29 avril — Saint Hugues, Abbé de Cluny

29 avril — Saint Hugues, Abbé de Cluny

29 avril — Saint Hugues, Abbé de Cluny

Le mot de Saint Benoît

Confesser chaque jour à Dieu dans la prière avec larmes et gémissements ses fautes passées, et, de plus, se corriger de ses fautes.

Saint Hugues et l’Ordre de Cluny : extrait des Fleurs monastiques de Maxime de Mont-Rond

Si l’esprit d’association se produisit de bonne heure au sein de Cluny, il fut néanmoins très lent à se réaliser d’une manière solide et durable. Sous saint Odon, au milieu du 10ème siècle, la Congrégation de Cluny apparut vaste et belle. De nombreux monastères que le pieux abbé avait été appelé à réformer, jusqu’au sein de Rome, avaient accepté les mêmes règles de conduite et de discipline, mais sans d’autres liens communs que leur vénération et leur confiance envers le saint abbé. À la mort d’Odon, l’œuvre d’unité fut encore une fois ébranlée et dissoute. L’idée féconde d’association germait cependant, et, au jour marqué par la Providence, elle arriva enfin à sa maturité. Saint Hugues doit être regardé comme le vrai fondateur de la Congrégation de Cluny : c’est lui qui l’est en effet. Il sut faire accepter, aimer, ces liens d’émulation, de vigilance, d’activité et d’humble subordination qui l’ont rendue si forte et si puissante. Sous le gouvernement de saint Hugues, qui remplit plus de la seconde moitié du 11ème siècle (1049-1109), Cluny prit des développements inconnus jusqu’alors et qu’il n’a plus surpassés depuis. Si le 11ème siècle tout entier est le grand siècle de Cluny, sa seconde moitié cependant l’emporte sur la première sous le rapport de l’éclat, de l’influence et des services rendus à l’Église et à la société. Concentrons donc nos regards sur cette brillante époque de Cluny. Elle se personnifie dans l’histoire du plus illustre de ses abbés, celui que les chroniques contemporaines appellent Hugues le Grand.

En l’an 1024, naquit au château de Semur-en-Brionnais, du comte Dalmace et d’Aremburge de Vergy, sa femme, un fils qu’on nomma Hugues. On rapporte que cet enfant, destiné à de grands desseins, fut montré quelques jours avant sa naissance à un prêtre de haute renommée, dans l’action même du saint Sacrifice offert aux intentions de sa pieuse mère. La gracieuse image apparaissant au-dessus du calice, semblait puiser son éclat, et retremper, par avance, sa force et sa vertu dans le vin mystique qui fait germer les vierges. Cet enfant grandit. Heureusement inhabile au métier des armes, auquel le désir de son père l’appelait, il ouvrit de préférence son âme aux vertueuses et pacifiques influences de sa mère, et se donna de bonne heure tout entier à Jésus-Christ. Il aimait à visiter l’Église et à fréquenter la maison des Clercs de Sémur. Avant sa quinzième année, on le vit s’envoler, à l’insu des siens, vers la bienheureuse solitude de Cluny. A vingt-cinq ans à peine, il était élu par acclamation abbé général de l’ordre de Cluny (1049). Le gouvernement des vieillards était remis aux mains d’un jeune homme. Dieu abrégeait les temps; il avait hâte de délivrer son Église.

À côté de Hugues croissait comme lui en âge et en sagesse un jeune Frère, Toscan d’origine : c’était Hildebrand (futur Pape Saint Grégoire VII), d’abord chanoine régulier à Rome, et qu’avait attiré à Cluny la renommée de ferveur du monastère bourguignon. Hugues, assis sur la chaire abbatiale, vit Hildebrand lui succéder dans la seconde dignité, celle de grand prieur de Cluny. Les deux jeunes élus, sentinelles vigilantes dans ce paisible camp, unissaient leurs vœux ardents et leurs ferventes prières, dans l’attente du grand combat qu’ils allaient bientôt engager pour le salut et l’affranchissement de l’Église.

