit même plus d’une façon voilée, comme pour les doux, qu’ils posséderont en héritage la terre promise ; il les appelle les fils de Dieu : filii Dei vocabuntur. Non seulement on leur donnera le nom de fils, mais ils seront en réalité tout ce que ce nom signifie (1 Io 3, 1). Non seulement ils seront tels, mais ce sera visible aux yeux de tous. Il y aura dans toute leur vie, même extérieure, quelque chose de souple, d’aisé, de docile, qui leur viendra de l’influence et de la motion secrète de l’Esprit du Père et du Fils : Quicumque enim Spiritu Dei aguntur, ii sunt filii Dei (Rm 8, 14). Nous reconnaissons la relation que soutient la béatitude des pacifiques avec la plénitude de la vie surnaturelle.

La huitième béatitude semble plus inattendue que les autres. Des hommes qui se retirent du monde, diminuent d’autant les âpretés de la concurrence terrestre et renoncent à toute rivalité, des hommes de miséricorde et de paix, qui ne font que du bien, comment pourraient-ils avoir quelque chose à craindre ? Ils n’entrent en conflit avec personne, ils sont inoffensifs : pourquoi les poursuirait-on? On les aimera, sans doute ; tout au plus les négligera-t-on : mais quel motif pourrait-on avoir de les haïr ? Et pourtant l’histoire nous a appris que les hommes supportent difficilement un esprit qui n’est pas le leur et surtout des principes supérieurs à leurs principes. Alors il y aura des persécutions, endurées « pour la justice », à raison du seul attachement de plusieurs à Dieu et à sa volonté. La haine du bien et de Dieu peut sembler inexplicable, mais elle sera ; il y aura des gens qui ne seront poursuivis et molestés que pour leur vertu, à cause de celui qu’ils représentent et qu’ils servent. Les prétextes ne manqueront jamais, d’ailleurs, aux persécuteurs ; et ce sera au nom de la justice elle-même ou de la loi que les justes auront à souffrir : « L’heure vient, dira plus tard le Seigneur, où quiconque vous fera mourir s’imaginera offrir un sacrifice à Dieu » (Io 16, 2).

Mais comment expliquer la béatitude attribuée aux persécutés? C’est que la souffrance n’est qu’une étape d’un instant ; c’est que la promesse divine est telle qu’elle efface toute crainte : « Il n’y a nulle proportion entre les souffrances du temps présent et la gloire future qui sera manifestée en nous » (Rm 8, 18). Mais la huitième béatitude a une autre acception encore. Remarquons qu’elle est conçue, au point de vue de sa récompense, absolument comme la première ; dans l’un et l’autre cas, il est dit : « Car le Royaume des cieux est pour eux ». Il n’y a de bonheur qu’à s’attacher à Dieu ; et nous devons considérer comme une bonne fortune tout ce qui nous porte vers lui. Déjà, les trois premières béatitudes avaient été pour nous comme une mise en demeure de désirer la justice et de nous tourner vers la source de l’unique vraie joie. Or, voici qu’au terme des béatitudes positives, nous rencontrons une précaution divine de même nature. Dieu est tellement jaloux de nous garder près de lui qu’il sème l’amertume sur tout ce que notre pauvre cœur pourrait chercher hors de lui. Il crée autour de nous la haie épineuse des persécutions, afin que nulle tentation ne nous vienne de nous appuyer et de nous reposer sur les choses créées. C’est une coalition universelle contre nous. Mais tout, même l’ennemi, devient ainsi l’auxiliaire de Dieu. « La crainte et l’épouvante ont fondu sur moi, chantait le Psalmiste, et les ténèbres m’ont enveloppé. Alors j’ai dit : Qui me donnera des ailes comme à la colombe, afin que je m’envole et m’établisse dans la paix ! » (Ps 54, 6-7).

Les paroles qui suivent, en saint Matthieu, ne sont pas une nouvelle béatitude, mais le développement de la dernière, avec un dessein de transition, avec un souci d’application personnelle aux apôtres. Ce même développement constitue la quatrième béatitude chez saint Luc. Le Seigneur a jugé bon d’insister, à raison de l’excellence de cette béatitude, parce qu’elle est la plus assurée, et aussi la moins tolérable. Vous serez heureux, vous êtes heureux, lorsque la haine des hommes s’acharne contre vous, lorsqu’ils vous maudissent et vous persécutent, lorsqu’ils vous excommunient, lorsqu’ils sèment contre vous toutes sortes d’imputations mensongères, qu’ils rejettent votre nom comme infâme. Supportez tout cela à, cause de moi, à cause de votre appartenance au Fils de l’homme. On vous traite comme on m’a traité. Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; pourquoi vous étonner de partager mon sort? (cf. Io 15, 18 ; 16, 4). Au lieu de vous étonner, ce jour-là, vous tressaillerez de joie (Act 5, 41) : parce que votre récompense sera grande dans les cieux. Il s’agit tout à la fois et du royaume définitif de l’éternité, et du royaume tel qu’il se trouve déjà réalisé sur terre. « Je surabonde de joie dans toutes les tribulations », disait quelqu’un qui avait compris cette doctrine et enduré la persécution (2 Cor ; Rm 5, 3-5 ; 8, 35-39 ; etc.). La souffrance du disciple est comme le supplément et l’achèvement de celle du Maître (Col 1, 24).