Hugues, comme avant lui saint Colomban, et après lui saint Bernard, possédait cette beauté corporelle dont Dieu se plaît à revêtir souvent ses grands serviteurs, afin de leur rendre plus facile, au milieu d’un monde grossier, l’accomplissement de ses desseins providentiels. Mais sa vertu et sa sagesse l’emportaient encore sur les grâces angéliques de sa figure. À l’aide de trois moyens puissants, il vint à bout d’assurer la solidité de son œuvre mieux que n’avaient su faire ses illustres prédécesseurs, et de la transmettre à ses successeurs dans toute sa force de cohésion. Le premier fut un redoublement de vigilance, et de fréquentes visites aux monastères agrégés, pour les conserver dans la ferveur ou les ramener dans les sentiers de la paix et de la régularité, ou les réconcilier avec de redoutables voisins. Le second moyen fut la réduction des statuts et des Coutumes de Cluny, par Bernard et Udalric, deux disciples de saint Hugues. Ces Coutumes de Cluny, qui, comme la règle de saint Benoit, n’avaient rien d’absolu, devaient être cependant un puissant lien de centralisation, et concourir grandement à conserver dans son unité la Congrégation de Cluny. Enfin ce lien fut fortifié encore par la grande institution des Chapitres généraux, qui surgit en ce siècle au sein de cette même Congrégation. À des époques rapprochées et périodiques, on allait donc voir de l’Europe entière accourir à la voix de l’abbé les supérieurs ou les délégués des monastères, pour venir discuter au chapitre général les intérêts et les besoins spirituels du cloître. Pour mettre le sceau à toutes ces sages précautions, saint Hugues, avec ce don de persuasion qu’il avait reçu du ciel, saura faire agréer partout l’abolition du titre abbatial, conservé jusqu’à lui aux monastères soumis à la discipline de Cluny. Les chefs de tous ces prieurés substitueront humblement le titre subalterne de prieur à celui d’abbé ou de pro-abbé. Le glorieux travail de l’unité est dès lors consommé. On peut dire justement, en empruntant les paroles d’un écrivain anglais : « Au temps de saint Hugues, Cluny était un grand et magnifique royaume : sa domination s’étendait sur 314 monastères et églises; son abbé était un prince temporel, qui, pour le spirituel, ne dépendait que du Saint-Siège; il battait monnaie sur le territoire même de Cluny, aussi bien que le roi de France dans sa royale cité de Paris. Ce royaume spirituel s’étendait jusqu’à Constantinople, et même jusqu’à la Terre-Sainte ».

Le saint abbé mourut le 29 avril 1109, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Le pape Calixte II le mit au nombre des saints en 1121.

Saint Robert de Molesme et la fondation des Cisterciens (Petin, Dictionnaire hagiographique)

Saint Robert, abbé de Molesme et fondateur de l’ordre de Cîteaux, naquit vers l’an 1029, d’une illustre famille de Champagne, qui l’éleva dans la piété. À l’âge de quinze ans il quitta le monde pour entrer dans l’abbaye de Montier-la-Celle, près de Troyes, où, après avoir pris l’habit, il fut bientôt élu prieur, malgré sa grande jeunesse. Il fut ensuite chargé du gouvernement de l’abbaye de Saint-Michel de Tonnerre, où il s’efforça de rétablir la régularité; mais le relâchement y avait jeté de si profondes racines, qu’il ne trouva dans la plupart de ses religieux que des esprits rebelles et des cœurs endurcis.

Désespérant de les ramener à l’exacte observance de la règle, il les quitta pour aller vivre avec quelques anachorètes qui l’avaient demandé pour supérieur, et qui vivaient dans le désert de Collan, près de Tonnerre. Comme le lieu de leur retraite était malsain, Robert les établit à Molesme en 1075, dans de petites cellules construites avec des branches d’arbres, près desquelles il fit bâtir un petit oratoire en l’honneur de la sainte Trinité. Dans les commencements, leur vie était très austère, parce qu’ils manquaient de tout; mais des dons charitables ayant fait succéder l’abondance à la pauvreté, la communauté se relâcha peu à peu et dégénéra de sa première ferveur. Robert voulut arrêter les progrès du mal, mais, voyant que ses efforts étaient impuissants, il se retira dans le désert de Hauz, parmi des religieux qui vivaient du travail de leurs mains et édifiaient tout le pays par leurs vertus. Ceux de Molesme, rentrant en eux-mêmes, lui firent ordonner par le Pape de revenir au milieu d’eux, lui promettant d’être à l’avenir entièrement soumis à son autorité. Robert se vit donc obligé de retourner à Molesme, mais les choses n’allèrent guère mieux qu’auparavant.

Quelques religieux, cependant, mieux disposés que les autres, lui demandèrent la permission de s’établir dans quelque lieu solitaire, afin de pouvoir en liberté observer la règle sous laquelle ils étaient engagés. Le saint abbé leur accorda ce qu’ils désiraient et leur promit d’aller bientôt se réunir à eux; ce qu’il fit, en effet, après en avoir obtenu l’autorisation de Hugues, archevêque de Lyon et légat du Saint-Siège. Il emmena de Molesme tous les religieux qui voulaient observer dans son intégrité la règle de saint Benoît, et ils allèrent s’établir, au nombre de vingt-deux, dans la forêt de Cîteaux. Ayant obtenu l’agrément de l’évêque de Châlons et du vicomte de Beaune, seigneur du pays, ils défrichèrent une certaine étendue de terrain et y bâtirent des cellules. Eudes, duc de Bourgogne, fit achever à ses frais les bâtiments du monastère, et bâtit une église qui fut dédiée sous l’invocation de la sainte Vierge, comme toutes les églises des Cisterciens l’ont été dans la suite. Il fournit aussi aux moines, pendant quelque temps, toutes les choses dont ils avaient besoin, et leur assigna ensuite des revenus suffisants pour leur entretien. L’évêque de Châlons plaça Robert à la tête du monastère qu’il érigea en abbaye; lorsque tout fut terminé, le nouvel abbé et ses religieux, parmi lesquels on comptait le bienheureux Albéric et saint Étienne Harding, qui devinrent abbés après lui, renouvelèrent, le 21 mars 1098, jour de la fête de saint Benoît, leur profession monastique et leurs vœux de religion, s’engageant de nouveau à suivre la règle de leur saint patriarche dans toute sa sévérité. Rien n’était plus édifiant que leur conduite : ils pratiquaient des austérités extraordinaires, ne dormaient que quatre heures chaque nuit, en consacraient quatre autres à chanter les louanges de Dieu, et quatre, dans la matinée, au travail des mains; puis ils lisaient jusqu’à none et ne mangeaient que des herbes et des racines.

L’année qui suivit la fondation de Cîteaux, les moines de Molesme s’adressèrent de nouveau au Pape pour solliciter le retour de Robert, alléguant que son départ avait beaucoup nui à la discipline de leur maison, et que sa présence était le seul moyen d’y rétablir l’ordre et la régularité. Ils reconnaissaient leurs anciens torts et promettaient de se conduire de manière à ce que le saint n’eût plus à se plaindre d’eux. Urbain II chargea l’archevêque de Lyon, son légat, d’examiner cette affaire, et de renvoyer le saint à Molesme, si cette mesure devait y produire un effet salutaire. Le légat, après une mûre délibération, ordonna à Robert de se rendre aux désirs de ses anciens religieux, et l’évêque de Langres le rétablit dans sa dignité d’abbé de Molesme. Cette fois il eut la consolation de voir la communauté rentrer dans le devoir; il l’y maintint jusqu’à sa mort, arrivée le 17 avril 1111, à l’âge d’environ quatre-vingt-six ans. Les miracles opérés à son tombeau le firent mettre au nombre des saints par le Pape Honorius III, l’an 1222.

Prières

Prière d’Isaac de l’Étoile (1110-1178)

Seigneur, ne vous taisez pas en face de moi. Si je frappe à votre porte par ma méditation, ouvrez-moi ; si je vous interroge, répondez-moi ; si je vous implore, exaucez-moi ! Oui, vous le ferez dans votre grande bonté, vous le ferez largement, pourvu que, lorsque vous parlez, moi-même je ne détourne pas mon oreille. Car si on vous écoute, vous écoutez ; si on accueille vos avis, vous accueillez nos demandes. Parlez donc, Seigneur, votre serviteur écoute, répondez à celui qui parle. Pendant que nous naviguons l’un vers l’autre – comme jadis Pierre et les apôtres – que ni l’un ni l’autre ne s’endorme. Car si vous dormez pour moi votre serviteur, la mer, elle, ne dormira pas, pas plus que chez moi le souvenir du monde. Et si je dors pour vous, la chair, elle, ne dormira pas pour moi. Dressez-vous, Seigneur, qu’au-dedans et au-dehors se fasse un grand calme… Je crierai toujours vers vous, Seigneur, ne gardez pas avec moi le silence. Ainsi soit-il.

Oratio

Pérfice, quæsumus, Dómine, pium in nobis sanctæ religiónis afféctum : et ad obtinéndam tuæ grátiæ largitátem ; beátus Hugo Abbas suis apud te semper pro nobis et méritis, et précibus intercédat. Per Dóminum.