Aussi bien, la loi est universelle : successeurs des prophètes, vous aurez le sort des prophètes. La gloire et le bonheur de la créature, c’est d’être à Dieu à ce point que Dieu puisse user d’elle souverainement et, sans crainte de contestation ni de révolte ni même de surprise, porter jusqu’à l’extrême toutes les exigences de son pouvoir absolu. Or, les apôtres succédaient aux prophètes, ils héritaient de leurs fonctions ; ils devaient achever cette œuvre d’élargissement qui avait été la mission des prophètes et réaliser ce qu’ils avaient promis. Ils entraient ainsi en participation de la condition des prophètes, devant Dieu et devant les hommes. La rivalité est fatale entre le bien et le mal ; l’humanité est à l’image de l’homme ; la lutte intime du bien et du mal en chacun se traduira dans la vie sociale. Comme les pères ont persécuté les prophètes, les enfants persécuteront les héritiers des prophètes. Le Seigneur parle de toutes ces choses avec tranquillité, avec une sorte de négligence, comme s’il disait : ce n’est rien, ne sortez pas, pour si peu, de votre paix et de votre joie. Et il s’adresse aux apôtres, sans doute, mais en même temps à tout chrétien. La loi est pour tous la même : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement dans le Christ Jésus auront à souffrir persécution » (2 Tm 3, 12).

Dans saint Luc, quatre malédictions répondent aux béatitudes (cf. Is 55, 13-16). Elles signalent les conditions morales qui excluent du Royaume des cieux. Bienheureux les pauvres, les affamés, les persécutés ; mais malheur à vous, les riches, car vous avez votre consolation. Vous vous suffisez ; Dieu vous est devenu inutile ; votre argent est votre pourvoyeur et votre providence (Iac 5, 1-6). Malheur à vous qui êtes rassasiés et repus (Is 5, 22) ; car vous connaîtrez la faim. Malheur à vous qui riez maintenant, car vous gémirez et verserez des larmes. Malheur, lorsque tous les hommes diront du bien de vous : car c’est ainsi qu’agissaient vos pères à l’égard des faux prophètes. — Et ainsi, les malédictions, comme les béatitudes, s’achèvent par la prophétie de l’attitude hostile que prendra le monde dans le conflit maintenant ouvert au sujet du Royaume de Dieu.

Prières

Oratio

Omnípotens sempitérne Deus, qui nos ómnium Sanctórum tuórum mérita sub una tribuísti celebritáte venerári : quæsumus ; ut desiderátam nobis tuæ propitiatiónis abundántiam, multiplicátis intercessóribus, largiáris. Per Dóminum.

Oraison

Dieu tout-puissant et éternel, qui nous avez accordé de célébrer dans une même solennité les mérites de tous vos Saints ; faites, nous vous en prions, que nos intercesseurs étant multipliés, une abondante effusion de vos miséricordes, objet de nos désirs, nous vienne de votre munificence.

Prière de Saint Jean Chrysostome (345-407)

Ô mon âme, viens et contemple ; un spectacle bien plus imposant t’appelle ; viens contempler une assemblée qui se compose de bienheureux, de qui la magnificence des vêtements l’emporte sur tout l’éclat du soleil. Ce qui le forme, ce sont les anges, les archanges, les trônes, les dominations, les principautés et les puissances. De là, élève-toi jusqu’au Monarque de cet empire, et contemple si tu peux cette ravissante Majesté. Voilà les félicités qui t’attendent. Et parce qu’il t’en coûterait quelque effort d‘un moment, tu renoncerais à sa possession ? Ah ! Fallût-il mourir mille fois à chaque journée, pour le bonheur de contempler Jésus-Christ dans sa gloire, d’être au nombre des Saints ; non, les maux les plus cruels, mille morts ne sont rien.

Ô mon Dieu, si à la vue de votre Transfiguration, Pierre s’écrie : « Seigneur, nous sommes bien ici » ; si la grossière image de la gloire future absorbe toutes les pensées de l’Apôtre, si elle le pénètre des plus vives impressions de joie et de félicité, que sera-ce de la réalité même ? Que sera-ce quand vos tabernacles, s’ouvrant tout entiers, vous découvriront à nos regards ; non plus à nos hommages, mais à notre amour et à nos embrassements ; non plus à travers les voiles de l’énigme, mais tel que vous êtes, et face à face ? Faites-moi donc la grâce, ô mon Dieu, de vous aimer sur la terre avec tant d’ardeur, que je mérite un jour de jouir, avec les bienheureux, du bonheur de vous voir et de vous posséder dans votre immortel triomphe. Ainsi soit-il.

Antienne

Ã.Angeli, Archángeli, Throni et Dominatiónes, Principátus et Potestátes, Virtútes cælórum, Cherubin atque Seraphim, Patriárchæ et Prophétæ, sancti legis Doctóres, Apóstoli omnes, Christi Mártyres atque Confessóres, Vírgines Dómini, Anachorétæ, Sanctíque omnes, intercédite pro nobis.

Ã. Anges, Archanges, Trônes et Dominations, Principautés et Puissances, Vertus, Chérubins et Séraphins, Patriarches et Prophètes, saints Docteurs de la loi, tous les Apôtres, Martyrs du Christ et Confesseurs, Vierges du Seigneur, Anachorètes, et tous les Saints, intercédez pour nous.

Antienne grégorienne “Angeli, Archangeli”

Antienne Angeli, Archangeli (Toussaint)

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