Oraison

Nous vous en prions, Seigneur, développez en nous l’esprit de piété de notre sainte Religion : et, pour obtenir l’abondance de votre grâce, que votre bienheureux Abbé Hugues intercède près de vous par ses mérites et ses prières.

Oratio

Deus, qui pro te relinquéntibus ómnia, céntuplum in hoc sǽculo, et in futúro vitam ætérnam promisísti : da nobis, intercedénte beáto Robérto Abbáte, sic a mundánis desidériis abstinére, ut plenam a te mercédem suscípere mereámur : Qui vivis et regnas.

Oraison

Ô Dieu, qui avez promis à ceux qui pour vous ont quitté le monde, le centuple dès ce monde et la vie éternelle dans l’autre, accordez-nous, par l’intercession du bienheureux Abbé Robert, de nous abstenir tellement des désirs mondains que nous méritions de recevoir de vos mains une pleine récompense.

Antiennes

Ã. Cum in die magni Sábbati beátus Hugo sacris interésset, colúmnam novæ lucis salutábat, crebris exórans suspíriis, ut ad terram promissiónis felíci gressu perveníret, allelúia.

Ã. Comme le Samedi-Saint, le bienheureux Hugues assistait aux saints mystères, il saluait la colonne de nouvelle lumière; par de fréquents soupirs, il demandait de parvenir à la Terre promise, alleluia.

Antienne grégorienne “Cum in die magni Sábbati”

Antienne Cum in die
Antienne Extensi sunt

Ã. Exténsi sunt pálmites eius usque ad mare, et usque ad flumen propágines eius, allelúia.

Ã. Il étendit ses rameaux jusqu’à la mer, et ses pousses jusqu’au fleuve, alleluia.

Antienne grégorienne “Exténsi sunt”

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Saint Colomban

Saint Colomban

Cette année 2015 qui s’achève a été marquée par le 14ème centenaire de la mort de saint Colomban (21 novembre 615), marquée par des célébrations « culturelles » et « cultuelles » indignes, sacrilèges, mêlant chants païens et chant grégorien notamment, ou occultant l’exemple d’intégrité religieuse de ce grand saint, intégrité doctrinale, intégrité morale, intégrité monacale. Il est temps pour nous de faire un peu connaître ce saint qui a profondément marqué notre région.

(suite…)

L’Inquisition : un péché de l’Eglise?

Voici les fichiers audio de la conférence du dimanche 8 mars 2009 sur l’Inquisition. Cette conférence tente de replacer la fondation de cette institution ecclésiastique dans son contexte historique pour en montrer le bien-fondé, puis retrace la procédure employée par l’Inquisition dans ses tribunaux.

L’Inquisition : un péché de l’Eglise? (8 mars 2009) : Introduction et 1ère partie (49’22 »).

L’Inquisition : un péché de l’Eglise? (8 mars 2009) : 2ème partie et conclusion (39’20 »).

L’influence du Miracle sur les catholiques #2

Confréries du Saint-Sacrement. – Fondation de bénédictions.

Cependant une vie religieuse plus intense circulait dans notre pays. Les confréries du Saint-Sacrement s’y multipliaient. Il en existait déjà quelques-unes avant 1608 : la confrérie de Saint-Pierre date de 1399, celle de Sancey de 1591 ; la confrérie romaine, érigée par Paul III à Santa Maria supra Minervam, en 1539, dut également donner lieu à d’autres fondations, par exemple celle de Vesoul. Mais, c’est à partir de 1608 que le mouvement s’accentue en Franche-Comté . Après Faverney, nous voyons Gray (juin 1609), Moroy (1617), Vuillafans (1614) ; le Russey et les Franches-Montagnes, Traves (même époque) ; Chaux-lez-Clerval (avant 1668) ; Banans (1676) ; Colombier (1707) ; Servance (1709) et une quantité indéfinie d’autres dont nos vénérés confrères n’ont pu que nous dire : elles sont très anciennes. Il n’en reste quelquefois que des usages pieux, comme l’exposition du saint Sacrement au troisième dimanche du mois ; quelquefois moins encore : à Fourg-lez-Quingey, c’est, sur la place publique, une croix de pierre, portant un ostensoir ; à Fougerolles, un ostensoir en bois, que le clergé mettait publiquement aux enchères, il y a quelques années encore, et qui était porté, aux processions solennelles, par l’heureux adjudicataire.

Les recherches que nous avons faites, si insuffisantes qu’elles soient, montrent que le tiers de nos paroisses avaient, au XVème siècle, la confrérie du Saint-Sacrement.

En corollaire, et à côté de ces confréries, se développèrent, au XVIIème siècle, les fondations de messes du saint Sacrement, spécialement le jeudi, et les bénédictions qui s’y rattachaient. C’est ainsi qu’à Scey-sur-Saône, les fondations de messes à exposition, complètement inconnues avant 1608, se multiplient à partir de cette époque.

Charles-Louis de Vienne de Beauffremont prend d’abord tous les premiers jeudis du mois, plus quatre-vingts autres jours de l’année ; les habitants se hâtent de suivre l’exemple de leur seigneur, et, successivement, on voit fonder le deuxième jeudi de chaque mois, puis le troisième, puis le quatrième ; le fondateur qui vient ensuite en est réduit à accepter l’hypothétique cinquième jeudi. Le suivant, ne sachant que faire, reprend le premier jeudi, au cas où il y aurait deux prêtres. Enfin les derniers arrivants se contentent de vêpres qu’ils fondent avec grands détails : « A l’O salutaris on fera trois fois l’ostension du précieux corps comme c’est la coutume à la Feste de Dieu ».

Encore ici les documents abondent. Partout ces fondations existent aux XVIIème et XVIIIème siècles. Elles sont tellement populaires, qu’elles ont passé en nos Noëls bisontins : la Commère, conversant avec saint Joseph, reconnaît que la pauvreté est bonne conseillère, et que Barbizier, depuis qu’il n’a plus de vin, est bien plus exact aux bénédictions du saint Sacrement.

Voiquy Tounot, qu’y me démente.
N’ot-ti pas vrai, qu’in dimanche maitin,
Avant que la grand’messe on chante,
L’aira déjà bu ne channe de vin ?
Ai présent, l’ot tout ai fait saige.
Y ne pa (perd) point de congrégation.
Nous ans lai pa dans lou ménaige,
L’ot des premies as bénédictions.

Mais il faut étudier ces questions de plus près, et rechercher les auteurs de ces bénédictions et de ces confréries. Nous arriverons vite à reconnaître que ce sont des personnages zélés pour la sainte Hostie de Faverney, et qui ont subi l’influence du monastère. Prenons quelques exemples. Nous avons vu la famille de Bauffremont s’éprendre subitement d’un grand zèle pour la fondation de messes à exposition. Mais le seigneur dont il s’agit sortait de l’école fondée à Faverney par dom Brenier. Il avait eu pour maître ce digne religieux, qui était comme l’apôtre du miracle et du culte eucharistique.
Deuxième exemple : le 18juillet 1609, Clérialde de Vergy, comte de Champlitte, fonde, conjointement avec sa femme, des messes du saint Sacrement en l’église de Gray. Or ce même seigneur se trouve avoir été, l’année précédente, le fondateur et le premier membre de la confrérie de Gray, érigée en souvenir du miracle de Faverney. De même, A.-P. de Grammont, archevêque de Besançon, promoteur d’une fondation de messes à Scey-sur-Saône, auteur de la confrérie du Russey , est lui-même un élève de l’école de Faverney. Son oncle était abbé de Faverney, son frère s’était fait inscrire un des premiers de la confrérie, et lui-même se laissait guider dans les actes de son épiscopat par notre dom Brenier . Parlons encore du sire de Varambon, l’ami du monastère, qui y fait des fondations, celui dont les Jésuites recherchaient la protection pour aborder l’inexorable abbé Doresmieux . Ne serait-il pas le premier promoteur de ces institutions eucharistiques si répandues dans le canton du Russey et qu’une mosaïque de la Chenalotte semble rattacher au miracle de Faverney ? Car le sire de Varambon, possesseur de nombreuses terres du côté de Faverney, était en même temps seigneur de Maîche et des Franches-Montagnes. De même Louis de Vienne, dont j’ai montré la piété envers la sainte Hostie, était seigneur de Guyans, Saules, Vuillafans, Montgesoye, et voilà qui explique bien des coïncidences curieuses entre le miracle de 1608 et certaines fondations eucharistiques dans le département du Doubs.

Cherchez maintenant les prédicateurs qui provoquent ces institutions. Ce sont les capucins de Vesoul et de Gray, qui ont mis tant d’ardeur à la diffusion du miracle ; ce sont, avec le chanoine d’Orival , les missionnaires d’Ecole, chez qui nous avons trouvé une espèce de circulaire destinée sans doute à être lue publiquement dans les villages voisins des centres de la mission et dont la conclusion est remarquable : faire des œuvres en l’honneur de ce Sacrement, qui d’une manière si particulière a honoré notre province. Il faudrait enfin poursuivre plus loin ces recherches, et relever minutieusement les noms inscrits au registre de Faverney. Nous sommes persuadés que ce sont les mêmes personnes qui, en chaque village, ont laissé après leur mort les plus belles fondations.

Adoration perpétuelle. – Visite au saint Sacrement. – Assistance à la messe quotidienne. – Communion fréquente.

Ces titres ne tromperont personne. Nous ne prétendons pas qu’avant 1608 il n’y avait ni communions, ni assistance aux messes quotidiennes, ni adorations, etc. Mais nous affirmons que ces pratiques étaient moins développées qu’elles ne l’ont été depuis, et que la confrérie de Faverney a joué un grand rôle dans leur diffusion.

Nous avons entre les mains les statuts de la confrérie romaine de 1700 , et ceux de la paroisse Saint-Pierre de Besançon, publiés par M. Alviset en 1630, alors que la confrérie de cette paroisse avait déjà deux siècles et demi d’existence . Or, il est remarquable que ces règlements, tant de Rome que de Besançon, s’occupent très peu de la vie intérieure des associés. L’élection des conseillers et du prieur, la réunion mensuelle, le paiement des cotisations, l’honneur à rendre au saint Viatique, les messes pour les défunts, les processions, tant goûtées de nos pères, voilà les points principaux du règlement, qui pourrait s’appliquer facilement, avec quelques modifications, à une confrérie de Saint-Antoine ou de Saint-Vernier.

Au contraire, et ceci est caractéristique, les statuts de Faverney de 1608 se préoccupent tout d’abord de cette vie chrétienne : « Nous avons délibéré, nous congréger, à dresser une confrérie semblable à celle approuvée par le Saint-Siège (…) 1° (…), 2° (…), 3° Pour plus souvent nous approcher de la table de Dieu (…), 5° Pour nous employer à notre possible à la révérence et adoration de la sainte Eucharistie ». Les articles du règlement répondent à ce préambule : Article III. « Se communieront aussi et confesseront aux fêtes de la Pentecôte, aux principales fêtes de Notre-Dame, aux dimanches des octaves du Saint-Sacrement, voire, si se peut faire, tous les premiers dimanches de chaque mois ». Cette dernière partie n’est encore qu’une invitation, bientôt elle deviendra un ordre strict.

Vers 1690 , paraît un deuxième règlement de la confrérie. L’évolution y est manifeste. La vie chrétienne y apparait plus intense : Article II. « Les confrères doivent allumer leur zèle pour la vénération du saint Sacrement, soit en entendant chaque jour la messe, si cela se peut, soit en visitant au moins une fois par jour une église où il est conservé ».

L’article de la communion n’est pas encore obligatoire, mais les litanies annexées aux statuts portent : « ut nos ad frequentem usam Eucharistiae perducere digneris ».

Nous voici au XVIIIème siècle et un troisième règlement s’élabore . Cette fois les communions y sont déclarées obligatoires, sous la seule réserve de l’autorité du confesseur. De plus, l’adoration perpétuelle y est recommandée, comme un fruit naturel de la piété eucharistique. « Ceux qui seront inspirés de se choisir, chaque année, une heure fixe, afin de contribuer à l’adoration perpétuelle de cet auguste mystère, sont invités de faire demander au Père Directeur, chacun, un billet imprimé pour ce sujet ». En fait, et à partir du commencement du XVIIIème siècle, s’organisent partout les adorations perpétuelles, que Ferdinand de Rye avait indiquées comme la conséquence naturelle du miracle de Faverney . On en trouve à Faucogney, Boujailles, Morteau, Pesmes, Vuillafans, Dole, Salins, Lons-le-Saunier, Pontarlier, Orgelet, Delle, Saint-Vit, Ornans, Frasnes-le-Château, Saulx, Clairvaux, Lure, Fontenoy-lez-Montbozon, Orgelet, Saint-Maur, Dambelin, Grand-Noir, Chissey, Gy, Nozeroy, etc. . Il faudrait citer en particulier Colombier et Servance, sur lesquels nous avons des détails particulièrement édifiants . Mais partout c’est un vif élan de foi : soit que l’adoration se fasse une fois par an, ou tous les mois, ou aux principales fêtes, ou tous les dimanches, ou tous les jours, elle est l’expression de la dévotion populaire la plus touchante. La confrérie de Saint-Pierre se laisse gagner à son tour par ce mouvement qui devient général. Elle introduit dans son règlement l’adoration perpétuelle : Article VI. « Le troisième dimanche du mois, les confrères ne manqueront pas de faire leur demi-heure d’adoration avec leur cierge allumé ». On trouvera dans M. Suchet de plus amples détails sur ce dernier point. Ainsi s’est formée, dans nos populations de Franche-Comté, cette piété ardente qui leur a fait repousser successivement les assauts du jansénisme et de la Révolution, et que Sauzay décrit, d’une manière si admirable, en son ouvrage de la Persécution. Nous avons essayé d’en rechercher les causes et nous avons cru en trouver une, et des plus abondantes, dans le grand événement de 1608. Il nous faut arrêter ici ce travail, si incomplet qu’il soit. Qu’il puisse servir à la glorification de la sainte Hostie de Faverney.

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L’influence du Miracle sur les catholiques #1

Rapport de M. l’abbé CAMUSET, curé doyen de Scey-sur-Saône.

Les pèlerinages

L’enquête de Ferdinand de Rye nous a fait connaître l’enthousiasme des foules à la vue du Sacrement de miracle. Ce transport populaire ne se refroidit point dans la suite, comme on eût pu l’imaginer. En 1609, ce sont des foules immenses, qui, de Faverney à Port-sur-Saône, à Rosey, à Gy, etc., font escorte à la sainte Hostie que transportent les Dolois. En 1624, Ferdinand de Rye, visitant Faverney, est étonné d’y retrouver aussi vive l’impression de 1608. Elle s’est même accrue, et avec elle la dévotion populaire : Unum notatum dignissimum, ab hujus miraculi tempore sic devotionis fervorem crevisse. La cruelle guerre dite des Suédois (1635-1645) vient faire trêve à ces pieux transports. Faverney y perd mille habitants. La population comtoise est réduite au dixième et livrée à une misère telle, dit un témoin, qu’on eût habillé de velours une vache, s’il en fût restée quelqu’une. Mais l’épreuve passée, la dévotion renaît. C’est le moment où l’on se dispute, quelquefois avec aigreur, les moindres reliques du miracle , où le P. Lejeune, Franc-Comtois, le prêche en toutes ses missions, où les indulgences attachées à la confrérie de Faverney sont annoncées au son de la trompe en tous nos villages.

Quelque vingt ans se passent, nous sommes à la fin du XVIIème siècle et le pèlerinage ne fait que progresser. Les registres de la confrérie se couvrent alors de noms : cent soixante villages y sont représentés en 1680. L’image de la sainte Hostie est appendue dans toutes les maisons de la Saône, l’affluence à la Pentecôte est telle, qu’A.-P. de Grammont est obligé de promulguer un décret pour la modérer et la régler (1682). Les documents abondent ; nous ne pouvons que cité à la hâte les principaux événements qui nous rattachent à ces temps merveilleux : en 1680, la magnifique mission de Faverney ; au commencement du XVIIIème siècle, l’institution par F.-J. de Grammont de l’office de la sainte Hostie ; en 1726, le miracle éclatant de la sainte hostie qui sauve Faverney d’un embrasement général.

Même événement en 1753. Voici la Révolution. Elle ne change rien aux dispositions populaires. Une foule de « citoyens » et de « citoyennes » viennent se faire coucher aux registres de la confrérie. En 1791, le transfert de la sainte Hostie à l’église paroissiale se fait parmi un immense concours. On chante encore les vêpres de la fête en 1794. 1795 commence sous de tristes auspices. Le culte ne peut plus s’exercer. Mais la Pentecôte de cette même année 1795 voit revenir la sainte Hostie parmi les acclamations populaires. En 1815, nouvel incendie, nouvelle délivrance par la sainte Hostie. En 1854, une fête magnifique célèbre la délivrance du choléra. Nouvelle et plus imposante cérémonie en 1864, où le cardinal Mathieu triomphe d’avoir fait accepter par la Congrégation des Rites la fête et l’office du miracle. En 1878, c’est le pèlerinage national présidé par Mgr Paulinier. Aujourd’hui (23 mai 1908), c’est le Congrès eucharistique, qui ferme cette chaîne merveilleuse de solennités et de miracles, ou plutôt, non, il ne la ferme pas, il ne fait qu’y ajouter un anneau splendide et digne de la Comté.

Réformation du monastère

Le premier résultat tangible du miracle fut la réformation du monastère de Faverney. Ce n’est pas que les religieux, attiédis depuis longtemps, aient pris d’eux-mêmes, et en considération du miracle, la résolution de se convertir. Personne ne le croirait. Les réformes ne sont jamais entreprises par les corps à réformer. Elles sont toujours l’œuvre d’un homme, et se font sous la pression des circonstances. L’homme ne manquait pas à Faverney. L’abbé Doresmieux, ancien prieur de Saint-Vaast, d’Arras, et qui, précisément en 1608, venait d’être nommé abbé de Faverney, était un prélat pieux, désintéressé, plein d’excellentes intentions. Mais sa faible santé ne lui permettait pas d’adopter, pour lui-même, les règles de l’étroite observance ; et l’œuvre à entreprendre était si pleine de difficultés, qu’il se fût peut-être découragé à soulever une telle masse . Mais, il est des situations plus fortes que les hommes.

Après le miracle de Faverney, on ne pouvait laisser au monastère des religieux aussi dissolus, qui ne connaissaient ni réfectoire ni dortoir, et vagabondaient librement jour et nuit. Les pèlerins s’en étonnaient, et revenaient chez eux fort peu édifiés. C’est le bon abbé Doresmieux qui nous donne ces détails et nous explique les mouvements de son âme dans une lettre à l’infante Isabelle-Eugénie-Clara. Il décida donc la réforme, et appela à son secours dom Guillaume Simonin, abbé de Saint-Vincent de Besançon. Celui-ci avait introduit dans son monastère la réforme de Saint-Vanne et Hydulphe (de Verdun). Il était même dans le diocèse le seul abbé réformé, les autres ayant énergiquement repoussé les visites de l’archevêque, Ferdinand de Rye, à ce sujet. Ce fut donc lui qui, délégué par Paul V, vint, en 1613, faire la visite canonique de l’abbaye. Il se passa là des choses bouffonnes, que je voudrais pouvoir passer sous silence . Les religieux reçurent le visiteur apostolique avec respect et humilité, ils baisèrent avec vénération le rescrit pontifical, déclarèrent accepter de cœur la réformation et se soumettre en tout aux ordres du Saint-Père. Seulement…, seulement ils faisaient une réserve. Ils voulaient qu’il fût bien entendu : 1° Qu’on ne changerait rien à leur manière de vivre ; 2° qu’on ne leur parlerait point de cette « antiquaille » nommée règle de saint Benoît ; 3° qu’il ne leur manquerait rien au point de vue matériel. Il n’y avait rien à faire avec de telles gens. Guillaume Simonin leur accorda ce qu’ils demandaient. Mais en même temps il fit venir douze religieux de son abbaye sous la conduite de dom Mathias Pothier. Ce petit groupe, à qui fut réservé un quartier du monastère, forma la nouvelle abbaye. Les anciens religieux vécurent quelque temps encore à Faverney, puis disparurent peu à peu, emportant leurs prébendes. Un seul, Nicolas Brenier, le principal témoin du miracle, consentit à la réformation. Il eut assez d’humilité pour recommencer son noviciat à Moyenmoutier, revint ensuite à Faverney, fut nommé prieur, puis coadjuteureur de dom Doresmieux , et enfin son successeur. Le petit groupe de religieux réformés s’augmenta bientôt et eut une immense réputation. Les pèlerins de Faverney chantaient ses louanges et peu à peu tous les couvents de la province et des États voisins furent moralement obligés de demander à l’abbaye du miracle des visiteurs et réformateurs. C’est ainsi que dom Doresmieux établit l’étroite observance à Jouhe et à Mont-Roland ; dom Brenier chez les Ursulines d’Auxonne et de Vesoul, en 1629, et dans les prieurés de Vaux, de Château et de Morteau ; dom Pothier à Saint-Hubert des Ardennes ; dom Bourgeois dans l’ordre de Saint-Maur ; dom Boban dans celui de Cluny, sur l’ordre de Richelieu, qu’avait charmé la réputation de Faverney. Enfin l’abbaye de Luxeuil reçut elle-même la réforme. Notre Dom Brenier fut, avec dom Coquelin, l’instrument de ce grand œuvre. Ainsi s’étendait l’œuvre de Dieu : une petite flamme s’était élevée à Faverney, et bientôt elle embrasa la Bourgogne et la France entière.